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y avait quelque cabale sous cette demande, et qu'on voulait arrêter le débit de l'ouvrage; d'autant plus que l'archevêque priait de ne le pas mettre en vente avant qu'il lui eût été présenté. Aussi Desprez ne se rendit pas auprès de lui sans avoir pris conseil d'Arnauld, de Nicole et de tous les chefs de la secte.

Après les premières civilités qui furent trèsgracieuses de la part de l'archevêque, celui-ci dit à Desprez: « Un fort habile homme m'est venu >> voir; ce n'est pourtant pas un homme de >> notre métier, ce n'est pas un théologien (c'é>> tait Fénelon !); il m'a dit qu'il avait lu le livre >> de M. Pascal, et qu'il fallait demeurer d'ac>> cord que c'était un livre admirable; mais qu'il >> y avait un endroit dans ce livre où il y avait >> quelque chose qui semblait favoriser la doc>> trine des Jansénistes, et qu'il valait mieux faire >> un carton que de laisser quelque chose qui >> pût en troubler le débit; qu'il en serait fâché >> à cause de l'estime qu'il avait pour la mémoire >> de feu M. Pascal. »

Desprez remercia l'archevêque de son intérêt, et chercha à le rassurer : « Je lui exprimai de >> mon mieux, ajoute-t-il dans sa relation, que >> depuis qu'on imprime on n'avait point imprimé >>> de livre qui ait été examiné avec plus de ri>> gueur et de sévérité que celui-là; que les ap>> probateurs l'avaient gardé six mois pendant >> lesquels ils l'avaient lu et relu, et que tous les >> changements qu'ils ont trouvé à propos de >> faire on les avait faits sans en excepter un >> seul; que personne ne pouvait lui en rendre v un compte plus exact que moi, d'autant que >> M. votre fils m'avait chargé du soin de ces ap>>> probations; que c'était moi qui en avais été le >> solliciteur auprès de messeigneurs les prélats >> et de MM. les docteurs; que c'était pourquoi >> je pouvais lui en parler positivement, et par>> tant qu'il devait être assuré qu'on n'y avait >> rien laissé passer qui pût commettre ni celui » qui en était l'auteur, ni sa mémoire.

>>> -Et quels sont ces approbateurs?» demanda ensuite l'archevêque. Desprez les lui nomma. « Ce sont de fort honnêtes gens, reprit-il. Je suis >> assuré que M. l'abbé Le Camus (depuis évêque >> de Grenoble et cardinal) n'y aura rien laissé >> passer que de fort à propos. Voyons son approba>> tion. » Il la lut et la trouva bien écrite et digne d'un homme de qualité (Saint-Simon n'aurait pas mieux dit). Puis parcourant les noms des autres approbateurs : « Hum, hum, s'écria-t-il; voilà >> de leurs gens... C'est un grand fait que ces >> gens-là ne sauraient s'empêcher de parler de >> leur grâce (quel scandale cette exclamation dut >> exciter dans le monde Janséniste!); une chose

>> où il faut dire O altitudo, ils la veulent faire >> passer pour article de foi. >>>

Il parla ensuite à Desprez du témoignage de Beurrier dont il a été question plus haut, s'entretint avec éloge de Pascal, assura qu'il aurait donné de bon cœur son approbation, si on la lui eût demandée, et se tournant vers un de ses aumôniers : « Je trouve bien étrange, lui dit-il, » qu'on imprime comme cela des livres qui re>> gardent la religion, sans m'en parler, sans ma >> participation. Il n'y a qu'à Paris où cela ne se >> pratique pas. Cardans tous les autres diocèses, >> on n'oserait rien imprimer qui regarde la piété » sans la participation de l'évêque ou de ses >> grands vicaires. N'est-il pas vrai, M. l'aumô>> nier? - « Il est vrai, Monseigneur, répondit >> celui-ci, et cela est même très-important. >>| >> Il faut, reprit le prélat, que je pense un peu >> à cela. » Et revenant à Desprez: « Que n'avez>> vous pris, lui dit-il, l'approbation de nos pro>>> fesseurs? » Desprez se contenta de répondre que s'il en était réduit là, il serait obligé de fermer boutique, parce que les professeurs apporteraient à l'examen des délais interminables. Après quoi, l'archevêque s'informa de nouveau de Pascal, de sa famille, et l'heure de vêpres venant à sonner, il congédia Desprez en l'invitant très-obligeamment à lui faire l'amitié de le venir voir 1.

On voit par là que de difficultés rencontrait la publication des Pensées ducóté des approbateurs. Chacun d'eux se crut obligé de fournir son contingent d'observations, de changements de toute nature. Autrement quel eût été leur rôle? tout passif et inutile: ils ne pouvaient évidemment s'y condamner; c'eût été au-dessous de leur dignité et de leur mérite. Nous lisons dans une lettre de Choiseuil, évêque de Comminges (un des fidèles pourtant), adressée à Étienne Perierle 21 janvier 1670: « Je ne mérite aucun remer>> cîment de l'approbation que j'ai donnée aux » Pensées de M. Pascal, mais je vous en dois >> beaucoup de l'honneur que vous m'avez fait >> de vouloir que mon nom parût dans cet excel>>> lent ouvrage. Pour les endroits, Monsieur, sur >> lesquels j'ai proposé des doutes, j'ai sujet de me » louer de la bonté de ceux qui ont pris soin de >> l'impression, et ils ont bien voulu avoir assez de >> condescendance pour faire les changements qui » m'ont paru nécessaires. Je vous supplie d'excu>> ser en cela ma faiblesse, et d'être persuadé que » je n'ai pas eu la présomption de croire que mon » sentiment dût prévaloir ; mais j'ai pensé devant » Dieu être obligé de l'exposer sincèrement 1. » Sur quoi portaient les changements proposés par Choiseuil? Non pas sans doute sur les passages sentant un peu leur Jansénisme. Mais un autre, d'opinion contraire, porta à son tour la main sur ces derniers, et on s'étonne comment, après que tant de doigts y eurent successivement passé et repassé, le tableau ait pu garder encore des traces si vives de son premier dessin et de ses riches couleurs.

1 Recueil d'Utrecht, p. 356-360; Pensées, Frag., etc., t. I, p. 399 et suiv.

Car croyons bien que tous les approbateurs agirent comme l'évêque de Comminges. Nous en avons la preuve dans une lettre d'Arnauld du 8 novembre 1669, écrite, par conséquent, une année tout entière après le commencement du premier travail de révision. A cette époque encore, on trouvait des obstacles insurmontables partis de tous côtés : Tantæ molis erat...! La lettre est adressée à Perier le père. Arnauld y parle de difficultés soulevées par Le Camus et d'autres sans doute, car il ajoute : « J'espère que >> tout s'ajustera, et que, hors quelques endroits >> qu'il sera assurément bon de changer, on les >> fera convenir de laisser les autres comme ils >> sont. » Et voici Arnauld qui se range lui-même du parti des correcteurs : « Souffrez, Monsieur,

Recueil, p. 362; Pensées, t. 1, p. 390.

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