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DÉCLARATION

DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU

RELATIVE

A M. LE PASTEUR VERNES

QU'IL AGCUSOIT D'ÊTRE L'AUTEUR DU LIBELLE INTITULÉ
SENTIMENT DES CITOYENS.

C'EST un des malheurs de ma vie qu'avec un si grand desir d'être oublié je sois contraint de parler de moi sans cesse. Je n'ai jamais attaqué personne, et je ne me suis défendu que lorsqu'on m'y a forcé; mais quand l'honneur oblige de parler c'est un crime de se taire. Si M. le pasteur Vernes se fût contenté de désavouer l'ouvrage où je l'ai reconnu, j'aurois gardé le silence. Il veut de plus une déclaration de ma part, il faut la faire; il m'accuse publiquement de l'avoir calomnié, il faut me défendre : il demande les raisons que j'ai eues de le nommer, il faut les dire: mon silence en pareil cas me seroit reproché, et ce reproche ne seroit pas injuste. Les préventions du public m'ont appris depuis longtemps à me mettre au-dessus de sa censure; il ne m'importe plus qu'il pense bien ou mal de moi, mais il m'importera toujours de me conduire de telle sorte que quand il en pensera mal il ait tort.

Je dois dire pourquoi, faisant réimprimer à Paris un libelle imprimé à Genève, je l'ai attribué à M. Vernes; je dois déclarer si je continue, après son désaveu, à le croire auteur du libelle; enfin je dois prendre, sur la réparation qu'il desire le parti qu'exigent la justice et la raison. Mais on ne peut bien juger de tout cela qu'après l'exposé des faits qui s'y rapportent.

Au commencement de Janvier, dix ou douze jours après la publication des Lettres écrites de la montagne, parut à Ge

)

.

:

nève une feuille intitulée Sentiment des citoyens : on m'expé

dia par la poste un exemplaire de cette pièce pour mes étrennes. Après l'avoir lue, je l'envoyai de mon côté à un libraire de Paris, comme une réponse aux Lettres écrites de la montagne, avec la lettre suivante :

« Je vous envoie, monsieur, une pièce imprimée et publiée à « Genève, et que je vous prie d'imprimer et publier à Paris, pour < mettre le public en état d'entendre les deux parties, en atten« dant les autres réponses plus foudroyantes qu'on prépare à « Genève contre moi. Celle-ci est de M. Vernes, ministre du < saint Évangile, et pasteur à Céligny : je l'ai reconnu d'abord à < son style pastoral. Si toutefois je me trompe, il ne faut qu'at< tendre pour s'en éclaircir; car, s'il en est l'auteur, il ne man< quera pas de le reconnoître hautement selon le devoir d'un « homme d'honneur et d'un bon chrétien; s'il ne l'est pas, il la « désavouera de même, et le public saura bientôt à quoi s'en

« tenir.

« Je vous connois trop, monsieur, pour croire que vous vou«lussiez imprimer une pièce pareille, si elle vous venoit d'une << autre main; mais puisque c'est moi qui vous en prie, vous ne « devez vous en faire aucun scrupule. Je vous salue de tout mon

<< coœur. »

A peine la pièce étoit-elle imprimée à Paris, qu'il en fut expédié, sans que je sache par qui, des exemplaires à Genève avec ces trois mots: Lisez, bonnes gens, cela donna occasion à M. Vernes de m'écrire plusieurs lettres, qu'il a publiées avec mes réponses, et que je transcris icide l'imprimé.

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On a imprimé une lettre signée Rousseau, dans laquelle on me somme en quelque manière de dire publiquement si je suis l'auteur d'une brochure intitulée Sentiment des citoyens. Quoique je doute fort que cette lettre soit de vous, monsieur, je suis cependant tellement indigné du soupçon qu'il paroît qu'ont quelques personnes relativement au libelle dont il est question, que j'ai cru devoir vous déclarer que non seulement je n'ai aucune part à cette infâme brochure, mais que j'ai partout témoigné l'horreur qu'elle ne peut que faire à tout honnête homme. Quoique vous m'ayez dit des injures dans vos Lettres écrites de la montagne, parceque je vous ai dit sans aigreur et sans fiel que je ne pense pas comme vous sur le christianisme, je me garderai bien de m'avilir réellement par une vengeance aussi basse que celle dont des gens qui ne me connoissent pas sans doute ont pu me croire capable. J'ai satisfait à ma conscience en soutenant la cause de l'Évangile, qui m'a paru attaquée dans quelques uns de vos ouvrages: j'attendois une réponse qui fût digne de vous, et je me suis contenté de dire en vous lisant : Je ne reconnois pas M. Rousseau. Voilà, monsieur, ce que j'ai cru devoir vous déclarer; et, pour vous épargner dans la suite de nouvelles lettres de ma part, s'il paroît quelque ouvrage anonyme où il y ait de l'humeur, de la bile, de la méchanceté, je vous préviens que ce n'est pas là mon cachet.

RÉPONSE.

Motiers, le 4 février 1765.

J'AI reçu, monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 2 de ce mois, et par laquelle vous désavouez la pièce intitulée Sentiment des citoyens. J'ai écrit à Paris pour qu'on y supprimât l'édition que j'y ai fait faire de cette pièce : si je puis contribuer en quelque autre manière à constater votre désaveu, vous n'avez qu'à ordonner. Je vous salue, monsieur, très humblement.

SECONDE LETTRE

DE MONSIEUR LE PASTEUR VERNES.

Genève, le 8 février 1765.

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J'AVOUE, monsieur, que je ne reviens point de ma surprise. Quoi! vous êtes réellement l'auteur de la lettre qui précède le libelle et des notes qui l'accompagnent! Quoi! c'est vous de qui j'ai été particulièrement connu, et qui m'assurâtes si souvent de toute votre estime; c'est vous qui non seulement m'avez soupçonné capable de l'action la plus basse, mais qui avez fait imprimer cet odieux soupçon! c'est vous qui n'avez point craint de me diffamer dans les pays étrangers, et, s'il eût été possible, aux yeux de mes concitoyens, dont vous savez combien l'estime doit m'être précieuse! Et vous me dites après cela, avec la froideur d'un homme qui auroit fait l'action la plus indifférente : J'ai écrit à Paris pour qu'on y supprimát l'édition que j'ai fait faire de cette pièce : si je puis contribuer en quelque autre manière à constater votre désaveu, vous n'avez qu'à ordonner! Vous parlez, sans doute, monsieur, d'une seconde édition, car la première est épuisée. Et, par rapport au désaveu, ce n'est pas le mien qu'il s'agit de constater, je l'ai rendu public, comme vous m'y invitiez dans votre lettre au libraire de Paris; j'ai fait imprimer celle que j'ai eu l'honneur de vous écrire : mon devoir est rempli; c'est à vous maintenant à voir quel est le vôtre : vous devriez regarder comme une injure si je vous indiquois ce qu'en pareil cas feroit un honnête homme. Je n'exige rien de vous, monsieur, si vous n'en exigez rien vous-même. J'ai l'honneur, etc.

RÉPONSE.

Motiers, le 15 février 1765..

De peur, monsieur, qu'une vaine attente ne vous tienne en suspens, je vous préviens que je ne ferai point la déclaration que vous paroissez espérer ou desirer de moi. Je n'ai pas besoin de

vous dire la raison qui m'en empêche, personne au monde ne la sait mieux que vous.

Comme nous ne devons plus rien avoir à nous dire, vous permettrez que notre correspondance finisse ici. Je vous salue, monsieur, très humblement.

TROISIÈME LETTRE

DE MONSIEUR LE PASTEUR VERNES.

MONSIEUR,

Genève, le 20 février 1765.

JE terminerois volontiers une correspondance qui n'est pas plus de mon goût que du vôtre, si vous ne m'aviez pas mis dans l'impossibilité de garder le silence : le tour que vous avez pris pour ne pas donner une déclaration qui me paroissoit un simple acte de la justice la plus étroite, et que par là je ne croyois pas devoir exiger de vous; ce tour, dis-je, est sans doute susceptible d'un grand nombre d'explications : mais il en est une qui touche trop à mon honneur pour que je ne doive pas vous demander de me déclarer positivement si vous soupçonneriez encore que je suis l'auteur du libelle, malgré le désaveu formel que je vous en ai fait publiquement. Je n'ose me livrer à cette interprétation qui vous seroit plus injurieuse qu'à moi; mais il suffit qu'elle soit possible pour que je ne doute pas de votre empressement à me dire si je dois l'éloigner absolument de votre pensée. C'est là tout ce que je vous demande, monsieur : ce sera ensuite à vous à juger s'il vous convient de laisser à la phrase dont vous vous êtes servi une apparence de faux-fuyant, ou de me marquer nettement dans quel sens elle doit être entendue. Ce qu'il y a de certain c'est que je ne crains point de vous voir sortir du nuage où vous semblez vous cacher. J'ai l'honneur d'être, etc.

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La phrase dont vous me demandez l'explication, monsieur, ne

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