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incroyable difficulté: elles y circulent sourdement, elles y fermentent jusqu'à m'émouvoir, m'échauffer, me donner des palpitations; et, au milieu de toute cette émotion, je ne vois rien nettement, je ne saurois écrire un seul mot; il faut que j'attende. Insensiblement ce grand mouvement s'apaise, ce chaos se débrouille, chaque chose vient se mettre à sa place, mais lentement, et après une longue et confuse agitation. N'avez-vous point vu quelquefois l'opéra en Italie? Dans les changemens de scène, il règne sur ces grands théâtres un désordre désagréable et qui dure assez longtemps; toutes les décorations sont entremêlées; on voit de toutes parts un tiraillement qui fait peine, on croit que tout va renverser; cependant peu à peu tout s'arrange, rien ne manque, et l'on est tout surpris de voir succéder à ce long tumulte un spectacle ravissant. Cette manœuvre est à peu près celle qui se fait dans mon cerveau quand je veux écrire. Si j'avois su premièrement attendre, et puis rendre dans leur beauté | les choses qui s'y sont ainsi peintes, peu d'auteurs m'auroient surpassé.

un long et confus verbiage; à peine m'entendon quand on la lit.

Non-seulement les idées me coûtent à rendre, elles me coûtent même à recevoir. J'ai étudié les hommes et je me crois assez bon observateur: cependant je ne sais rien voir de ce que je vois; je ne vois bien que ce que je me rappelle, et je n'ai de l'esprit que dans mes souvenirs. De tout ce qu'on dit, de tout ce qu'on fait, de tout ce qui se passe en ma présence, je ne sens rien, je ne pénètre rien. Le signe extérieur est tout ce qui me frappe. Mais ensuite tout cela me revient : je me rappelle le lieu, le temps, le ton, le regard, le geste, la circonstance; rien ne m'échappe. Alors, sur ce qu'on a fait ou dit, je trouve ce qu'on a pensé; et il est rare que je me trompe.

Si peu maître de mon esprit seul avec moimême, qu'on juge de ce que je dois être dans la conversation, où, pour parler à propos, il faut penser à la fois et sur le champ à mille choses. La seule idée de tant de convenances, dont je suis sûr d'oublier au moins quelqu'une, suffit pour m'intimider. Je ne comprends pas même comment on ose parler dans un cercle; car à chaque mot il faudroit passer en revue

De là vient l'extrême difficulté que je trouve à écrire. Mes manuscrits raturés, barbouillés, mêlés, indéchiffrables, attestent la peine qu'ils | tous les gens qui sont là; il faudroit connoître

m'ont coûtée. Il n'y en a pas un qu'il ne m'ait fallu transcrire quatre ou cinq fois avant de le donner à la presse. Je n'ai jamais pu rien faire la plume à la main vis-à-vis d'une table et de mon papier; c'est à la promenade, au milieu des rochers et des bois; c'est la nuit dans mon lit et durant mes insomnies, que j'écris dans mon cerveau : l'on peut juger avec quelle lenteur, surtout pour un homme absolument dépourvu de mémoire verbale, et qui de la vie n'a pu retenir six vers par cœur. Il y a telle de mes périodes que j'ai tournée et retournée cinq ou six nuits dans ma tête avant qu'elle fût ⚫ en état d'être mise sur le papier. De là vient encore que je réussis mieux aux ouvrages qui demandent du travail qu'à ceux qui veulent être faits avec une certaine légèreté, comme les lettres; genre dont je n'ai jamais pu prendre le ton, et dont l'occupation me met au supplice. Je n'écris point de lettres sur les moindres sujets qui ne me coûtent des heures de fatigue, ou, si je veux écrire de suite ce qui me vient, je ne sais ni commencer ni finir; ma lettre est

tous leurs caractères, savoir leurs histoires, pour être sûr de ne rien dire qui puisse offenser quelqu'un. Là-dessus, ceux qui vivent dans le monde ont un grand avantage: sachant mieux ce qu'il faut taire, ils sont plus sûrs de ce qu'ils disent; encore leur échappe-t-il souvent des balourdises. Qu'on juge de celui qui tombe là des nues : il lui est presque impossible de parler une minute impunément. Dans le tête-àtête, il y a un autre inconvénient que je trouve pire, la nécessité de parler toujours : quand on vous parle il faut répondre, et si l'on ne dit mot il faut relever la conversation. Cette insupportable contrainte m'eût seule dégoûté de la société. Je ne trouve point de gêne plus terrible que l'obligation de parler sur-le-champ et toujours. Je ne sais si ceci tient à ma mortelle aversion pour tout assujettissement; mais c'est assez qu'il faille absolument que je parle pour que je dise une sottise infailliblement.

Ce qu'il y a de plus fatal est qu'au lieu de savoir me taire quand je n'ai rien à dire, c'est alors que pour payer plus tôt ma dette j'ai la

fureur de vouloir parler. Je me hâte de balbu- | tier promptement des paroles sans idées, trop heureux quand elles ne signifient rien du tout. En voulant vaincre ou cacher mon ineptie, je manque rarement de la montrer. Entre mille exemples que j'en pourrois citer, j'en prends on qui n'est pas de ma jeunesse, mais d'un temps où, ayant vécu plusieurs années dans le monde, j'en aurois pris l'aisance et le ton, si la chose eût été possible. J'étois un soir entre deux grandes dames et un homme qu'on peut nommer; c'étoit M. le duc de Gontaut. Il n'y avoit personne autre dans la chambre, et je m'efforçois de fournir quelques mots, Dieu sait quels! à une conversation entre quatre personnes dont trois n'avoient assurément pas besoin de mon supplément. La maîtresse de la maison se fit apporter une opiate dont elle prenoit tous les jours deux fois pour son estomac. L'autre dame lui voyant faire la grimace, dit en riant: Est-ce de l'opiate de M. Tronchin? Je ne crois pas, répondit sur le même ton la première. Je crois qu'elle ne vaut guère mieux, ajouta galamment le spirituel Rousseau (*). Tout le monde resta interdit; il n'échappa ni le moindre mot ni le moindre sourire, et l'instant d'après la conversation prit un autre tour. Vis-à-vis d'une autre la balourdise eût pu n'être que plaisante; mais adressée à une femme trop aimable pour n'avoir pas un peu fait parler d'elle, et qu'assurément je n'avois pas dessein d'offenser, elle étoit terrible; et je crois queles deux témoins, homme et femme, eurent bien de la peine à s'empêcher d'éclater. Voilà de ces traits d'esprit qui m'échappent pour vouloir parler sans trouver rien à dire. J'oublierai difficilement celui-là; car, outre qu'il est par lui-même très-mémorable, j'ai dans la tête qu'il a eu des suites qui ne me le rappellent que trop

souvent.

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des gens en état de bien juger: d'autant plus malheureux que ma physionomie et mes yeux promettent davantage, et que cette attente frustrée rend plus choquante aux autres ma stupidité. Ce détail, qu'une occasion particulière a fait naître, n'est pas inutile à ce qui doit suivre. Il contient la clef de bien des choses extraordinaires qu'on m'a vu faire, et qu'on attribue à une humeur sauvage que je n'ai point. J'aimerois la société comme un autre, si je n'étois sûr de m'y montrer non-seulement à mon désavantage, mais tout autre que je ne suis. Le parti que j'ai pris d'écrire et de me cacher est précisément celui qui me convenoit. Moi présent, on n'auroit jamais su ce que je valois, on ne l'auroit pas soupçonné même; et c'est ce qui est arrivé à madame Dupin, quoique femme d'esprit, et quoique j'aie vécu dans sa maison plusieurs années: elle me l'a dit bien des fois elle-même depuis ce temps-là. Au reste tout ceci souffre de certaines exceptions, et j'y reviendrai dans la suite (*).

La mesure de mes talens ainsi fixée, l'état qui me convenoit ainsi désigné, il ne fut plus question, pour la seconde fois, que de remplir ma vocation. La difficulté fut que je n'avois pas fait mes études, et que je ne savois pas même assez de latin pour être prêtre. Madame de Warens imagina de me faire instruire au séminaire pendant quelque temps. Elle en parla au supérieur. C'étoit un lazariste appelé M. Gros,

(*) Nous verrons bientôt une de ces exceptions dans le récit qu'il fera ci-après au Livre IV, lorsque, admis à l'andience du sénat de Berne avec l'archimandrite auquel il s'étoit attaché comme interprète, il fut obligé d'exposer sur-le-champ et sans avoir pu s'y préparer, l'objet et les motifs de sa mission. On sait d'ailleurs qu'en société, lorsque le sujet de la conversation l'intéressoit vivement, et surtout lorsqu'il se croyoit sûr des bonnes dispositions de ceux qui l'écoutoient, il parloit avec autant de facilité que de grâce ou d'énergie, suivant la nature du sujet.

Mais nul à cet égard ne lui rend un témoignage plus remarqua

ble que Dusaulx, dans le récit d'un diner qui eut lieu chez lui en 1771, et où Rousseau se trouvoit avec d'autres personnes qu'il voyoit pour la première fois. « A quelques nuages près, » mon Dieu, qu'il fut aimable ce jour-là! Tantôt enjoué, tantôt › sublime. Avant le diner, il nous raconta quelques-unes des > plus innocentes anecdotes consignées dans ses Confessions. • Plusieurs d'entre nous les connoissoient déjà; mais il sut leur > donner une physionomie nouvelle, et plus de mouvement en> core que dans son livre. J'ose dire qu'il ne se connoissoit pas > lui-même, lorsqu'il prétendoit que la nature lui avoit refusé > le talent de la parole: la solitude sans doute avoit concentré ▸ ce talent en lui-même; mais dans ses momens d'abandon, et ▸ lorsque rien ne l'offusquoit, il débondoit comme un torrent » impétueux à qui rien ne résiste. De mes rapports avec J J. Rousseau, p. 99.

С. Г.

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Motos apropa me

My son le patre de tous les www.mes the renda de mes по-правилa la mine d-frocoracle qu'il oni's mitte, on sont qu'ils n'étoient pas

mem mail, et cela n'étoit pas Hem na hire passer mes etuAna. Armani shigeon le peruar se rebutetmm, aim the romlu à madame de Warens come in mytron t'uit pas méme bon pour bapu poison, au pede meus hum garçon, disoit om, 14 june vue en qui fit que, malgré tant de préjugén verndans sur mon compte, elle ne m'abandonna p

de rapportion chez elle en triomphe son livre do manque dont j'avois tiré sú bon parti. Mon | ated Mphée on Aréthune étoit à peu près tout ce que j'avois appris au séminaire, Mon goût marque pour cot art lui fit maître la pensée de me Datro musicion i l'occasion étoit commode; on Rabott chos elle, au moins une fois la semaine, de la muntoque, et le mattre de musique de la

in semmaire we es peres de Saint-Lazare. Cependant rette vie, pour être plus libre, n'en toit pas noms qate et reglee. l'etois fait pour imer Independance et pour n'en abuser janais. Durant six mois entiers, je ne sortis pas ame sente fois que pour aller chez maman ou à Pepise, et je n'en fus pas même tente. Cet intervale est un de cens ou j'ai vécu dans le plus grand calme, et que je me suis rappelés avec le plus le plaisir. Dans les situations diverses on je me sus trouve, quelques-uns ont ete marmes par un tel sentiment de bien-être, qu'en les rememorant j'en suis affecte comme si j'y étois encore. Non-seulement je me rappelle les temps, les lieux, les personnes, mais tous les objets environnans, la température de fair, son odeur, sa couleur, une certaine impression locale qui ne s'est fait sentir que là, et dont le souvenir vif m'y transporte de nouveau. Par exemple, tout ce qu'on répetoit à la maitrise, tout ce qu'on chantoit au chœur, tout ce qu'on y faisoit, le bel habit des chanoines, les chasubles des prètres, les mitres des chantres, la figure des musiciens, un vieux charpentier boiteux qui jouoit de la contre-basse, un petit abbé blondin qui jouoit du violon, le lambeau de soutane qu'après avoir posé son épée M. Le Maître endossoit par dessus son habit laïque et le beau surplis fin dont il en couvroit les loques pour aller an lequel j'allois, ten m'établir dans l'ord

(a) Van. de madame de

"guel av:

petit bout de récit que M. Le Maître avoit fait exprès pour moi, le bon dîner qui nous attendoit ensuite, le bon appétit qu'on y portoit; ce concours d'objets vivement retracé m'a cent Jois charmé dans ma mémoire, autant et plus que dans la réalité. J'ai gardé toujours une affection tendre pour un certain air du Conditor alme siderum qui marche par ïambes, parce qu'un dimanche de l'avent j'entendis de mon lit chanter cette hymne avant le jour sur le perron de la cathédrale, selon un rite de cette église13. Mademoiselle Merceret, femme de chambre de maman, savoit un peu de musique: je n'oublierai jamais un petit motet Afferte que M. Le Maitre me fit chanter avec elle, et que sa maitresse écoutoit avec tant de plaisir. Enfin tout, Jusqu'à la bonne servante Perrine, qui étoit si bonne fille et que les enfans de chœur faisoient tant endéver, tout dans les souvenirs de ces temps de bonheur et d'innocence revient souVent me ravir et m'attrister.

Je vivois à Annecy depuis près d'un an sans le moindre reproche: tout le monde étoit conMent de moi. Depuis mon départ de Turin je 'avois point fait de sottise, et je n'en fis point tant que je fus sous les yeux de maman. Elle me conduisoit, et me conduisoit toujours bien: mon attachement pour elle étoit devenu ma seule passion; et ce qui prouve que ce n'étoit pas une passion folle, c'est que mon cœur formoit ma raison. Il est vrai qu'un seul sentiment, absorbant pour ainsi dire toutes mes facultés, me mettoit hors d'état de rien apprendre, pas même la musique, bien que j'y fisse tous mes efforts. Mais il n'y avoit point de ma faute; la Donne volonté y étoit tout entière, l'assiduité étoit. J'étois distrait, rêveur, je soupirois : qu'y pouvois-je faire? Il ne manquoit à mes progrès rien qui dépendit de moi; mais pour que je fisse de nouvelles folies il ne falloit qu'un sujet qui vint me les inspirer. Ce sujet se présenta; le hasard arrangea les choses, et, comme on verra dans la suite, ma mauvaise Mête en tira parti.

Un soir du mois de février, qu'il faisoit bien | froid, comme nous étions tous autour du feu, ver à la porte de la rue. , descend, ouvre : celle, monte à M. Le M

un compliment court et bien tourné, se donnant pour un musicien françois que le mauvais état de ses finances forçoit de vicarier pour passer son chemin. A ce mot de musicien françois, le cœur tressaillit au bon Le Maître : il aimoit passionnément son pays et son art. Il accueillit le jeune passager, lui offrit le gite dont il paroissoit avoir grand besoin, et qu'il accepta sans beaucoup de façons. Je l'examinai tandis qu'il se chauffoit et qu'il jasoit en attendant le souper. Il étoit court de stature, mais large de carrure; il avoit je ne sais quoi de contrefait dans sa taille, sans aucune difformité particulière; c'étoit pour ainsi dire un bossu à épaules plates, mais je crois qu'il boitoit un peu. Il avoit un habit noir plutôt usé que vieux, et qui tomboit par pièces, une chemise trèsfine et très-sale, de belles manchettes d'effilé, des guêtres dans chacune desquelles il auroit mis ses deux jambes, et pour se garantir de la neige un petit chapeau à porter sous le bras. Dans ce comique équipage il y avoit pourtant quelque chose de noble que son maintien ne démentoit pas; sa physionomie avoit de la finesse et de l'agrément; il parloit facilement et bien, mais très-peu modestement. Tout marquoit en lui un jeune débauché qui avoit eu de l'éducation, et qui n'alloit pas gueusant comme un gueux, mais comme un fou. Il nous dit qu'il s'appeloit Venture de Villeneuve, qu'il venoit de Paris, qu'il s'étoit égaré dans sa route; et oubliant un peu son rôle de musicien, il ajouta qu'il alloit à Grenoble voir un parent qu'il avoit dans le parlement.

Pendant le souper on parla de musique, et il en parla bien. Il connoissoit tous les grands virtuoses, tous les ouvrages célèbres, tous les acteurs, toutes les actrices, toutes les jolies femmes, tous les grands seigneurs. Sur tout ce qu'on disoit il paroissoit au fait; mais à peine un sujet étoit-il entamé, qu'il brouilloit l'entretien par quelque polissonnerie qui faisoit rire et oublier ce que l'on avoit dit. C'étoit un samedi; il y avoit le lendemain musique à la cathédrale. M. Le Maître lui propose d'y chanter; très-volontiers; lui demande quelle est sa partie; la haute-contre; et il parle d'autre chose. Avant d'aller à l'église on lui offrit sa partie à prévoir; il n'y jeta pas les yeux. Cette gasconnade urprit Le Maître : Vous verrez, me dit-il à l'o

l'air.

bon petit homme, à moitié borgne, maigre, | vers avec leur mesure pour y mettre celle de grison, le plus spirituel et le moins pédant lazariste que j'aie connu; ce qui n'est pas beaucoup dire à la vérité.

Il venoit quelquefois chez maman, qui l'accueilloit, le caressoit, l'agaçoit même, et se faisoit quelquefois lacer par lui, emploi dont il se chargeoit assez volontiers. Tandis qu'il étoit en fonction, elle couroit par la chambre de côté et d'autre, faisoit tantôt ceci tantôt cela. Tiré par le lacet, monsieur le supérieur suivoit en grondant, et disant à tout moment: Mais, madame, tenez-vous donc. Cela faisoit un sujet assez pittoresque.

M. Gros se préta de bon cœur au projet de maman. Il se contenta d'une pension trèsmodique et se chargea de l'instruction. Il ne fut question que du consentement de l'évêque, qui non-seulement l'accorda, mais qui voulut payer la pension. Il permit aussi que je restasse en habit laïque jusqu'à ce qu'on pût juger, par un essai, du succès qu'on devoit espérer.

Quel changement! Il fallut m'y soumettre. J'allai au séminaire comme j'aurois été au supplice. La triste maison qu'un séminaire, surtout pour qui sort de celle d'une aimable femme! J'y portai un seul livre, que j'avois prié maman de me prêter, et qui me fut d'une grande ressource. On ne devinera pas quelle sorte de livre: c'étoit un livre de musique. Parmi les talens qu'elle avoit cultivés, la musique n'avoit pas été oubliée. Elle avoit de la voix, chantoit passablement, et jouoit un peu du clavecin : elle avoit eu la complaisance de me donner quelques leçons de chant; et il fallut commencer de loin, car à peine savois-je la musique de nos psaumes. Huit ou dix leçons de femme, et fort interrompues, loin de me mettre en état de solfier, ne m'apprirent pas le quart des signes de la musique. Cependant j'avois une telle passion pour cet art, que je voulus essayer de m'exercer seul. Le livre que j'emportai n'étoit pas même des plus faciles; c'étoient les cantates de Clérambault. On concevra quelle fut mon application et mon obstination, quand je dirai que, sans connoître ni transposition ni quantité, je parvins à déchiffrer et chanter sans faute le premier récitatif et le premier air de la cantate d'Alphée et Aréthuse; et il est vrai que cet air est scandé si juste, qu'il ne faut que réciter les

Il y avoit au séminaire un maudit lazariste qui m'entreprit, et qui me fit prendre en horreur le latin qu'il vouloit m'enseigner. Il avoit des cheveux plats, gras et noirs, un visage de pain d'épice, une voix de buffle, un regard de chat-huant, des crins de sanglier au lieu de barbe; son sourire étoit sardonique; ses membres jouoient comme les poulies d'un mannequin: j'ai oublié son odieux nom; mais sa figure effrayante et doucereuse m'est bien restée, et j'ai peine à me la rappeler sans frémir. Je crois le rencontrer encore dans les corridors, avançant gracieusement son crasseux bonnet carré pour me faire signe d'entrer dans sa chambre, plus affreuse pour moi qu'un cachot. Qu'on juge du contraste d'un pareil maître pour le disciple d'un abbé de cour!

Si j'étois resté deux mois à la merci de ce monstre, je suis persuadé que ma tête n'y auroit pas résisté. Mais le bon M. Gros, qui s'aperçut que j'étois triste, que je ne mangeois pas, que je maigrissois, devina le sujet de mon chagrin; cela n'étoit pas difficile. Il m'ôta des griffes de ma bête, et, par un autre contraste encore plus marqué, me remit au plus doux des hommes: c'étoit un jeune abbé faucigneran (*) appelé M. Gatier, qui faisoit son séminaire, et qui, par complaisance pour M. Gros, et je crois par humanité, vouloit bien prendre sur ses études le temps qu'il donnoit à diriger les miennes. Je n'ai jamais vu de physionomie plus touchante que celle de M. Gatier. Il étoit blond, et sa barbe tiroit sur le roux: il avoit le maintien ordinaire aux gens de sa province, qui, sous une figure épaisse, cachent tous beaucoup d'esprit; mais ce qui se marquoit vraiment en lui étoit une ame sensible, affectueuse, aimante. Il y avoit dans ses grands yeux bleus un mélange de douceur, de tendresse et de tristesse, qui faisoit qu'on ne pouvoit le voir sans s'intéresser à lui. Aux regards, au ton de ce pauvre jeune homme, on eût dit qu'il prévoyoit sa destinée, et qu'il se sentoit né pour être malheureux.

(*) C'est-à-dire, né dans le Faucigny, petite province du duché

de Savoie.

G. P.

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