OU COURS DE LITTÉRATURE ANCIENNE ET MODERNE;, PAR J. F. LAHARPE. NOUVELLE ÉDITION, AUGMENTÉE DE LA VIE DE L'AUTEUR, PORTRAIT. Indocti discant, et ament meminisse periti. TOME CINQUIEME. PARIS, DE LITTÉRATURE ANCIENNE ET MODERNE. SECONDE PARTIE. SIECLE DE LOUIS XIV. LIVRE PREMIER. POÉSIE. CHAPITRE III. Racine. SECTION PREMIERE. Les Freres ennemis, Alexandre, Andromaque. Ce serait sans doute un homme très-extraordinaire que celui qui aurait conçu tout l'art de la tragédie, telle qu'elle parut dans les beaux jours d'Athenes, et qui en aurait tracé à la fois le premier plan et le premier modele. Mais de si beaux efforts ne sont pas donnés à l'humanité; elle n'a pas de conceptions si vastes. » Il n'existe aucun art qui n'ait été développé par degrés, et tous ne se sont perfectionnés qu'avec le tems. Un homme a ajouté aux travaux d'un homme, un siecle a ajouté aux lumières d'un siecle, et c'est ainsi qu'en réunissant et perpétuant leurs efforts, les générations qui se repro duisent sans cesse, ont balancé la faiblesse de notre nature, et que l'homme, qui n'a qu'un moment d'existence, a prolongé dans l'étendue des siecles la chaîne de ses connaissances et de ses travaux, qui doit atteindre aux bornes de la durée. » L'invention du dialogue a sans doute été le premier pas de l'art dramatique. Celui qui imagina d'y joindre une action, fit un second pas bien important. Cette action se modifia de différentes manieres, devint plus ou moins attackante, plus ou moins vraisemblable. La musique et la danse vinrent embellir cette imitation. On connut l'illusion de l'optique et la pompe théâtrale. Le premier qui, de la combinaison de tous ces arts réunis, fit sortir de grands effets et des beautés pathétiques, mérita d'être appelé le pere de la tragédie. Ce nom était dû à Eschyle, mais Eschyle apprit à Euripide et à Sophocle à le surpasser, et l'art fut porté à sa perfection dans la Grece. Cette perfection était pourtant relative, et en quelque sorte nationale. En effet, s'il y a dans les tragiques anciens des beautés de tous les tems et de tous les lieux, il n'en est pas moins vrai qu'une bonne tragédie grecque, fidellement transportée sur notre théâtre, ne suffirait pas à faire une bonne tragédie française ; et si l'on peut citer quelque exception à ce principe général, cette exception même prouverait du moins que cinq actes des Grecs ne peuvent nous en donner que trois. Nous avons ordinairement à fournir une tâche plus longue et plus pénible. Melpomene, chez les Anciens, paraissait sur la scene, entourée des attributs de Terpsicore et de Polymnie. Chez nous, elle est seule et sans autre secours que son art, sans autres appuis que la terreur et la pitié. Les chants et la grande poésie des choeurs relevaient l'extrême simplicité |