ainsi que nous mettons la raison et la vérité au service de nos plaisirs et de nos caprices, qu'il n'y a de vrai pour nous que ce qui les flatte. En torturant, dénaturant tous les principes, nous nous donnons le change à nous-mêmes et faisons du faux le vrai et du mal le bien. Pascal le savait, et c'est en ce sens qu'il faut entendre plusieurs de ses paroles qui ne sont pas l'expression du scepticisme, mais la peinture d'une maladie morale qu'il cherche à guérir. Écoutons-le : « La volonté est un des principaux >> organes de la créance; non qu'elle forme la » créance, mais parce que les choses sont vraies » ou fausses, selon la face par où on les regarde. >>> La volonté, qui se plaît à l'une plus qu'à l'autre, >> détourne l'esprit de considérer les qualités de >> celles qu'elle n'aime pas à voir : et ainsi l'es>> prit marchant d'une pièce avec la volonté, s'ar» rête à regarder la face qu'elle aime, et ainsi il >> en juge par ce qu'il y voit. » Et alors il ajoutera, sans craindre qu'on puisse se méprendre sur sa pensée: «Tout notre raisonnement se réduit » à céder au sentiment. Mais la fantaisie est sem>> blable et contraire au sentiment; de sorte qu'on » ne peut distinguer entre ces contraires. L'un >> dit que mon sentiment est fantaisie; l'autre, >> que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir la forme nette dont il les a revêtues. Il est facile de voir qu'elles sont le fonds commun de la raison humaine et composent le bon sens du monde. Nous sommes donc en droit de demander comment on accorderait avec son scepticisme cette simple philosophie. Car remarquons le chemin que nous avons déjà parcouru. Pascal n'est pas sceptique en philosophie naturelle, c'est-à-dire qu'il croit à nos moyens naturels de connaître. Or, ces moyens, il va les appliquer à l'observation et à l'étude des faits moraux et des faits révélés qui sont la base de sa philosophie religieuse el de son apologie du christianisme. Non, Pascal ne rejetait pas toute philosophie, si ce n'est, comme nous le verrons tout-à-l'heure, cette philosophie orgueilleuse qui veut se créer la vérité à elle-même, sans excepter la vérité infinie. S'il a écrit: Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher, il n'entendait parler évidemment que de la fausse philosophie; car ces mots sont précédés de ceux-ci : « La vraie >> éloquence se moque de l'éloquence : la vraie >> morale se moque de la morale 1, etc. » L'autre mot fameux (barré d'ailleurs de la main de Pascal), Nous n'estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine 2, ne s'applique dans sa pensée qu'à la philosophie physique de Descartes, comme on peut s'en convaincre par le contexte et par plusieurs mots jetés çà et là, que nous avons cités dans une de nos précédentes études. Pensées, etc., t. I, p. 152. 2 Ibid., p. 182. Ne l'a-t-on pas encore accusé de scepticisme en littérature, parce qu'il a dit : « On ne sait pas » en quoi consiste l'agrément qui est l'objet de » la poésie. On ne sait ce que c'est que ce mo>> dèle naturel qu'il faut imiter; et à faute de >> cette connaissance, on a inventé de certains >> termes bizarres, siècle d'or, merveille de nos >> jours, fatal, etc..., et on appelle ce jargon >> merveille poétique 1. » Il y a sous ces paroles une question littéraire que nous réservons; mais, au point de vue qui nous occupe, qui ne voit que Pascal ne se moque pas ici de la véritable poésie, mais de la mauvaise versification si longtemps à la mode au commencement du xvu siècle? Les mots qu'il cite ne sont-ils pas sortis de quelques salons de précieuses ridicules? Non, redisons-le hardiment, Pascal n'était pas sceptique en littérature, pas plus que dans les sciences, pas plus qu'en philosophie, pourvu que la raison consentît à se renfermer dans ses Pensées, etc., p. 256. limites naturelles. Devant elle s'ouvre le monde du fini, elle peut le parcourir à l'aise comme son domaine propre, s'y enrichir sans jamais l'épuiser; mais arrivée aux confins de la création, elle rencontre l'infini, borne infranchissable à toute son énergie, à toute sa puissance. Le fini et l'infini, de plus, se croisent et se mêlent dans toutes ses investigations. D'un autre côté, la vérité, c'est le bien qui souvent contrarie nos passions; l'erreur, c'est le mal qui souvent les flatte. Pascal reconnut bientôt cette lutte entre l'intelligence et la volonté, entre le bien et le mal, la vérité et l'erreur, qui déchire le cœur de l'homme; il reconnut bientôt l'insuffisance de la philosophie, et il songea dès-lors à donner à la théodicée, à la morale, à la religion, en un mot, une autre base que la raison humaine. NÉCESSITÉ DE L'INTERVENTION DE DIEU DANS LE DOMAINE DE L'INTELLIGENCE. - HISTOIRE DES RAPPORTS DE LA RAISON HUMAINE ET DE LA RAISON DIVINE JUSQU'A DESCARTES. Au commencement Dieu a parlé à l'homme et communiqué à son intelligence les notions nécessaires à sa vie spirituelle et religieuse. Contester le grand fait d'une révélation primitive, c'est dégrader le caractère de la divinité, méconnaître la nature humaine et rendre inexplicable l'histoire tout entière. En lançant les sphères dans l'espace, Dieu leur a tracé leur orbite: aurait-il donc jeté l'homme dans la vie, |