de Clermont, avait légué ses papiers à sa sœur Marguerite, qui elle-même en fit présent à l'Oratoire de Clermont, où le P. Guerrier les transcrivit. C'est par là évidemment que Desmolets eut connaissance du manuscrit de l'abbé Perier, car nous savons que le P. Guerrier entretenait une correspondance avec lui, et qu'ils étaient tous les deux en communication littéraire 1. Qu'était ce manuscrit de l'abbé Perier? Probablement une copie qu'il avait faite à son usage de plusieurs fragments de son oncle, négligés dans la première édition, leur appliquant le mot de l'Evangile, Colligite fragmenta ne pereant. Il y eut sans doute à cette époque plusieurs manuscrits de cette nature, dont il est aujourd'hui à peu près impossible de retrouver la trace, et Brienne nous dit dans ses lettres qu'il a fait lui aussi un petit cahier qu'il gardera toute sa vie comme un trésor pour se nourrir en tout temps ; car il ne voudrait pas laisser perdre la moindre chose de M. Pascal, dont il ne nous reste rien que d'infiniment précieux 2. Avec un assez grand nombre de Pensées nouvelles, le P. Desmolets publia pour la première fois, sous le titre que nous avons transcrit, le traité De l'art de persuader et le fragment assez étendu De l'amour-propre. 'Voir Lettres, Opusc., etc., avant-propos, p xII. 2 Pensées, Fragments, etc., t. I, appendice, p. 397. — M. Sainte-Beuve dit sur ce passage : « Je possède un petit cahier tout pareil à celui de Brienne, un petit manuscrit abrégé des Pensées qu'on avait retranchées à l'impression ; ce pourrait bien être le même, ou une copie faite d'après celui-là. » (Port-Royal, t. III, p. 298, note 2.) Nous croirions plutôt que c'est le manuscrit ou une copie du manuscrit de l'abbé Perier, car il contient à peu près les mêmes matières que publia Desmolets, savoir, des Pensées détachées, De l'art de persuader et de l'amour-propre. (Voir la description que fait M. Faugère du manuscrit de M. Sainte-Beuve, Introd., P. LVIII.) Voilà où en était le livre des Pensées quand, en 1776, Condorcet publia son édition précédée d'un Eloge de Pascal. Cet éloge, malgré son ton respectueux, son air de bienveillance et d'impartialité, ses formules d'admiration menteuse, n'était qu'une satire, comme l'édition elle-même n'était qu'un sacrilége. Les notes mises au bas des pages détruisent déjà l'effet de l'éloge, et dans le cours du travail on a soin de représenter Pascal comme victime d'une superstition grossière et livré à des bizarreries de piété ridicule. C'est alors qu'avec une pitié outrageuse et une ironie méprisante, l'éditeur cite le morceau fameux que nous connaissons et qu'il flétrit du nom d'Amulette. Disons en passant que M. Faugère1 a tort d'attribuer à Condorcet la première publication de cette pièce mystérieuse qui était imprimée dans le Recueil d'Utrecht, dès 1740. Condorcet paraît avoir consulté le manuscrit autographe dont il publia quelques extraits, mais il ne s'en servit pas pour rectifier le texte ancien. Ce n'était pas une œuvre de restauration qu'il entreprenait, mais bien une œuvre de destruction, que M. Faugère a parfaitement caractérisée. Les suppressions qu'il fit subir au livre des Pensées sont nombreuses, seulement en sens contraire de celles de Port-Royal. Port-Royal visait à la piété et à l'édification, Condorcet à l'irréligion et au scandale. Port-Royal avait supprimé tout ce qui lui paraissait faux ou équivoque, tout ce qui pouvait être pour le lecteur orthodoxe une pierre d'achoppement; Condorcet retrancha tout ce qui respirait exclusivement la piété, le spiritualisme chrétien, et même ces pages magnifiques dans lesquelles Pascal établit la prééminence de l'esprit sur la matière, de la sainteté sur le génie. En revanche, dans ce siècle de fausse science et d'engouement mathémathique, il publia pour la première fois le traité de l'Esprit géométrique. Introd., p. XXIX. M. Faugère a sans doute voulu dire que Condorcet est le premier qui ait publié cette pièce dans une édition des Pensées, ce qui serait exact. L'édition de Cordorcet fut réimprimée par Voltaire en 1778. Dans cette reproduction, Condorcet était proclamé égal à Pascal en plusieurs choses, et très-supérieur en d'autres... Condorcet, était-il dit encore, est autant au-dessus du géomètre Pascal que la géométrie de nos jours est au-dessus de celle des Roberval, des Fermat et des Descartes... Géomètre plus profond, philosophe plus sage, ses pensées ont plus de vérité et de force que celles de Pascal. Les philosophes se vantaient entr'eux, comme avaient fait les Jansénistes, en des termes dont le ridicule le dispute à l'odieux. Puis venaient les notes dont nous avons cité de si gracieux et de si aimables échantillons. Voilà comment était traité le grand apologiste un siècle après sa mort, tant l'irréligion avait fait de progrès en France! Hélas! Pascal, sans le vouloir et sans s'en douter, y avait contribué par sa fatale polémique des Provinciales et sa lutte malheureuse contre l'autorité du Pape et de l'Église. Condorcet et Voltaire ne faisaient que tourner contre lui les armes qu'il leur avait préparées et fournies: Laissez passer la justice de Dieu! En 1778, Voltaire n'était pas au début de sa guerre contre Pascal. Dès 1733 il écrivait à Formont: << Me conseilleriez-vous d'y ajouter (aux >> Lettres philosophiques) quelques petites ré>> flexions détachées sur les Pensées de Pascal? II >> y a longtemps que j'ai envie de combattre ce >> géant. Il n'y a guerrier si bien armé qu'on ne >> puisse percer au défaut de la cuirasse; et je >> vous avoue que si, malgré ma faiblesse, je pou>> vais porter quelques coups à ce vainqueur de >> tant d'esprits, et secouer le joug dont il les a >> affublés, j'oserais presque dire avec Lucrèce : Quare superstitio' pedibus subjecta vicissim » Au reste, je m'y prendrai avec précaution, >> et je ne critiquerai que les endroits qui ne se>> ront point tellement liés avec notre sainte re>> ligion qu'on ne puisse déchirer la peau de Pas>> cal sans faire saigner le christianisme. >>> On ne sait ce qui indigne le plus dans ces paroles de Voltaire, de ce projet pris de sang-froid de combattre Pascal dont l'apologie le gêne, ou de leur profonde hypocrisie. Il ose parler de notre sainte religion qui est pour lui l'infâme! II lui prodigue des respects au moment où il se dispose à la bafouer et à la flageller dans la personne de Pascal! Il veut déchirer la peau de Pascal sans faire saigner le christianisme, et c'est le C'est relligio qui est dans Lucrèce, et qu'exige la mesure du vers. Mais peu importe la quantité à Voltaire. Il aime mieux confondre relligio et superstitio, qui pour lui étaient tout un. |