tinction des notes relatives aux Jésuites et aux Provinciales, et des Pensées qui devaient entrer dans son grand ouvrage sur la religion. L'année 1656, qui semble absorbée tout entière par le travail des Provinciales, fournit donc elle-même des matériaux à l'apologie. Pascal devint de plus en plus impatient de travailler à la réfutation de l'incrédulité, et sitôt que la lutte fut, non pas terminée, mais du moins assoupie, il saisit avec empressement les loisirs qu'il se ménageait pour s'occuper de son œuvre chérie. Ce fut pendant l'année 1657, dans les intervalles des factums qu'il composait au nom des curés de Paris, qu'il en écrivit les plus longs et les plus beaux fragments. Sa prodigieuse activité suffisait à tout, et il se reposait de ses luttes acharnées dans la méditation calme et sereine des vérités chrétiennes. Si l'on prenait à la lettre le récit de Mme Perier, il aurait été réduit ensuite par ses infirmités à une impuissance absolue de travail, car elle nous dit qu'il ne pouvait plus rien faire les quatre années qu'il vécut encore 1. Cependant on ne peut douter qu'il n'ait continué son œuvre, méditant toujours et écrivant les petites notes lorsque la douleur lui laissait quelque relâche, dictant à son domestique ou à Mme Perier elle-même ses réflexions, lorsque sa main était plus malade qu'une intelligence dont la mort seule devait éteindre pour nous la vie. 1 Lettres, Opusc., etc., p. 52. Les parents et les amis de Pascal savaient trèsbien que ses dernières années avaient été consacrées à un travail sur la religion. Plusieurs fois il s'en était entretenu au sein de sa famille, et il en avait exposé le plan aux solitaires de PortRoyal. Aussi, immédiatement après sa mort, on eut hâte de recueillir ce qu'il avait écrit à ce sujet, fragments étendus, notes rapides. On trouva le tout sur des morceaux de papier, de toute grandeur et de toute forme, enfilés en liasses, sans aucun ordre et au hasard. Un premier examen montra bientôt que ces papiers renfermaient non-seulement les matériaux de l'ouvrage apologétique, mais des pensées détachées sur divers sujets de littérature, de philosophie et de morale. On les copia d'abord, et lorsqu'on put les lire et les étudier à loisir, on les trouva si imparfaites et si confuses qu'on renonça d'abord à en rien imprimer. Mais il fallut céder, dit E. Perier, dans sa préface, aux instances d'une infinité de personnes qui ayant entendu parler du dessein de Pascal, voulaient voir ce qu'il en avait exécuté. La confiance absolue que ses parents et ses amis avaient dans son génie et ses lumières, rendit sans doute leur consentement facile, et ils se déterminèrent à publier ces écrits posthumes. Mais les circonstances étaient peu favorables. Au fort de ses luttes contre les évêques et Louis XIV, Port-Royal n'avait guère de loisirs pour un travail d'éditeur. On attendit, et ce ne fut qu'après la paix de l'Église en 1669, qu'on revint aux écrits de Pascal. Jamais publication n'avait offert peut-être tant de difficultés. Avant tout, il ne fallait pas rompre une paix si difficilement obtenue et rentrer dans une lutte fatale. Or, tirer de son tombeau le héros du Jansénisme, ce Pascal qui à lui seul était une légion, dont le seul nom était un signal de combat, n'était-ce pas recommencer la guerre ? Au moins ne fallait-il pas le présenter au pouvoir justement ombrageux de l'Église et du roi, revêtu de toutes armes. Il était absolument nécessaire de le dépouiller d'abord de son armure de sectaire, de lui ôter tous les traits exclusivement dirigés contre les Jésuites, tout ce qui n'allait qu'à l'attaque des constitutions pontificales, des décrets royaux, et à la défense des dogmes jansénistes. Mais les fragments apologétiques eux-mêmes devaient porter l'empreinte de l'époque à laquelle ils avaient été composés. Malgré lui, Pascal avait dû mêler à la défense du Christianisme la dé fense de la religion janséniste qu'il regardait comme le Christianisme véritable, et confondre dans sa pensée les athées et les Jésuites. Et, en effet, plusieurs fragments portaient la trace de cette confusion et étaient marqués du double caractère du chrétien et du sectaire 1. C'était donc une nécessité de retrancher non-seulement ce qui était exclusivement relatif aux querelles récentes, mais encore ce qui pouvait s'y rapporter indirectement et d'une manière accidentelle. Ce n'est pas tout. Considérées abstractivement et isolées de l'ensemble de l'ouvrage, quelques pensées pouvaient paraître encore blesser l'orthodoxie. Esprit entier et absolu, caractère audacieux et fier, Pascal avait dû se plaire quelquefois à lancer à la tête des faibles et des timides d'apparents paradoxes, à frapper l'imagination pas des traits hardis et soudains. Ses amis ne pouvaient prendre trop de précautions. Ils ne se dissimulaient pas que son œuvre serait accueillie par une curiosité soupçonneuse qui chercherait à se défendre de l'admiration en attaquant la foi de l'écrivain. D'ailleurs, suivant l'usage d'alors, l'ouvrage de Pascal roulant surtout sur la religion, ne pouvait paraître qu'après examen et avec approbation • Voir, par exemple, t. I, p. 265. des docteurs. Sans doute les éditeurs avaient le droit de choisir eux-mêmes leurs juges, mais à Paris, ils étaient tenus d'en prendre une partie dans le sein de la faculté de théologie: or, la Sorbonne avait malmené le Jansénisme. PortRoyal tenait essentiellement à ces approbations, et ce fut avec grand empressement qu'il les rechercha. Aussi la première édition des Pensées parut-elle revêtue de l'approbation de trois évêques, d'un archidiacre et de treize docteurs de Sorbonne. Mais on comprend que de suppressions, que de changements il fallut pour satisfaire tant de monde, et nous savons par les pièces du temps que ce fut un labeur interminable. L'œuvre des amis de Pascal était achevée à la fin de 1668: le livre ne fut cependant imprimé qu'à la fin de l'année suivante et ne parut qu'au commencement de 1670. Les approbateurs le gardèrent six mois. Encore toutes ces précautions faillirent-elles n'être pas suffisantes. Une curieuse relation que l'éditeur des Pensées, Desprez, adressa à Mme Perier d'une visite qu'il avait faite à Péréfixe, archevêque de Paris, nous met au courant de toute cette affaire. Les Pensées venaient d'être imprimées lorsque l'archevêque manifesta le désir d'en avoir un exemplaire. Toujours inquiet, le parti crut qu'il |