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de la statue équestre du roi, que la ville fait faire. Heureusement son ouvrage est fort avancé : il ne manque plus qu'une des quatre figures qui doivent orner le piédestal.

(1er. Août 1762.) C'est M. Pigal qui est chargé de continuer la suite des travaux du Roule. Bouchardon a écrit une lettre à la ville, dans laquelle il désigne cet artiste pour lui succéder. Cette générosité est d'autant plus louable, que ces deux grands hommes n'étaient point amis, et que la jalousie, trop souvent le partage des petits talens, avait élevé quelques nuages entr'eux.

(8 Août.) On doit donner demain aux Français une comédie nouvelle, intitulée les deux Amis, en trois actes et en prose. Elle est tirée du conte de La Fontaine qui porte le même titre. Un nommé Dancour, acteur de province, en est auteur. C'est celui qu'on appelle l'arlequin de Berlin, qui s'est avisé de rompre une lance contre Rousseau.

(9 Août.) Jamais on n'a joué sur les boulevards une parade plus obscène, plus grossière, plus impertinente, que la comédie d'aujourd'hui ; c'est le comble du ridicule. Il est inconcevable que des comédiens, qui s'érigent en juges des pièces, aient assez peu de goût pour hésiter même à renvoyer une aussi détestable drogue. Que dira-t-on quand on saura que ce tripot appelle du jugement du public, et persiste à regarder cette farce comme pleine de sel et d'un excellent comique? Quelle honte pour les auteurs dramatiques d'être jugés par un aussi ridicule aréopage!

(10 Août.) Les plaisans s'exercent sur le compte des

ci-devant soi-disant Jésuites. Entre les mauvaises choses qui courent sur eux, on distingue le distique suivant :

Que fragile est ton sort, société perverse!

Un boiteux (1) t'a fondée, un bossu (2) te renverse !

(12 Août.) On ne peut s'empêcher de consigner ici un bon, ou plutôt un grand mot de monsieur le Dauphin. On lui faisait la lecture, pendant qu'il était dans le bain, de la gazette de Hollande, où était la proscription du livre de l'éducation. « C'est fort bien fait, dit monsieur >> le Dauphin ce livre attaque la religion; il trouble la société, l'ordre des citoyens; il ne peut servir qu'à >> rendre l'homme malheureux : c'est fort bien fait. » Il y a aussi le Contrat social, qui a paru très-dange» reux, ajouta le lecteur. Quant à celui-là, c'est » différent, reprit monseigneur; il n'attaque que l'au» torité des souverains: c'est une chose à discuter. II » y aurait beaucoup à dire : c'est plus susceptible de

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>> controverse. »

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(13 Août.) Le chevalier de la Morlière, plus connu par ses escroqueries, son impudence et sa scélératesse, que par ses ouvrages, vient enfin d'être mis à SaintLazare. Sa famille a obtenu cette grâce, de crainte qu'un jour il ne la déshonorât par un supplice ignominieux.

(20 Août.) Il paraît que le procès de Rousseau restelà. On prétend qu'Abraham Chaumeyx est auteur du

(1) St. Ignace.

(2) L'abbé de Chauvelin.

réquisitoire de M. l'avocat - général. Il est aussi plat, aussi dénué de bon sens que son auteur.

(23 Août.) On a remis aujourd'hui l'Irrésolu, comédie en cinq actes, de Destouches. Cette pièce, jouée en 1713, n'eut que six représentations. Nous ne sommes pas moins difficiles aujourd'hui.

(25 Août.) Cette après-midi, l'académie française a tenu sa séance publique, peu brillante aujourd'hui, et l'on a vu, au grand étonnement de tous les spectateurs, deux filles (Mlle. Mazarelli et sa compagne) dans la loge du directeur (Moncrif). Depuis quand le temple des muses devient il celui des courtisanes?

M. Thomas a remporté le prix de poésie. C'est pour la quatrième fois qu'il est couronné. Son ode est intitulée le Tems. C'est du galimatias. Il y a deux strophes de sentiment qui méritent d'être distinguées, mais encore gâtées par l'enflure du style.

par sa

Il avait fait une seconde ode, qui se trouve avoir balancé le prix. Il y a plus de philosophie, et elle est moins bouffie. M. d'Alembert a relevé tout cela déclamation magistrale et pédantesque. Il a également régalé le public de différentes bribes des autres odes qui ont paru les moins mauvaises. Il a fait ensuite ce qu'on peut appeler la parade : il a lu une suite de ses réflexions sur la poésie et sur l'ode. De mauvaises plaisanteries, mêlées de beaucoup d'amertume, faisaient tout le fond de sa dissertation. Ella a fait rire à gorge déployée.

On a annoncé pour sujet du prix de l'année prochaine, l'éloge de M. le duc de Sully, sur-intendant des finances.

On a battu des mains à cette annonce, et quelqu'un a dit avec esprit voilà l'éloge fait.

M. Saurin a fini la séance par la lecture du premier acte d'une tragédie, à laquelle il travaille : c'est un sujet tiré de l'anglais, intitulé dans l'origine, Tancrède et Sigismonde. Il a changé ces nonis en ceux de Blanche et de Guiscard. Les huées soutenues ont empêché d'entendre cette lecture, qui ne promettait rien de satisfaisant, l'auteur n'étant pas un grand tragique. Le ton déclamatoire et l'enthousiasme avec lesquels il a débité cette drogue, à beaucoup fait rire. Il ne s'est point décontenancé de cet accueil peu favorable, et a fini son acte jusqu'au dernier vers, sans doute sans s'apercevoir du mauvais succès qu'il avait.

(26 Août.) Hier, dans la séance de l'académie, on lut une ode sur la patience, où il y avait des idées, du sentiment et de la philosophie. Elle était peu lyrique. On la donna comme méritant des éloges, sans dire le nom de l'auteur. On le connaît aujourd'hui ; c'est monsieur le Mierre.

(27 Août.) L'abbé de Radonvilliers, sous-précepteur des enfans de France, et ex-jésuite, se met sur les rangs pour être de l'académie. Il ne peut faire valoir en sa faveur que son poste à la cour. Aucun mérite de littérature ne milite pour lui, et de ce côté, il est fort inférieur à son concurrent, l'abbé de Voisenon.

(29 Août.) Personne dans le monde littéraire, ne doute que l'éloge de Crébillon, dont on a parlé, ne soit de M. de Voltaire. Il est fâcheux que ce grand homme ne puisse se guérir de la basse jalousie qu'on lui reproche

si justement: il la marque dans cet ouvrage au point de tronquer, de mutiler les vers du Sophocle français,

pour les rendre ridicules. C'est une chose aisée à vérifier par quiconque fera la comparaison. M. de Voltaire ne peut surtout digérer que son rival ait été imprimé au Louvre, tandis qu'il n'a pas encore joui de cet honneur. (30 Août.) Il court dans le monde une plaisanterie de l'abbé de Voisenon. Il faut expliquer le fait.

M. l'abbé de Boismont, le Mirebalais de l'académie, ne paie point ses dettes. Un certain doyen de Valenciennes, auquel il doit une pension sur une abbaye qu'il a, ne pouvant arracher rien de ce gros bénéficier, est venu en personne exiger son dû. Ayant demandé où demeurait cet abbé, il s'est fait une méprise; et au lieu de lui donner l'adresse de l'abbé Boismont, on l'a envoyé chez l'abbé de Voisenon, à Belleville. N'ayant pas trouvé ce dernier, M. le doyen a laissé un billet, qui expliquait la cause de sa venue; sur quoi l'abbé de Voisenon a répondu par la lettre suivante, qui court aujourd'hui tout Paris.

« Je suis fàché que vous ne m'ayez pas trouvé, mon» sieur ; vous auriez vu la différence qu'il y a entre » M. l'abbé de Boismont et moi. Il est jeune, et je suis » vieux; il est fort et robuste, et je suis faible et valé» tudinaire ; il prêche, et j'ai besoin d'être prêché; il » a une grosse et riche abbaye, et j'en ai une très» mince; il s'est trouvé de l'académie sans savoir pourquoi, et l'on me demande pourquoi je n'en suis pas ;. » il vous doit une pension enfin, et je n'ai que le desir » d'être votre débiteur. Je suis, etc. >>

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(4 Septembre 1762.) M. Colardeau s'est senti blessé

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