dont il devait posséder le secret et l'intelligence; nullement écrivain ni littérateur, il n'aurait pas appliqué sa petite critique à un style tout personnel, et loin de lui rogner les ailes, l'aurait laissé avec tous ses caprices et toutes ses hardiesses. Qu'Arnauld et Nicole aient été les vrais éditeurs de Pascal, on n'en saurait guère douter. Nous avons parlé de Nicole. Pour Arnauld, M. Faugère cite bien des preuves de son active collaboration. Dans une des copies du manuscrit autographe, plusieurs corrections sont écrites de sa main', et si elles ne s'y montrent pas plus nombreuses, c'est sans doute que la plupart furent faites, soit sur une autre copie qui fut livrée à l'impression, soit sur les épreuves elles-mêmes, comme nous l'apprend la lettre dont nous avons cité quelques passages. Besoigne paraît lui attribuer la meilleure part du travail : << Dans le même >> temps, dit-il, M. Arnauld travailla à l'édition >> des Pensées de M. Pascal. Comme c'est un >> ouvrage posthume, et qui n'était composé, à la >> mort de l'auteur, que de courtes sentences » ou de morceaux de métaphysique sur des >> papiers volants, il avait besoin d'une main in>> telligente pour prendre quelque forme. Il fal>> lait même faire un triage, et ne point employer >> tous ces petits papiers écrits, dont quelques>> uns étaient de fausses pensées de Montaigne que » M. Pascal ne pensait pas sans doute adopter. >> M. Arnauld se donna tous les soins nécessaires » pour mettre l'ouvrage en état de voir le jour, et >> il se justifia auprès de M. Perier, beau-frère de » l'auteur, de quelques changements qu'il avait >> cru, pour la raison que je viens de dire, >> devoir faire aux écrits de M. Pascal en cer>> tains endroits 1. >>> 1 Voir Pensées, t. II, p. 41, 48, 64, 103, 130. Pour nous résumer, nous invoquons donc à la décharge des premiers éditeurs la paix de l'Église qu'ils craignaient de rompre, la censure qui les gênait, l'esprit de Port-Royal et leur caractère particulier qui leur rendait impossible la pleine intelligence de Pascal. Ajoutons qu'ils appartenaient à ce dix-septième siècle, si respectueux envers les grands hommes. L'égalité et la familiarité n'existaient pas alors. On n'aimait pas le déshabillé. Chacun se tenait à sa place, et se renfermant dans son humble mérite, se contentait de voir à distance les hommes qui dominaient par leur génie. On voilait leurs faiblesses et leurs négligences, tout ce qui les rapprochait de la condition commune. Ceci tenait à une grande délicatesse de goût et à Histoire de l'Abbaye de Port-Royal, t. VI, p. 45. un instinct admirable de la perfection littéraire; c'était en même temps respect pour le public auquel on ne voulait rien livrer qui ne fût achevé. Les amis de Pascal ne pouvaient donc nous donner l'édition que réclame notre siècle, et le livrer à nos regards curieux dans tout son négligé. Aujourd'hui la superstition, la religion littéraire, si l'on aime mieux, est poussée à un point extrême. On semble adorer les reliques des grands hommes. Mais sous ce culte se cache peut-être une curiosité jalouse qui se porte plus à leurs pieds qu'à leur tête, pour voir s'ils ne les ont pas aussi bas que les nôtres. De là cette soif d'anecdotes et de mémoires qui nous dévore, cette recherche des moindres fragments, des plus petits chiffons d'un grand écrivain. Il y a du bon, sans doute, dans cette passion littéraire. Ces notes rapides tracées sans regard vers le public et la postérité sont les mémoires du génie, et initient au secret de sa composition. Mais ne trouvons pas trop mauvais que d'autres âges aient autrement entendu la conduite à tenir envers les grands hommes. D'ailleurs cette fidélité puérile que nous demandons à leurs éditeurs n'est-elle pas infidélité quelquefois pour les œuvres posthumes? Il est un mot très-vrai de M. de Maistre, à propos de la Défense de la déclaration de Bossuet, qui trouve ici sa rigoureuse application : « Tout ce » qu'un homme écrit n'est pas avoué par lui, ni » destiné à l'impression. Tous les ouvrages post>>> humes sont suspects; et souvent il m'est arrivé >> de désirer qu'il fût défendu de les publier >> sans autorisation publique. » En publiant, en effet, une œuvre posthume, on ne pénètre pas seulement, sans autorisation, dans le cabinet d'un homme, mais dans le sanctuaire le plus intime de sa pensée. Or, quel est l'homme, si grand, si pur soit-il, qui voudrait qu'on forçât ainsi les portes de son âme pour en montrer aux regards de tous les plus secrets mouvements? Lorsqu'on veut user du bien et des dépouilles des autres, peut-être serait-il bon d'avoir leur consentement exprès ou présumé. Nous nous portons tous pour héritiers, mais où est le testament? Or, à ce point de vue, on peut dire que la volonté de Pascal eût été opposée aux publications modernes. Brienne dit dans sa seconde lettre : « Il est certain que s'il vivait encore, il >> souscrirait sans difficulté à tous ces petits em>> bellissements et éclaircissements qu'on a don>> nés à ses pensées, et qu'il les aurait mises lui» même en cet état s'il avait vécu davantage, et >> s'il avait eu le loisir de les repasser. » Non certes, il n'aurait pas voulu de ce remaniement étranger, mais pas davantage, moins peut-être, de nos fac-simile de ses plus mauvais chiffons, de ses notes les plus incorrectes, de ses bouts de lignes, lui qui ne publiait rien qu'il ne l'eût conduit à sa perfection. II. BUT QUE SE PROPOSÈRENT LES PREMIERS ÉDITEURS. - POURQUOI ? Voilà ce qu'on pourrait invoquer à la défense des premiers éditeurs. Est-ce à dire que nous approuvons leur œuvre? non, sans doute, et nous allons en énumérer les vices. Avant tout, disons le but qu'ils se proposèrent et les principes qu'ils prétendent avoir présidé à leur travail. Voici comment s'exprime à cet égard Étienne Perier, dans la préface de la première édition : « Comme >>> l'on savait le dessein qu'avait M. Pascal de tra>> vailler sur la religion, l'on eut un très-grand >> soin après sa mort de recueillir tous les écrits » qu'il avait faits sur cette matière.... |