langue étrangère, et dont le héros est Arlequin, qui varie ses rôles et les rend à sa fantaisie. On ne conçoit guère pourquoi les Italiens ont pensionné de deux mille écus un auteur qui ne leur est pas d'une plus grande utilité. On espérait que le sieur Goldoni monterait sur la planche. Apparemment que sa qualité d'avocat ne lui a pas permis cette incartade, ou qu'il ne présume pas assez de ses talens. (7 Mars.) On a joué à la cour le Devin du Village. Quelques acteurs de la comédie italienne y ont chanté avec Geliotte, entr'autres Caillaud, qui a le bonheur de plaire au roi. S. M. a les plus grandes bontés pour lui. Mademoiselle Le Mierre, aujourd'hui madame Larrivée, ayant voulu chanter à ce divertissement, a trouvé sa voix en défaut. On attribue cet évènement à un accident survenu dans le voyage: elle est grosse d'ailleurs. (11 Mars.) Favart a eu ordre du gouvernement, c'est-à-dire, des ducs de Choiseul et de Praslin, de composer une pièce de théâtre pour la paix, qui sera jouée lors de la distribution des denrées, et du feu de paille qui doit être fait incessamment. On veut que cette comédie soit jouée aux Français. (13 Mars.) Le divertissement et la comédie pour la paix, qui devaient être joués aujourd'hui, sont renvoyés à demain. La pièce qui devait être intitulée l'Antipathie vaincue, est nommée l'Anglais à Bordeaux. L'ambassadeur d'Angleterre a demandé ce changement. Au reste, le sieur Favart l'a portée chez tous les ministres étrangers, pour savoir s'ils n'y trouvaient rien qui pût les blesser. Ils en ont été très-contens. Pour les flatter davantage, on a ordonné de jouer Brutus, tragédie de M. de Voltaire, où l'on sait qu'il y a un éloge magnifique de la dignité des fonctions d'un ambassadeur. (14 Mars.) L'Anglais à Bordeaux a été reçu avec beaucoup d'applaudissemens. On y a trouvé de l'esprit infiniment, mais de l'esprit à la Voisenon, délicat, manîéré, précieux, revenant souvent sur la même pensée,' qu'il décompose et reproduit sous toutes sortes de faces. Cette pièce, en un acte, ne peut figurer vis-à-vis du Français à Londres; celle-ci est infiniment supérieure. Traçons l'esquisse de l'Anglais à Bordeaux. Un milord est prisonnier d'un français, qui a une soeur folle à l'excès;' il en devient amoureux : son frère l'est de la fille de' l'anglais; il cherche tous les moyens de vaincre l'antipathie de celui-ci contre notre nation; et comme il refuse tous ses services, il intéressé le valet de son prisonnier à lui faire tenir une lettre de change de deux mille guinées de la part d'un de ses amis de Londres. Cet ami arrive pour épouser la fille du milord, qui lui ̈ était promise. Il ne la trouve pas bien favorablement disposée'; il se doute qu'elle a formé quelqu'inclination.' Son père survient, remercie son ami de sa lettre de change. Celui-ci n'y comprend rien. On éclaircit le fait. La générosité du français, mise dans tout son jour, pénètre l'un de reconnaissance, l'autre d'admiration. Ce dernier se trouve à son tour lui avoir les obligations les plus grandes, puisqu'il lui doit la vie. On découvre qu'il aime la fille de l'anglais; que celle-ci a'du retour pour lui. Le nouvel arrivé la cède généreusement, et' donne tout son bien à ces amans. On reçoit dans l'instant les nouvelles de la paix de lă un divertissement fort plat. On fait danser toutes sortes de nations, jusqu'à des nègres; puis on chante des couplets misérables. Dans le courant de la pièce, on avait amené un vive le roi! Quelques voix dans le parterre ont fait chorus : il n'a pas été général à beaucoup près. (16 Mars.) M. l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, sous-précepteur des enfans de France, a été élu avanthier de l'académie française. (21 Mars.) Il se trouve à Paris un arrière-petit-fils de Racine les femmes. Comme il ne reste aucun par mâle, que le dernier mort et son fils avaient très-peu joui de leurs entrées, droit héréditaire dans une famille aussi illustre pour le théâtre, que personne ne recueillait cette espèce de succession littéraire, ce jeune homme a cru pouvoir se présenter et attendre cette grâcẹ du respect et de la reconnaissance des comédiens pour leur bienfaiteur. Leur procédé noble en faveur de son cousin, de la petite-fille de Corneille, de Crébillon, etc. lui étaient garans de leur générosité. Les histrions ont démenti en un instant toute la bonne opinion qu'avaient conçu d'eux les gens qui ne connaissent pas les ressorts du cœur humain. Comme cette grâce a été demandée sourdement, qu'ils n'ont pas espéré qu'elle fìt un grand éclat, que le faste et l'ostentation sont ce qui les détermine plus ou moins aux bonnes actions, ils ont refusé tout net les entrées à l'arrière-petit-fils de Racine, en ce que cette grâce porterait un grand tort à leurs intérêts, ont-ils dit, étant déjà trop multipliées. Leur âme vile et sordide s'est montrée à découvert en cette occasion. (24 Mars.) L'Anglais à Bordeaux a été joué à la cour. Le roi, la reine et la famille royale ont voulu voir l'auteur. En conséquence, Favart s'y est rendu. Il a été accueilli avec beaucoup de bonté. Au moment où on l'a conduit chez la marquise, elle lisait un conte de Marmontel, la Bergère des Alpes. Cette grande dame a exigé qu'il en fit une pièce; ce qui sera exécuté. L'abbé de Voisenon recueille indirectement tous les éloges donnés à l'autre : il s'en défend avec la plus grande modestie; mais l'esprit de la pièce est trop marqué à son type pour le méconnaître. (25 Mars.) On commence à répandre les bons mots des enfans de France: on en cite deux entr'autres qui décèlent leur manière de penser. Le duc de Berry, en parlant, avait lâché le mot il pleuva. « Ah! quel barbarisme! (s'écria le comte de » Provence) mon frère; cela n'est pas beau; un prince » doit savoir sa langue. Et vous, mon frère, (reprit l'aîné) vous devriez retenir la vôtre. » Le duc de Chartres étant allé faire sa cour aux enfans de France, il appelait toujours M. le duc de Berry, monsieur. «< Mais, (dit ce jeune prince) monsieur le » duc de Chartres, vous me traitez bien cavalièrement ! » ne devriez-vous pas me donner du monseigneur ? » Non, (reprit vivement M. le comte de Provence) » non mon frère; il vaudrait mieux qu'il dit mon >> cousin. »> 1 (26 Mars.) M. l'abbé de Radonvilliers a été reçu aujourd'hui. Rien de plus plat que son discours et de plus platement débité. Il a voulu le réciter de mémoire: c'était une suite d'éloges lourds et maladroits. Il n'y a que le pauvre Marivaux, dont il a restreint les louanges, attendu le genre pernicieux et condamnable dans lequel il a écrit. C'est quelque chose d'assez plaisant, que cet" auteur fameux par ses romans et par ses comédies, se soit trouvé dans le cas d'être panégyrisé par un prêtre d'une part, et par un cardinal de l'autre ; car c'est le cardinal de Luynes qui avait été directeur. Il faut remarquer que cet auteur avait été reçu par un archevêque, M. Languet, qui, au lieu de lui donner le tribut d'encens usité en pareil cas, l'avait vivement tancé sur l'usage dangereux de ses talens. Le candidat ayant pérøré, le directeur ayant répondu, messieurs s'étant regardés avec quelque confusion, ils ont levé le siège, n'ayant rien de plus à dire. C'est peut-être la première fois que la salle n'a retenti d'aucuns battemens de mains. Isa séance a duré environ une demi-heure. (31 Mars.) M. Dorat, en philosophe, s'est joint au public pour trouver une de ses pièces mauvaise : il a fait à cette occasion une épître gentille. La voici : elle s'adresse à un ami. Au milieu des plus grands revers, Tu dis que le sage plaisante, Et qu'il verrait sans épouvante La ruine de l'univers. J'en fais mon compliment au sage : Cette héroïque fermeté ', Est bien digne de notre hommage; Mais jamais ce triste courage |