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Il n'y a que vous qui ne vieillissez point, inimitable Dangeville! Toujours fraiche, toujours nouvelle; à chaque fois on croit vous voir pour la première. La nature s'est plu à vous prodiguer ses dons, comme si l'art eût dû tout vous refuser, et l'art s'est efforcé de vous enrichir de ses perfections, comme si la nature ne yous eût rien accordé. Quel feu dans votre dialogue! Quelle expression dans votre scène muette! Quelle force. comique dans le moindre de vos gestes! Quel aveugle préjugé vous refuse dans la société (1) un esprit qui pétille dans vos yeux, qui brille sur toute votre physionomie! Si l'on voulait personnifier cette intelligence humaine, on ne pourrait lui donner une figure mieux assortie que la vôtre. Continuez à faire les délices et l'admiration de la scène française. Que sur votre modèle puissent se former des actrices dignes de vous remplacer espoir d'autant moins fondé, que plus elles auront de sagacité pour saisir la finesse de votre jeu, plus elles. se sentiront hors d'état de vous atteindre.

Quant aux dix autres actrices (dont quatre pensionnaires à l'essai) qui composent la troupe femelle de cette comédie, nous ne les tirerons point de la foule, qu'elles ne se soient distinguées par leurs talens. Quelques-unes donnent des espérances, d'autres ont une figure à laquelle nous rendons hommage dès à présent.

De quinze acteurs que compte la comédie (dont deux à l'essai ), s'il n'en est peut-être aucun aussi transcendant que les quatre femmes quatre femmes que nous venons de nommer,

(1) On prétend que Mlle. Dangeville est buse en conversation.

il en est peu qui n'aient du moins un mérite particulier. Le jeune Molé attrape le ton sémillant d'un marquis éphémère. L'emphase de Paulin, dans ses rôles de tyran, ne messied pas. D'ailleurs, il excelle à faire le paysan. Un récit plein de feu ou de pathétique est trèsbien rendu par Dubois; Bonneval joue le sot à merveille; Dangeville le niais; Armand a toute l'effronterie, toute la scélératesse des valets de l'ancienne comédie : ses allures, son ton, son visage ne conviennent point à la finesse, à la décence de ceux de la nouvelle. Les acteurs que le public distingue, sont Grandval, Bellecour, le Kain, Préville et Brizard.

Grandval et Bellecour courent la même carrière dans les deux genres. Le premier a plus d'importance, plus de morgue, plus de faste; l'autre a plus de naturel, plus d'aisance, plus de fatuité. Les rôles d'ironie, de dédain, de mépris, conviennent mieux au premier; ceux d'entrailles, d'onction, de pathétique, mieux au second; celui-là nous paraît fait davantage pour le comique, où il est permis de charger, d'enchérir sur le pinceau de l'auteur; celui-ci est mieux dans le tragique, où il faut souvent rapprocher de la nature un rôle gigantesque que le poëte en a trop écarté. Grandval est plus consommé ; nous espérons que Bellecour sera quelque jour plus fini. Tous deux sont hommes à bonnes fortunes (1), et

(1) On raconte qu'une femme de très-grande considération s'étant engouée de Grandval, l'envoya chercher, l'admit dans un tête-à-tête ménagé exprès, et filant peu-à-peu sa défaite, lui dit, en regardant des portraits de famille qui ornaient l'appartement : « Ah! Grandval, que diraient ces héros, s'ils me

puisent dans le commerce des femmes cet air de triomphe et d'impudence qui va si bien aux héros de théâtre.

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Il fallait que le Kain fût acteur né, puisque M. de Voltaire l'a jugé tel (1), malgré son organe ingrat et sa figure ignoble. Le public est fort partagé sur ce comédien les uns le regardent comme sublime, d'autres comme détestable. C'est qu'il y'a de grandes beautés dans son jeu, et de grands défauts. Les premières empêchent ses partisans de voir les autres, et ceux-ci font disparaître celles-là aux yeux de ses contempteurs. L'art quelquefois le fait aller au-delà de la nature; il reste quelquefois en deçà, pour ne pas donner assez à l'art. Assemblage étonnant de grandeur et de bassesse, de sublime et d'enflure! On doit ou l'admirer à l'excès, ou le dégrader souverainement.

Préville est admirable pour la pantomime : il est acteur jusqu'au bout des doigts; ses moindres gestes font épigramme; il charge avec tout l'esprit possible; c'est le Callot du théâtre. Aussi inimitable que Mlle. Dangeville, il n'est pas aussi étendu dans son genre; sa figure ne comporte point certains rôles, où il faut jouer la dignité, à laquelle l'actrice atteint quand elle veut. Rien de si agréable que de les voir en présence l'un de l'autre ils sont faits pour dérider les fronts les plus

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» voyaient entre vos bras?.... Ils diraient, répondit l'impudent > vainqueur, ils diraient que vous êtes une putain.

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(1) C'est M. de Voltaire qui a produit le Kain à la comédie, après l'avoir fait jouer long-tems chez lui ses différentes pièces; et en général, il faut convenir que ce sont celles que le Kain joue le mieux.

graves, pour évertuer les plus stupides, pour rendre l'esprit palpable aux plus sots.

Brizard est le dernier dont nous avons à parler. Il a la majesté des rois, le sublime des pontifes, la tendresse ou la sévérité des pères. C'est un très-grand acteur, qui joint la force au pathétique, la chaleur au sentiment. Il est généralement admiré. Nous ne voyons personne qui lui refuse son suffrage, et son jeu n'a encore essuyé aucune critique.

D'après ce détail, il est aisé de juger que le théâtre de la comédie française a les acteurs les plus parfaits de l'Europe. Quoiqu'en disent les censeurs, qui n'admirent jamais le présent, nous croyons fort que la génération comique actuelle vaut la génération passée, que les Bayrons et les Montménils sont remplacés, et que les Roscius antiques ne dédaigneraient pas d'applaudir aux Roscius modernes.

(28 Février.) Aujourd'hui que la comédie italienne est à son plus haut degré de faveur et d'illustration, il est essentiel d'établir la position actuelle de ce spectacle.

On y compte quinze acteurs (dont trois provenant de l'opéra-comique, et deux à la pension) et treize actrices (dont quatre à la pension, et deux provenant de l'opéracomique). Dans cette multitude, à peine trouvonsnous quelques personnages qui méritent qu'on en parle. Carlin passe pour être un très-grand arlequin : il est

fait

pour dérider les fronts nébuleux, on lui trouve de la fécondité, beaucoup de variété dans ses lazzis, une souplesse étonnante dans son jeu ; il provoque, malgré qu'on en ait, la grosse gaité; mais c'est un arlequin. De Hesse est acteur, valet du premier ordre ; il entend

d'ailleurs à merveille la choréographie. Nous trouvons dans Rochard un chanteur agréable; il a de la propreté, du goût; il joue quelques rôles passablement. La Ruette répare à force d'art la nature la plus ingrate; c'est un musicien consommé. On desirerait entendre encore Clairval sur le théâtre de l'opéra-comique; son filet de voix se perd sur celui des Italiens: on en voit assez pour regretter qu'il n'en puisse pas faire entendre davantage. Le robuste Audinot rend au naturel la grossièreté des mœurs du peuple. Tous ces talens divers sont éclipsés celui de Cailleau; c'est un comédien qui a toutes les qualités, à la noblesse près: sa voix embrasse tous les genres; elle se monte à tous les tons; elle vaut un orchestre entier : il est principalement fait pour la parodie.

par

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Madame Favart a été long-tems l'héroïne des Italiens, apparemment parce qu'elle n'était point surpassée par d'autres. En général, elle est médiocre; elle a la voix. maigre, manque de noblesse, et substitue la finesse à la naïveté, les grimaces à l'enjouement, enfin l'art à la nature. On a beaucoup applaudi au début de Mlle. Pic- ́ cinelli; c'est une cantatrice du premier ordre : elle n'at pourtant pas dans le gosier cette flexibilité qu'exige l'italien pour être chanté dans sa première perfection. Du reste, elle n'est propre en rien au théâtre. Mademoiselle Villette, transfuge de l'opéra, a été mieux accueillie à ce spectacle: son volume de voix, trop médiocre pour le premier théâtre, a mieux rempli celui des Italiens; elle a un air niais qui s'adapte à certains rôles; mais elle n'est rien moins qu'actrice; elle n'a ni chaleur ni sentiment. On devrait s'applaudir de l'acqui

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