soupirer sans savoir pourquoi. J'ignore si l'on | gure, ne me montre aucune aversion, l'honnête m'a vu sensible à ce petit plaisir, et si l'on a voulu me l'ôter encore; mais, au changement que j'aperçois sur les physionomies à mon passage, et à l'air dont je suis regardé, je suis bien forcé de comprendre qu'on a pris grand soin de m'ôter cet incognito. La même chose m'est arrivée d'une façon plus marquée encore aux Invalides. Ce bel établissement m'a toujours intéressé. Je ne vois jamais, sans attendrissement et vénération, ces groupes de bons vieillards qui peuvent dire, comme ceux de Lacédémone, Nous avons été jadis Jeunes, vaillans, et hardis. Une de mes promenades favorites étoit autour de l'École-Militaire, et je rencontrois avec plaisir çà et là quelques invalides qui, ayant conservé l'ancienne honnêteté militaire, me saluoient en passant. Ce salut, que mon cœur leur rendoit au centuple, me flattoit, et augmentoit le plaisir que j'avois à les voir. Comme je ne sais rien cacher de ce qui me touche, je parlois souvent des invalides, et de la façon dont leur aspect m'affectoit. Il n'en fallut pas davantage. Au bout de quelque temps je m'aperçus que je n'étois plus un inconnu pour eux, ou plutôt que je le leur étois bien davantage, puisqu'ils me voyoient du même œil que fait le public. Plus d'honnêteté, plus de salutations. Un air repoussant, un regard farouche, avoient succédé à leur première urbanité. L'ancienne franchise de leur métier ne leur laissant pas comme aux autres couvrir leur animosité d'un masque ricaneur et traître, ils me montrent tout ouvertement la plus violente haine; et, tel est l'excès de ma misère, que je suis forcé de distinguer dans mon estime ceux qui me déguisent le moins leur fureur. salutation de ce seul-là me dédommage du maintien rébarbatif des autres. Je les oublie pour ne m'occuper que de lui, et je m'imagine qu'il a une de ces âmes comme la mienne, où la haine ne sauroit pénétrer. J'eus encore ce plaisir, l'année dernière, en passant l'eau pour m'aller promener à l'île aux Cygnes. Un pauvre vieux invalide, dans un bateau, attendoit compagnie pour traverser. Je me présentai; je dis au batelier de partir. L'eau étoit forte et la traversée fut longue. Je n'osois presque pas adresser la parole à l'invalide, de peur d'être rudoyé et rebuté comme à l'ordinaire; mais son air honnête me rassura. Nous causâmes. Il me parut homme de sens et de mœurs. Je fus surpris et charmé de son ton ouvert et affable. Je n'étois pas accoutumé à tant de faveur. Ma surprise cessa, quand j'appris qu'il arrivoit tout nouvellement de province. Je compris qu'on ne lui avoit pas encore montré ma figure et donné ses instructions. Je profitai de cet incognito pour converser quelques momens avec un homme, et je sentis, à la douceur que j'y trouvois, combien la rareté des plaisirs les plus communs est capable d'en augmenter le prix. En sortant du bateau, il préparoit ses deux pauvres liards. Je payai le passage, et le priai de les resserrer, en tremblant de le cabrer. Cela n'arriva point; au contraire, il parut sensible à mon attention, et surtout à celle que j'eus encore, comme il étoit plus vieux que moi, de lui aider à sortir du bateau. Qui croiroit que je fus assez enfant pour en pleurer d'aise? Je mourois d'envie de lui mettre une pièce de vingt-quatre sous dans la main pour avoir du tabac; je n'osai jamais. La même honte qui me retint m'a souvent empêché de faire de bonnes actions, qui m'auroient comblé de joie, et dont je ne me suis abstenu qu'en déplorant mon imbécillité. Cette fois, après avoir quitté mon vieux invalide, je me consolai bientôt en pensant que j'aurois, pour ainsi dire, agi contre mes propres principes, en mêlant aux choses honnêtes un prix d'argent qui dégrade leur noblesse et souille leur désintéressement. Il faut s'empresser de secourir ceux qui en ont besoin; mais, dans le commerce ordinaire de la vie, laissons la bien Depuis lors je me promène avec moins de plaisir du côté des Invalides : cependant, comme mes sentimens pour eux ne dépendent pas des leurs pour moi, je ne vois jamais sans respect et sans intérêt ces anciens défenseurs de leur patrie: mais il m'est bien dur de me voir si mal payé de leur part de la justice que je leur rends. Quand, par hasard, j'en rencontre quelqu'un qui a échappé aux instructions communes, ou qui, ne connoissant pas ma fi-veillance naturelle et l'urbanité faire chacune leur œuvre, sans que jamais rien de vénal et de mercantile ose approcher d'une si pure source pour la corrompre ou pour l'altérer. On dit qu'en Hollande le peuple se fait payer pour vous dire l'heure, et pour vous montrer le chemin : ce doit être un bien méprisable peuple que celui qui trafique ainsi des plus simples devoirs de l'humanité. J'ai remarqué qu'il n'y a que l'Europe seule où l'on vende l'hospitalité. Dans toute l'Asie on vous loge gratuitement. Je comprends qu'on n'y trouve pas si bien toutes ses aises; mais n'est-ce rien que de se dire: Je suis homme et reçu chez des humains; c'est l'humanité pure qui me donne le couvert. Les petites privations s'endurent sans peine, quand le cœur est mieux traité que le corps. DIXIÈME PROMENADE. Epoque où Rousseau fait connoissance avec madame de Warens. Son bonheur chez cette dame. Il fait ses efforts pour rendre cette union durable. Aujourd'hui, jour de Pâques fleuries, il y a précisément cinquante ans de ma première connoissance avec madame de Warens. Elle avoit vingt-huit ans alors, étant née avec le siècle. Je n'en avois pas encore dix-sept (*), et mon tempérament naissant, mais que j'ignorois encore, donnoit une nouvelle chaleur à un cœur naturellement plein de vie. S'il n'étoit pas étonnant qu'elle conçût de la bienveillance pour un jeune homme vif, mais doux et modeste, d'une figure assez agréable, il l'étoit encore moins qu'une femme charmante, pleine d'esprit et de grâces, m'inspirat, avec la reconnoissance, des sentimens plus tendres, que je n'en distinguois pas. Mais ce qui est moins ordinaire est que ce premier moment décida de moi pour toute ma vie, et produisit, par un enchaînement inévitable, le destin du reste de mes jours. Mon ame, dont mes organes n'avoient point développé les plus précieuses fa (*) Lorsque Rousseau écrivoit ceci, il avoit donc plus de soixante-cinq ans. Ce passage, joint à quelques autres faciles à remarquer dans les Promenades précédentes, fixe la date de la composition de ces Rêveries qui se rapportent à la fin de 1777 on au commencement de 1778, et de cette dixième Promenade en particulier qui eut lieu le 12 avril 1778. G. P. cultés, n'avoit encore aucune forme déterminée. Elle attendoit, dans une sorte d'impatience le moment qui devoit la lui donner, et ce moment, accéléré par cette rencontre, ne vint pourtant pas si tôt, et, dans la simplicité de mœurs que l'éducation m'avoit donnée, je vis long-temps prolonger pour moi cet état délicieux, mais rapide, où l'amour et l'innocence habitent le même cœur. Elle m'avoit éloigné. Tout me rappeloit à elle: il y fallut revenir. Ce retour fixa ma destinée, et long-temps encore avant de la posséder, je ne vivois plus qu'en elle et pour elle. Ah! si j'avois suffi a son cœur comme elle suffisoit au mien! quels paisibles et délicieux jours nous eussions coulés ensemble! Nous en avons passé de tels; mais qu'ils ont été courts et rapides, et quel destin les a suivis! Il n'y a pas de jours où je ne me rappelle avec joie et attendrissement cet unique et court temps de ma vie où je fus moi pleinement, sans mélange et sans obstacle, et où je puis véritablement dire avoir vécu. Je puis dire à peu près comme ce préfet du prétoire qui, disgracié sous Vespasien, s'en alla finir paisiblement ses jours à la campagne : ‹ J'ai passé › soixante et dix ans sur la terre, et j'en ai › vécu sept (*). Sans ce court mais précieux espace, je serois resté peut-être incertain sur moi; car, tout le reste de ma vie, facile et sans résistance, j'ai été tellement agité, ballotté, tiraillé par les passions d'autrui, que, presque passif dans une vie aussi orageuse, j'aurois peine à démêler ce qu'il y a du mien dans ma propre conduite, tant la dure nécessité n'a cessé de s'appesantir sur moi. Mais, durant ce petit nombre d'années, aimé d'une femme pleine de complaisance et de douceur, je fis ce que je voulois faire, je fus ce que je voulois être, el, par l'emploi que je fis de mes loisirs, aidé de ses leçons et de son exemple, je sus donner à mon âme, encore simple et neuve, la forme qui lui convenoit davantage et qu'elle a gardée toujours. Le goût de la solitude et de la contemplation naquit dans mon cœur avec les sentimens expansifs et tendres faits pour étre son (*) Ce n'est pas sous Vespasien, mais sous Adrien qu'eut lien la disgrace de ce préfet qui s'appeloit Similis. Rousseau luimême rapporte ce fait dans la troisième de ses quatre grandes Lettres à Malesherbes; et nous avons fait remarquer la singulière bévue qu'il y commet à cette occasion. Voyez ci-devant page 595. G. P. aliment. Le tumulte et le bruit les resserrent par des soins affectueux, ou par des occupa et les étouffent; le calme et la paix les raniment et les exaltent. J'ai besoin de me recueillir pour aimer. J'engageai maman à vivre à la campagne. Une maison isolée, au penchant d'un vallon, fut notre asile, et c'est là que, dans l'espace de quatre ou cinq ans, j'ai joui d'un siècle de vie et d'un bonheur pur et plein, qui couvre de son charme tout ce que mon sort présent a d'affreux. J'avois besoin d'une amie selon mon cœur; je la possédois. J'avois désiré la campagne; je l'avois obtenue. Je ne pouvois souffrir l'assujettissement; j'étois parfaitement libre, et mieux que libre; car, assujetti par mes seuls attachemens, je ne faisois que ce que je voulois faire. Tout mon temps étoit rempli tions champêtres. Je ne désirois rien que la continuation d'un état si doux, ma seule peine étoit la crainte qu'il ne durât pas long-temps, et cette crainte, née de la gêne de notre situation, n'étoit pas sans fondement. Dès lors je songeai à me donner en même temps des diversions sur cette inquiétude, et des ressources pour en prévenir l'effet. Je pensai qu'une provision de talens étoit la plus sûre ressource contre la misère, et je résolus d'employer mes loisirs, à me mettre en état, s'il étoit possible, de rendre un jour à la meilleure des femmes l'assistance que j'en avois reçue. ÉCRITS EN FORME DE CIRCULAIRES (*). I. DÉCLARATION Relative à différentes réimpressions de ses ouvrages. Lorsque J. J. Rousseau découvrit qu'on se cachoit de lui pour imprimer furtivement ses écrits à Paris, et qu'on affirmoit au public que c'étoit lui qui dirigeoit ces impressions, il comprit aisément que le principal but de cette manœuvre étoit la falsification de ces mêmes écrits, et il ne tarda pas, malgré les soins qu'on prenoit pour lui en dérober la connoissance, à se convaincre par ses yeux de cette falsification. Sa confiance dans le libraire Rey ne lui laissa pas supposer qu'il participât à ces infidélités, et en lui faisant parvenir sa protestation contre les imprimés de France, toujours faits sous le nom dudit Rey, il y joignit une déclaration conforme à l'opinion qu'il continuoit d'avoir de lui. Depuis lors il s'est convaincu aussi par ses propres yeux, que les réimpressions de Rey contiennent exactement les mêmes altérations, suppressions, falsifications que celles de France, et que les unes et les autres ont été faites sur le même modèle et sous les mêmes directions. Ainsi ses écrits, tels qu'il les a composés et publiés, n'existant plus que dans la première édition de chaque ouvrage qu'il a faite lui-même, et qui depuis long-temps a disparu aux yeux du public, il déclare tous les livres anciens ou nouveaux, qu'on imprime et imprimera désormais sous son nom, en quelque lieu que ce soit, ou faux ou altérés, mutilés et falsifiés avec la plus cruelle malignité, et les désavoue, les uns (*) Voyez la note ci-devant, page 376. comme n'étant plus son ouvrage, et les autres comme lui étant faussement attribués. L'impuissance où il est de faire arriver ses plaintes aux oreilles du public, lui fait tenter pour dernière ressource de remettre à diverses personnes des copies de cette déclaration écrites et signées de sa main, certain que si dans le nombre il se trouve une seule âme honnête et généreuse qui ne soit pas vendue à l'iniquité, une protestation si nécessaire et si juste ne restera pas étouffée, et que la postérité ne jugera pas des sentimens d'un homme infortuné sur des livres défigurés par ses persécuteurs. Fait à Paris, ce 23 janvier 1774. J. J. ROUSSEAU (*). (*) Cette espèce de protestation en forme d'avis circulaire, sans titre ni suscription, et dont il paroît que Rousseau a fait lui-même d'assez nombreuses copies, étoit donnée par lui à tous ceux qu'il pouvoit croire disposés à le servir. Quatre de ces copies autographes ont passé par nos mains, et ont été trouvées dans les papiers du comte Duprat, avec les trois lettres au même comte qu'on trouvera dans la Correspondance. Ce qui prouve que Rousseau ne se contentoit pas de donner ces copies lui-même, et qu'il en avoit confié quelques-unes au comte Duprat, et sans doute à d'autres encore, pour qu'ils les distribuassent à ceux que l'avis pouvoit intéresser. Nous avons cru long-temps cette protestation tout-à-fait inédite, ne l'ayant vue dans aucune édition des Œuvres de Rousseau, et nous l'avions indiquée comme telle à M. Belin, qui l'a insérée dans son édition (1817) à la suite des Confessions. Mais indépendamment de ce que Rousseau nous apprend luimême dans le troisième de ses Dialogues, qu'elle a été imprimée de son vivant, nous l'avons lue depuis dans la Vie de Rousseau qu'a publiée en 1789 M. de Barruel-Beauvert. Il y déclare (p. 52) tenir cet écrit de M. le chevalier de Cubières. Les lecteurs pourront demander maintenant ce qu'il faut penser de cet écrit en lui-même, et si la protestation qu'il contient, si expresse, si formelle, a au moins quelque fondement. Elle s'explique facilement, ce nous semble, par un fait que rapporte, dans son Avertissement, l'éditeur du recueil des romances de Rousseau, gravé et publié en 1781. «M. Rous» seau, dit-il, n'ayant pas chez lui un seul exemplaire de la 11. A TOUT FRANÇOIS AIMANT ENCORE LA JUSTICE ET LA VÉRITÉ. sonne s'il est vrai qu'il les ait commis? Que si, pour des raisons qui me passent, persistant à m'ôter un droit (1) dont on n'a privé jamais aucun criminel, vous avez résolu d'abreuver le reste de mes tristes jours d'angoisses, de dérisions, d'opprobres, sans vouloir que je sache pourquoi, sans daigner écouter mes griefs, mes raisons, mes plaintes, sans me permettre même de parler (2); j'élèverai au ciel, pour toute défense, un cœur sans fraude, et des mains pures de tout mal, lui demandant, non, peuple cruel, qu'il me venge et vous punisse (ah! qu'il éloigne de vous tout malheur et toute erreur!), mais qu'il ouvre bientôt à ma vieillesse un meilleur asile, où vos outrages ne François ! nation jadis aimable et douce, qu'êtes-vous devenus? Que vous êtes changés pour un étranger infortuné, seul, à votre merci, sans appui, sans défenseur, mais qui n'en auroit pas besoin chez un peuple juste; pour un homme sans fard et sans fiel, ennemi de l'injustice, mais patient à l'endurer, qui jamais n'a fait, ni voulu, ni rendu le mal à personne, et qui, depuis quinze ans, plongé, traîné par vous dans la fange de l'opprobre et de la diffamation, se voit, se sent charger à l'envim'atteignent plus. d'indignités inouïes jusqu'ici parmi les humains, sans avoir pu jamais en apprendre au moins la cause! C'est donc là votre franchise, votre douceur, votre hospitalité? Quittez ce vieux nom de Francs, il doit trop vous faire rougir. Le persécuteur de Job auroit pu beaucoup apprendre de ceux qui vous guident dans l'art de rendre un mortel malheureux. Ils vous ont persuadé, je n'en doute pas, ils vous ont prouvé même, comme cela est toujours facile en se cachant à l'accusé, que je méritois ces traitemens indignes, pires cent fois que la mort. En ce cas, je dois me résigner; car je n'attends, ni ne veux d'eux, ni de vous aucune grâce; mais ce que je veux, et qui m'est dû tout au moins, après une condamnation si cruelle et si infamante, c'est qu'on m'apprenne enfin quels sont mes crimes, et comment et par qui j'ai été jugé. Pourquoi faut-il qu'un scandale aussi public soit pour moi seul un mystère impénétrable? A quoi bon tant de machines, de ruses, de trahisons, de mensonges, pour cacher au coupable ses crimes, qu'il doit savoir mieux que per • Nouvelle Héloïse, on la lui prêta, tirée de la collection d' Amsterdam, 1772. Il trouva cette édition prétendue originale, ▸ mutilée et falsifiée, et la corrigea toute de sa main. » Cette partie de la Collection d'Amsterdam, ne pouvoit être qu'une réimpression de la Nouvelle Héloïse, conforme à l'édition première, faite à Paris en 1761, et dans laquelle effectivement on avoit fait un assez grand nombre de suppressions, réimpression à laquelle on avoit sans doute adapté, comme cela se faisoit constamment alors, un titre portant Amsterdam, 1772. Rousseau dut être la dupe de cette supercherie, et en tirant toutes les conséquences que la disposition de son esprit à cette époque ne le portoit que trop à admettre sans examen, il écrivit aussitôt la protestation qu'on vient de lire. G. P. P. S. François, on vous tient dans un délire qui ne cessera pas de mon vivant. Mais quand je n'y serai plus, que l'accès sera passé, et que votre animosité, cessant d'être attisée, laissera l'équité naturelle parler à vos cœurs, vous regarderez mieux, je l'espère, à tous les faits, dits, écrits, que l'on m'attribue en se cachant de moi très-soigneusement, à tout ce qu'on vous fait croire de mon caractère, à tout ce qu'on vous fait faire par bonté pour moi. Vous serez alors bien surpris; et, moins contens de vous que vous ne l'êtes, vous trouverez, j'ose vous le prédire, la lecture de ce billet plus intéressante qu'elle ne peut vous paroître aujourd'hui.Quand enfin ces messieurs, couronnant toutes leurs bontés, auront publié la vie de l'infortuné qu'ils auront fait mourir de douleur, cette vie impartiale et fidèle qu'ils préparent depuis long-temps avec tant de secret et de soin; avant que d'ajouter foi à leur dire et à leurs preuves, vous re (1) Quel homme de bon sens croira jamais qu'une aussi criante violation de la loi naturelle et du droit des gens puisse avoir pour principe une vertu? S'il est permis de dépouiller un mor| tel de son état d'homme, ce ne peut être qu'après l'avoir jugé. mais non pas pour le juger. Je vois beaucoup d'ardens exécuteurs, mais je n'ai point aperçu de juge. Si tels sont les préceptes d'équité de la philosophie moderne, malheur, sous ses auspices, au foible innocent et simple; honneur et gloire aux intrigans cruels et rusés. (2) De bonnes raisons doivent toujours être écoutées, surtout de la part d'un accusé qui se défend, ou d'un opprimé qui se plaint; et, si je n'ai rien de solide à dire, que ne me laisse-t-on parler en liberté ? C'est le plus sûr moyen de décrier tout-à-fait ma cause, et de justifier pleinement mes accusateurs. Mais, tant qu'on m'empêchera de parler, ou qu'on refusera de m'entendre, qui pourra jamais, sans témérité, prononcer que je n'avois rien à dire. |