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des passions, Hylas et Zélis, pastorale, composée par M. de Sennecterre. Il n'y a que ce dernier qui soit supportable. Le musicien, dont le goût s'est amélioré, l'a fait sur un tout autre ton que les autres. Il s'ensuit une disparate très-remarquable. La musique des premiers actes est faible, maigre et point pittoresque; les paroles sont très-misérables; les ballets ne signifient rien. Le troisième acte consiste dans une bergère qui invoque l'Amour, pour qu'il rende la vue à son amant. Ce dieu lui promet ce miracle, en lui faisant envisager les risques qu'elle court: Hylas peut devenir infidèle. Elle consent à ce danger; elle est presque dans le cas du repentir. Cependant il résiste à tous les charmes que lui présentent les différentes beautés qu'il envisage en recouvrant la vue. En vain des bergères séduisantes par leurs danses cherchent à l'émouvoir, le son de voix de Zélis peut seul pénétrer son âme. Il la retrouve, et ils sont heureux.

L'aveugle auteur de cette entrée a donné lieu au bon mot: Que ce spectacle était un opéra d'aveugle, fait pour être entendu par des sourds.

(7 Juillet.) On a honoré aujourd'hui la mémoire de M. de Crébillon d'une façon plus digne de lui que cette farce qu'on a jouée à St. Jean-de-Latrán: on a donné Rhadamiste et Zénobię. Cette pièce n'a pas fait une grande sensation. On parle de remettre Atrée et Thyeste, le chef d'oeuvre du même auteur.

(8 Juillet.) On écrit de Neuchâtel, que milord Maréchal, gouverneur de cette principauté, a reçu une lettre du roi de Prusse, qui lui marque d'avoir tous les égards possibles pour Rousseau, de l'assurer de sa pro

tection, de lui offrir tous les secours dont il pourrait avoir besoin.

Il y a à Genève une fermentation considérable, occasionnée par la condamnation du livre de Rousseau. Les ministres de l'église réformée prétendent que les séculiers ne l'ont condamné que par esprit de parti, à cause qu'il soutient dans le Contrat social les vrais sentimens de la démocratie, opposés à ceux de l'aristocratie, qu'on voudrait introduire. A l'égard de la doctrine théologique renfermée dans Émile, ils disent qu'on pourrait la soutenir en bien des points; que d'ailleurs on ne lui a pas laissé le tems de l'avouer ou de la rétracter. Ils ajoutent que l'on souffre dans l'état un homme (M. de Voltaire) dont les écrits sont bien plus repréhensibles, et que les distinctions qu'on lui accorde sont une preuve de la dépravation des mœurs, et des progrès de l'irréligion qu'il a introduite dans la république depuis son séjour dans son territoire.

(8 Juillet.) Sancho Pança dans son île, joué aujourd'hui pour la première fois, n'a pas eu le succès qu'on s'en promettait. On l'a jugé trop sévèrement, en exigeant, dans une farce de ce genre, l'esprit et la finesse d'un drame plus délicat. On trouve mauvais que Sancho débite tant de proverbes, qu'il soit gourmand, etc. Il est aisé de juger de là quelle espèce de connaisseurs décide ainsi. Quant à la musique, elle est toujours dans un goût pittoresque, mais elle rentre dans les autres ouvrages de Philidor, et démontre à merveille les bornes du genre. La nature inanimée ne peut se varier, se nuancer à l'infini, comme les passions que caractérise la grande musique.

(9 Juillet.) On ne peut se refuser à consigner un bon mot du roi, qui caractérise également l'excellence de son esprit et de son cœur.

S. M. étant allé voir les nouveaux bureaux de la guerre, il y a quelques jours, entra partout; et dans celui de M. Dubois ayant trouvé une paire de lunettes, mit la main dessus voyons, dit le roi, si elles valent celles dont je me' sers. Un papier, apprêté exprès, suivant les apparences, se trouvá sous sa 'main. C'était une lettre dans laquelle entrait un éloge pompeux du monarque et de son ministre (le duc de Choiseul). S. M. rejetant avec précipitation les lunettes, dit: Elles ne sont pas meilleures que les miennes; elles grossissent trop les objets.

(10 Juillet.) On ne cesse de parler par tout Paris de la farce de St. Jean-de-Latran; on en rit beaucoup. Les comédiens n'ont rien épargné pour faire célébrer avec toute la pompe funéraire le service de M. de Crébillon. L'église était toute tendue de noir, fort illuminée, un catafalque, un dais. La compagnie était des plus nombreuses : l'académie française y avait été invitée; elle s'y rendit par députation : l'opéra, la comédie italienne, tous les corps comiques y ont assisté de même. On est allé à l'offrande dans la plus grande régularité. Les actrices étaient sans rouge. Mlle. Clairon, en long manteau, menait le deuil. Cette sublime Melpomène a représenté avec toute la dignité convenable; arlequin y a figuré aussi; enfin, tout a concouru à rendre cette cérémonie aussi mémorable que risible.

(11 Juillet.) On a représenté, il y a quelques jours, à Bagnolet, chez M. le duc d'Orléans, une pièce en deux

actes, de Collé, si connu par ses amphigouris. Elle a pour titre le Roi et le Meunier (c'est Henri IV). Ce petit drame a eu le plus grand succès, et le mérite par la naïveté qui y règne. M. le duc d'Orléans jouait un des principaux rôles (le Meunier): Grandval faisait Henri IV.

(14 Juillet.) Le sieur Palissot a fait imprimer sa comédie du Rival par ressemblance. Il a abandonné le titre des Méprises, parce que, dit-il, un plaisant s'est écrié ingénieusement que c'était une méprise de l'au

teur.

Il cite modestement pour épigraphe un vers de ses philosophes :

Et nous ferons un bruit à rendre les gens sourds.

Il se plaint encore plus modestement dans sa préface de ce qu'on n'a pas voulu voir en lui un second Molière; il en appelle au public équitable; il trouve qu'il y a beaucoup d'art et de finesse dans son drame; il remarque qu'on n'avait pas encore fait entrer dans. aucune comédie ́un éloge de la nation, et il s'applaudit infiniment de ce trait de son génie.

La pièce est encore plus mauvaise à la lecture qu'à la représentation. Elle est enrichie de notes; et c'est encore une nouveauté sublime dont l'auteur aurait dû se glorifier. C'est un grand effort de son imagination.

(19 Juillet.) On donnera demain à l'opéra des fragmens, composés du Prologue des Indes Galantes, de • l'acte des Sauvages, du même opéra, et de l'acte de la Guirlande, de M. de Marmontel. On ne peut s'empêcher d'être surpris de l'imbécillité des directeurs, qui vont remettre ce dernier acte, baffoué dans son prin

cipe, quoiqu'il fût joué par Geliotte. Quel succès en pouvoir attendre aujourd'hui ? La musique est de Rameau, comme celle des autres fragmens.

(20 Juillet.) Les Fragmens n'ont pas été fort célèbres aujourd'hui : il n'y avait personne. Ils ont été trèsmal remis, et joués d'une façon infâme des acteurs à faire mal au cœur sans mademoiselle Le Mierre, on n'aurait pu y tenir. Rien de nouveau dans les danses.

L'acte de la Guirlande est ingénieux; mais il finit mal. Il ne mérite pourtant pas le traitement rigoureux qu'il a toujours essuyé. On ne sait pourquoi le public l'a si fort mal accueilli cette fois. On ne peut s'empêcher de citer à ce propos une anecdote singulière. On a déjà dit que les paroles étaient du sieur de Marmontel. En 1751, qu'on le jouait, ce poëte eut occasion de prendre un fiacre : c'était un jour d'opéra; son chemin était de passer devant le cul-de-sac. Il dit: Cocher, (craignant l'embarras), évite le Palais-Royal. Ne craignez, monsieur, reprit le rustre ingénu, il n'y a pas trop de tumultè; on donne aujourd'hui la Guirlande.

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(22 Juillet.) M. l'abbé de Marigny, auteur de l'histoire des révolutions de l'empire des Arabes, sous le gouvernement des Califes, est mort, il y a quelque tems, dans un âge fort avancé. Il avait poussé l'avarice à son dernier période.

(22 Juillet.) Le bruit court que le sieur Chevrier est mort de misére, sans feu ni lieu: tel devait être la fin d'un enragé. D'autres assurent qu'il est mort de peur, comme on l'arrêtait.

(31 Juillet.) M. Bouchardon, un des plus fameux sculpteurs de l'Europe, vient de mourir. Il était chargé

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