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DISCOURS

QUI A REMPORTÉ LE PRIX

A L'ACADÉMIE DE DIJON,

EN L'ANNÉE 1750;

Sur cette question, proposée par la même Académie : Si le rétablissement des Sciences et des Arts a contribué à épurer les mœurs?

Barbarus hic ego sum, quia non intelligor illis.
OVID., Trist. v. eleg. 10, v. 37.

AVERTISSEMENT.

Qu'est-ce que la célébrité? Voici le malheureux ouvrage à qui je dois la mienne. Il est certain que cette pièce, qui m'a valu un prix, et qui m'a fait un nom, est tout au plus médiocre, et j'ose ajouter qu'elle est une des moindres de tout ce recueil (*). Quel gouffre de misères n'eût point évité l'auteur, si ce premier écrit n'eût été reçu que comme il méritoit de l'ètre! Mais il falloit qu'une faveur d'abord injuste m'attirat par degrés une rigueur qui l'est encore plus.

PRÉFACE.

Je prévois qu'on me pardonnera difficilement le parti que j'ai osé prendre. Heurtant de front tout ce qui fait aujourd'hui l'admiration des hommes, je ne puis m'attendre qu'à un blame universel; et ce n'est pas pour avoir été honoré de l'approbation de quelques sages, que je dois compter sur celle du public: aussi mon parti est-il pris; je ne me soucie de plaire ni aux beaux esprits ni aux gens à la mode. Il y aura dans tous les temps des hommes faits pour être subjugués par les opinions de leur siècle, de leur pays, et de leur société. Tel fait aujourd'hui l'esprit fort et le philosophe, qui, par la même raison, n'eût été qu'un fanatique du temps de la ligue. Il ne faut point écrire pour de tels lecteurs, quand on veut vivre audelà de son siècle.

Un mot encore, et je finis. Comptant peu sur l'honneur que j'ai reçu, j'avois, depuis l'envoi, refondu et augmenté ce discours, au point d'en faire, en quelque manière, un autre

Voici une des grandes et belles questions qui aient jamais été agitées. Il ne s'agit point dans ce discours de ces subtilités métaphysiques qui ont gagné toutes les parties de la littérature, et | ouvrage. Aujourd'hui, je me suis cru obligé de

dont les programmes d'académie ne sont pas toujours exempts; mais il s'agit d'une de ces - vérités qui tiennent au bonheur du genre hu

le rétablir dans l'état où il a été couronné. J'y ai seulement jeté quelques notes, et laissé deux additions faciles à reconnoître, et que l'Académie n'auroit peut-être pas approuvées. J'ai pensé que l'équité, le respect et la reconnoissance exigeoient de moi cet avertissement (*).

main.

(*) Lorsque Rousseau tenoit ce langage, le recueil de ses ouvrages ne contenoit que les deux Discours, la Lettre sur les spectacles, l'Émile, la Nouvelle Héloïse, et le Contrat Social.

M. P.

(*) Nous aurions voulu indiquer avec certitude les deux ad

DISCOURS

QUI A REMPORTE LE PRIX

A L'ACADÉMIE DE DIJON,

EN L'ANNÉE 1750;

Sur cette question, proposée par la même Académie : Si le rétablissement des Sciences et des a

contribué à épurer les mœurs?

Barbarus hic ego sum, quia non intellizers OVID., Trisieles

AVERTISSEMENT.

Qu'est-ce que la célébrité? Voici le malheureux ouvrage à qui je dois la mienne. Il est certain que cette pièce, qui m'a valu un prix, et qui m'a fait un nom, est tout au plus médiocre, et j'ose ajouter qu'elle est une des moindres de tout ce recueil (*). Quel gouffre de misères n'eût point évité l'auteur, si ce premier écrit n'eût été reçu que comme il méritoit de l'être Mais il falloit qu'une faveur d'abord injuste m'attirât par degrés une rigueur qui l'est en core plus.

Je prévois qu'on m

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tout ce qui fai hommes, je ne pun universel: ex res

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PRÉFACE.

Voici une des grandes et belles questions aient jamais été agitées. Il ne s'agit pom ce discours de ces subtilités métaphysunean ont gagné toutes les parties de la literam dont les programmes d'academie toujours exempts; mais il s'agres vérités qui tiennent au boober main.

(*) Lorsque Roussean ten vrages ne contenoit que les spectacles, l'Émile, la Ne

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DISCOURS

Qu'ai-je donc à redouter? Les lumières de l'assemblée qui m'écoute? Jel'avoue; mais c'est pour la constitution du discours, et non pour Le rétablissement des Sciences et des Arts a-t-il contribué le sentiment de l'orateur. Les souverains équi

SUR CETTE QUESTION :

à épurer les mœurs?

Decipimur specie recti. (*)

Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs? Voilà ce qu'il s'agit d'examiner. Quel parti dois-je prendre dans cette question? Celui, messieurs, qui convient à un honnête homme

qui ne sait rien, et qui ne s'en estime pas moins.

Il sera difficile, je le sens, d'approprier ce que j'ai à dire au tribunal où je comparois. Comment oser blâmer les sciences devant une

des plus savantes compagnies de l'Europe, Iouer < l'ignorance dans une célèbre Académie, et concilier le mépris pour l'étude avec le respect pour les vrais savans? J'ai vu ces contrariétés, et elles ne m'ont point rebuté. Ce n'est point

la science que je maltraite, me suis-je dit, c'est

la vertu que je défends devant des hommes vertueux. La probité est encore plus chère aux

gens de bien, que l'érudition aux doctes.

ditions dont il est question ici, et rien ne pouvoit les faire plus sûrement connoître que le manuscrit autographe qui devoit se trouver à Dijon, déposé dans les Archives de l'Académie. Mais nous avons appris que, lors de la suppression de cette Académie pendant la révolution et du transport de ses papiers dans un autre local, ce manuscrit s'étoit perdu avec beaucoup d'autres

de même espèce.

Quant à la proposition principale développée dans le discours qu'on va lire, et à la plupart des idées accessoires qui s'y lient, on les retrouve établies et présentées avec plus ou moins d'étendue dans trois chapitres de Montaigne (le 24o du livre I, le 12o du Livre II, et le 12o du Livre III), et dans l'ouvrage de Charron, de la Sagesse, Livre III, chapitre 14.

Un savant du XVIe siècle (Lilio Giraldi) a même fait de cette proposition le sujet d'une diatribe contre les lettres et ceux qui les cultivent, sous ce titre: Lilii Giraldi progymnasma adversus litteras et litteratos (Florentiæ, 1551, in-12). L'auteur des Plagiats de J. J. Rousseau n'a pas manqué cette occasion de rappeler cet ouvrage depuis long-temps oublié, et d'en citer des passages. Que n'a-t-il remonté plus haut encore! il eût pu citer un autre écrivain du même siècle, Cornelius Agrippa, qui, trente ans avant Giraldi, avoit publié sur la va

nité et l'incertitude des sciences un traité latin, réimprimé dix fois, traduit deux fois en françois, et ayant encore un rapport bien plus direct an discours de Rousseau. On ne seroit pas même embarrassé de trouver d'autres écrivains antérieurs à Rousseau, qui, opposant les avantages de l'ignorance aux inconvéniens et aux abus de la science, se sont exercés sur ce jeu d'esprit. Quoi qu'il en soit, il est plus que douteux que notre auteur qui trouvoit dans Montaigne et dans Charron assez de quoi fortifier son système, et qui les cite lui-même à son appui, ait été chercher des idées nouvelles dans Agrippa, encore moins dans Lilio Giraldi.

(*) Hor., de Arte poetica., v. 25.

G. P.

tables n'ont jamais balancé à se condamner eux-mêmes dans des discussions douteuses; et la position la plus avantageuse au bon droit est d'avoir à se défendre contre une partie intègre et éclairée, juge en sa propre cause.

A ce motif qui m'encourage, il s'en joint un autre qui me détermine : c'est qu'après avoir soutenu, selon ma lumière naturelle, le parti de la vérité, quel que soit mon succès, il est un prix qui ne peut me manquer; je le trouverai dans le fond de mon cœur.

PREMIÈRE PARTIE.

C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts; dissiper, par les lu

mières de sa raison, les ténèbres dans lesquelles

la nature l'avoit enveloppé; s'élever au-dessus de lui-même; s'élancer par l'esprit jusque dans les régions célestes; parcourir à pas de géant,

ainsi que le soleil, la vaste étendue de l'univers; et, ce qui est encore plus grand et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier l'homme et connoître sa nature, ses devoirs et sa fin. Toutes ces merveilles se sont renouvelées depuis peu de générations.

L'Europe étoit retombée dans la barbarie des premiers âges. Les peuples de cette partie du monde aujourd'hui si éclairé vivoient, il y a quelques siècles, dans un état pire que l'ignorance. Je ne sais quel jargon scientifique, encore plus méprisable que l'ignorance, avoit usurpé le nom du savoir, et opposoit à son retour un obstacle presque invincible. Il falloit une révolution pour ramener les hommes au sens commun; elle vint enfin du côté d'où on l'auroit le moins attendue. Ce fut le stupide musulman, ce fut l'éternel fléau des lettres qui les fit renaître parmi nous. La chute du trône de Constantin porta dans l'Italie les débris de l'ancienne Grèce. La France s'enrichit à son tour de ces précieuses dépouilles. Bientôt les sciences suivirent les lettres : à l'art d'écrire se joignit l'art de penser; gradation qui paroît étrange, et qui n'est peut-être que trop natu

!

relle: et l'on commença à sentir le principalment éloignées de la rusticité tudesque et de la

avantage du commerce des muses, celui de 1 endre les hommes plus sociables en leur inspirant le désir de se plaire les uns aux autres par des ouvrages dignes de leur approbation mutuelle.

L'esprit a ses besoins, ainsi que le corps. Ceux-ci sont les fondemens de la société, les autres en font l'agrément. Tandis que le gouvernement et les lois pourvoient à la sûreté et au bien-être des hommes assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissans peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils sembloient être nés, leur font aimer leur esclavage, et en forment ce qu'on appelle des peuples policés. Le besoin éleva les trônes; les sciences et les arts les ont affermis. Puissances de la terre, aimez les talens, et protégez ceux qui les cultivent (1). Peuples policés, cultivez-les: heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez; cette douceur de caractère et cette urbanité de mœurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile; en un mot, les apparences de toutes les vertus

sans en avoir aucune.

C'est par cette sorte de politesse, d'autant plus aimable qu'elle affecte moins de se montrer, que se distinguèrent autrefois Athènes et Rome dans les jours si vantés de leur magnificence et de leur éclat ; c'est par elle, sans doute, que notre siècle et notre nation l'emporteront sur tous les temps et sur tous les peuples. Un ton philosophe sans pédanterie, des manières naturelles et pourtant prévenantes, égale

(1) Les princes voient toujours avec plaisir le goût des arts agréables et des superfluités, dont l'exportation de l'argent ne résulte pas, s'étendre parmi leurs sujets: car, outre qu'ils les nourrissent ainsi dans cette petitesse d'âme si propre à laservitude, ils savent très-bien que tous les besoins que le peuple se donne sont autant de chaînes dont il se charge. Alexandre voulant maintenir les Ichtyophages dans sa dépendance, les contraignit de renoncer à la pêche, et de se nourrir des alimens communs aux autres peuples; et les sauvages de l'Amérique, qui vont tout nus, et qui ne vivent que du produit de leur chasse, n'ont jamais pu être domptés: en effet, quel joug imposeroit-on

à des hommes qui n'ont besoin de rien (*) ?

pantomime ultramontaine : voilà les fruits du goût acquis par de bonnes études et perfectionné dans le commerce du monde.

Qu'il seroit doux de vivre parmi nous, si la contenance extérieure étoit toujours l'image des dispositions du cœur, si la décence étoit la vertu, si nos maximes nous servoient de règle, si la véritable philosophie étoit inséparable du titre de philosophe! Mais tant de qualités vont trop rarement ensemble, et la vertu ne marche guère en si grande pompe. La richesse de la parure peut annoncer un homme opulent, et son élégance un homme de goût : l'homme sain et robuste se connoît à d'autres marques; c'est sous l'habit rustique d'un laboureur, et non sous la dorure d'un courtisan, qu'on trouvera la force et la vigueur du corps. La parure n'est pas moins étrangère à la vertu, qui est la force et la vigueur de l'âme. L'homme de bien est un athlète qui se plaît à combattre nu; il méprise tous ces vils ornemens qui gêneroient l'usage de ses forces, et dont la plupart n'ont été inventés que pour cacher quelque difformité.

Avant que l'art eût façonné nos manières et appris à nos passions à parler un langage apprêté, nos mœurs étoient rustiques, mais naturelles; et la différence des procédés annonçoit, au premier coup d'œil, celle des caractères. La nature humaine, au fond, n'étoit pas meilleure; mais les hommes trouvoient leur sécurité dans la facilité de se pénétrer réciproquement; et cet avantage, dont nous ne sentons plus le prix, leur épargnoit bien des vices.

Aujourd'hui que des recherches plus subtiles et un goût plus fin ont réduit l'art de plaire en principes, il règne dans nos mœurs une vile et trompeuse uniformité, et tous les esprits semblent avoir été jetés dans un même moule : sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne; sans cesse on suit des usages, jamais son propre génie. On n'ose plus paroître ce qu'on est; et, dans cette contrainte perpétuelle, les hommes qui forment ce troupeau qu'on appelle société, placés dans les mêmes circonstances, feront tous les mêmes choses si des

passage de Pline l'ancien, copté depuis par Solin (chap. 54): Ichtyo- motifs plus puissans ne les en détournent. On

(*) Ce qui est rapporté ici d'Alexandre n'a d'autre fondement qu'un phagos omnes Alexander vetuit piscibus vivere (HIST. NAT., Lib. vi, сар. 25.)

G. P.

ne saura donc jamais bien à qui l'on a affaire :

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