toire politique ou littéraire; j'ai lieu de penser que cet ouvrage présentera quelqu'intérêt, sous ces deux rapports. J'ai apporté le plus grand soin à ne rien omettre qui pût piquer la curiosité, et je suis même parvenu à y réunir des pièces que les éditeurs eux-mêmes n'avaient pu se procurer. Cette édition renferme deux fois plus de choses que les deux compilations antérieures: on verra que je ne me suis pas borné à faire réimprimer littéralement les Mémoires de Bachaumont, qui, comme je l'ai déjà dit, imprimés chez l'étranger, n'avaient pû être surveillés par les éditeurs ; et qui fourmillaient de fautes de sens; où l'on trouvait des pièces tronquées ou mal copiées, des vers souvent faux et une foule de défauts de ce genre que l'on avait scrupuleusement conservés, dans les deux recueils dont j'ai parlé. Il me reste à me justifier d'avoir rapporté des épigrammes ou des mots piquans, sur des hommes que leur mérite met au-dessus de toute critique. Je déclare qu'étant étranger à toute espèce de parti, et absolument inconnu, je n'ai été dirigé dans ce choix par aucune animosité personnelle, que j'ai toujours choisi avec impartialité, et que si l'on trouve telle ou telle pièce dans ce recueil, c'est que je l'ai crue bonne et digne d'être conservée sans aucune espèce de bonne ou de mauvaise intention, pour celui qui en fournissait le sujet; bien convaincu qu'un épigramme, un calembourg, un quolibet, ne font pas plus de tort à un homme d'un mérite reconnu, que les sifflets n'en font à une bonne pièce; et je pourrai prendre pour épigraphe, avec plus de raison que beaucoup d'autres, ce passage de Tacite : Mihi Galba, Vitellius, Otho, nec beneficio, nec injuriâ cogniti sunt. HISTORIQUES, LITTÉRAIRES, ANECDOTIQUES ET CRITIQUES, DE BACHAUMONT. (1762. ) (25 Janvier.) ON parle beaucoup du retour de M. de Voltaire en ce pays-ci : on va jusqu'à dire qu'il aura une pension considérable à la cour. Ces bruits ne sont encore que très-vagues. D'après cette supposition, on a toujours fait, à compte, l'épigramme suivante : Voltaire, en esprit fort, plein d'orgueil et de ruse, Pour éviter les sacremens, Vient mourir à Paris, sachant qu'on les refuse. (30 Janvier.) Il est bon de rendre compte de l'état actuel de la comédie française. Nous partirons à l'avenir de ce point, comme d'un thermomètre sûr, pour apprécier l'amélioration ou le dépérissement de ce spectacle. Mlle. Clairon én est toujours l'héroïne. Elle n'est point annoncée, qu'il n'y ait chambrée complète. Dès qu'elle paraît, elle est applaudie à tout rompre. Ses enthousiastes n'ont jamais vu et ne verront jamais rien de pareil: c'est l'ouvrage le plus fini de l'art..... Mais c'est de l'art, disent quelques critiques. Ils se rappellent qu'elle a long-tems été mauvaise, qu'elle a lutté six ans contre le public, que son organe bruyant assourdissait les oreilles, sans émouvoir le cœur. A force de tâter, elle s'est enfin fait un jeu à elle : les glapissemens de sa voix sont devenus les accens de la passion; son enflure s'est élevée au sublime. Cette actrice a de tout tems eu la position théâtrale, beaucoup de noblesse dans sa démarche, dans ses gestes de main, dans ses coups de tête. Quoique d'une stature médiocre, elle a toujours paru sur la scène au-dessus de la taille ordinaire. Par quelle fatalité des infirmités habituelles nous privent-elles si souvent de la voir? Pourquoi sommes-nous incessamment menacés de la perdre (1)? Mlle. Dumesnil est sans contredit plus actrice nee que Mlle. Clairon; son jeu est plus naturel, plus décidé, plus franc; mais son amour-propre aurait dû lui conseiller de se retirer, il y a quelques années. Elle n'a pas senti qu'elle ne pouvait que perdre à mesure que sa rivale gagnerait ce n'est pas qu'elle ne lui fasse encore éprouver quelquefois son ancienne supériorité, qu'elle ne l'écrase des élans de son génie. Malheureusement, ce ne sont que les derniers éclats d'une lumière qui (1) Mlle. Clairon est attaquée de la maladie des femmes: elle joue peu souvent, en conséquence de ses infirmités. Ses camarades lui faisaient reproche un jour de sa rareté. « Il est vrai que je ne joue pas fréquemment, répondit-elle; mais une de mes représentations vous fait vivre pendant un mois. » s'éteint! D'ailleurs, le vice crapuleux (1), par lequel elle se laisse dominer, la met trop souvent dans le cas de substituer sur la scène les écarts de sa raison aux désordres des grandes passions qu'elle doit peindre. A qui les conseils d'un amour-propre bien entendu eussent-ils été plus nécessaires qu'à Mlle. Gaussin? Elle ne sent pas qu'il est un tems où il faut se soustraire aux applaudissemens, sans quoi les applaudissemens nous échappent à la fin. Son genre ne peut s'allier avec les rides de l'âge une vieille poupée ne figurera jamais bien dans l'Oracle ni dans les Grâces; Zaïre doit porter l'empreinte sur son front de toute la candeur de son âme. Quand Mlle. Gaussin joue dans cette pièce, on est tenté de demander si c'est à elle que M. de Voltaire adressa, il y a trente ans, cette épître si tendre, si touchante, où le cœur parle plus que l'esprit! Ce qu'elle est, fait oublier ce qu'elle a été. Plus heureuse cependant que Mlle. Dumesnil en un point, elle n'a pas encore de rivale qui la remplace. Ses défenseurs prétendent que son peu d'opulence (2) la met dans le cas de sacrifier sa gloire à son bien-être. Il faut qu'elle soit bien mal à l'aise, ou qu'elle se soucie bien peu de să réputation. (1) Mlle. Dumesnil boit comme un cocher. Son laquais, lorsqu'elle joue, est toujours dans la coulisse, la bouteille à la main, pour l'abreuver. (2) Mlle. Gaussin a eu les amans les plus illustres; mais elle a toujours sacrifié l'intérêt au plaisir. Quand on lui reprochait son extrême facilité, elle disait : « Que voulez-vous? Cela leur » fait tant de plaisir, et il m'en coûte si peu! ». |