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en partie par M. Cousin qui a poussé le premier à l'œuvre réparatrice entreprise par notre âge en faveur de Pascal.

Rappelons-nous les paroles déjà citées d'Étienne Perier, et imprimées en tête de la première édition. Des trois modes de publication qui se présentèrent à l'esprit des amis de Pascal, on adopta, dit-on, celui qui paraissait le plus respectueux et le plus sage, et qui consistait à choisir, parmi un grand nombre de pensées, celles qui paraissaient les plus claires et les plus achevées, pour les donner au public sans addition ni changement, si ce n'est qu'on substitua à la confusion dans laquelle elles avaient été trouvées un certain ordre, en réunissant sous les mêmes titres celles qui étaient sur les mêmes sujets.

C'est là un programme menteur, comme presque tous les programmes : il ne saurait rester de doute à cet égard après l'éclatant procès que M. Cousin a intenté aux premiers éditeurs et gagné au profit de la gloire de Pascal. C'est lui que nous allons suivre dans cette courte analyse : toute cette partie de son livre, malgré quelques exagérations et quelques conclusions forcées, est un chef-d'œuvre de critique, de bon sens et de bon goût littéraires.

D'abord que faut-il entendre par Pensées de Pascal? non pas, dit M. Cousin', les pensées de toute espèce qu'on peut tirer de ses différents ouvrages imprimés ou manuscrits, quel qu'en soit le sujet; encore moins ses conversations rédigées par des mains étrangères ou les divers propos recueillis par sa famille ou ses amis dans ses lettres confidentielles ou dans ses confidences intimes, mais seulement les fragments et notes qu'il avait déposés sur de petits papiers, pendant ses dernières années, pour servir de matériaux à son grand ouvrage sur la religion. Or, tous les morceaux de cette nature ont été recueillis dans le manuscrit autographe dont nous ferons plus tard la description. C'est donc là qu'il faut aller chercher les Pensées proprement dites de Pascal.

Ces assertions de M. Cousin sont trop exclusives et trop systématiques. La préface de la première édition nous apprend que Pascal avait traité des sujets les plus variés à propos de la religion. Et, en effet, le manuscrit autographe nous présente une foule de notes sur l'éloquence et sur le style, de réflexions morales, de passages relatifs aux Jansénistes, aux Jésuites et aux querelles du temps, qui ne devaient pas entrer dans l'apologie de la religion chrétienne et qui sont pourtant de

Des Pensées de Pascal, p. 20-24.

véritables Pensées de Pascal. D'un autre côté, parmi les écrits de Pascal composés avant qu'il eût bien arrêté le projet de son grand ouvrage (projet dont il est cependant bien difficile de fixer la date), et sans rapport direct et immédiat avec l'apologie, il en est quelques-uns qui y seraient certainement entrés pour le fond des idées. Le traité de l'Art de persuader, par exemple, contient tous les principes de démonstration de Pascal, la distinction des vérités de cœur et de raison, toute sa philosophie. Certainement il eût placé des réflexions semblables en tête de son apologie. Car, dans le compte rendu qu'elle nous fait de l'entretien où Pascal exposa le plan de son ouvrage, la préface de la première édition contient ces paroles : « Après qu'il leur eut fait voir >> quelles sont les preuves qui font le plus d'im>> pression sur l'esprit des hommes, et qui sont >> les plus propres à les persuader, il entreprit de >> montrer que la religion chrétienne avait autant >> de marques de certitude et d'évidence que les >> choses qui sont reçues dans le monde pour les >> plus indubitables. >>>

Et parmi les morceaux mêmes qui ne sont pas de Pascal et n'ont été rédigés que d'après les souvenirs de ses conversations, n'en est-il pas qui, loin d'être étrangers à l'apologie, en expriment quelque pensée fondamentale? L'entretien sur Epictète et sur Montaigne y serait entré sous une forme ou sous une autre : c'est une partie du chapitre des philosophes dont nous parle encore la préface de la première édition.

Or, nous demandons si un éditeur (après en avoir prévenu, nous en convenons) n'aurait pas pu, sans faux et sans infidélité, rattacher de tels morceaux à l'apologie et en faire de véritables chapitres des Pensées de Pascal? - Nous savons bien que les deux morceaux que nous venons de citer ne sont pas entrés dans la première édition, et n'ont été, comme nous le dirons, publiés que plus tard. Si nous les avons rappelés, c'est qu'ils faisaient mieux ressortir notre pensée et démontraient d'une manière plus évidente l'exagération systématique du principe posé par M. Cousin.

L'édition de Port-Royal, ajoute-il, contient près de cinq chapitres qui ne tiennent pas le moins du monde aux Pensées; l'édition Bossut, à peu près un tiers. Là n'est pas le vice de l'édition princeps ni de l'édition Bossut.

Quant à la première édition, de laquelle seule il s'agit en ce moment, nous reconnaissons volontiers avec M. Cousin 1 qu'elle a tort de ne pas prévenir toujours lorsqu'elle mêle à l'Apologie des morceaux qui ne s'y rapportent pas. Elle

P. 47, 48 et suiv.

avertit bien que la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, et les Pensées sur la mort, sont étrangères au dessein de Pascal; elle avertit même que dans le chapitre des Pensées diverses, « il s'y en pourra trouver quelques-unes >> qui n'ont nul rapport à son dernier ouvrage et >> n'y étaient pas destinées. » Mais ces indications sont insuffisantes. Ces pensées diverses, pensées chrétiennes, pensées sur les miracles, pensées sur la mort, d'où viennent-elles? où Port-Royal les a-t-il prises? Voilà ce qu'il a oublié ou omis volontairement de nous dire, et ce qu'il est néanmoins très-important de savoir pour juger de leur authenticité, de leur valeur, de leur sens réel. La plupart de ces pensées ne se trouvent ni dans le manuscrit autographe, ni dans la vie de Pascal, ni dans les propos recueillis par Marguerite Perier. Encore une fois, d'où viennent-elles done? C'est un problème que M. Cousin s'est adjugé la gloire d'avoir le premier résolu. Il aurait été frappé de l'identité d'une pensée sur les miracles avec un fragment d'une lettre à Me de Roannez, cité dans le Recueil d'Utrecht; ceci lui aurait été un trait de lumière. Il aurait alors poursuivi ses recherches et aurait retrouvé les autres lettres de Pascal à cette demoiselle. Poussant jusqu'au bout la confrontation, il aurait pu signaler ces lettres comme la source entièrement

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