élémentaires, savoir : le sensualisme, l'idéalisme, le scepticisme et le mysticisme. Or, comme l'histoire de la philosophie n'est et ne peut être autre chose que la manifestation de l'esprit humain dans le temps, il implique qu'il n'y ait point dans l'histoire tout ce qui est dans l'esprit humain et qu'il y ait dans l'histoire plus qu'il y a dans l'esprit humain: aussi, d'avance, n'avons-nous pas craint d'affirmer que l'histoire de la philosophie, dans toutes ses époques, ne pouvait donner autre chose que ces quatre systèmes. Ce n'est pas là, Messieurs, une méthode hypothétique, c'est une méthode rationnelle, comme dit Bacon (1); elle consiste à aller de l'esprit humain, qui est la matière et le sujet de l'histoire, à l'histoire, qui est la manifestation de l'esprit humain, et à conclure de l'un à l'autre. Et nous ne nous sommes pas bornés à la méthode rationnelle, nous y avons joint, encore selon le précepte de Bacon (2), la méthode expérimentale ; nous avons interrogé l'histoire comme nous avions fait l'esprit humain. J'ai mis sous vos yeux toutes les grandes époques de l'histoire de la philosophie; je vous ai montré successivement l'Orient, la Grèce, la scholastique, la philosophie du xv et du xvı siècle, enfin tout le premier âge de la phi (1) Tome précédent, leçon ge. (2) Ibid. , losophie moderne jusqu'en 1750. Non-seulement j'ai parcouru avec vous toutes ces époques, mais j'ai la conscience de n'avoir omis dans chacune d'elles aucune école importante, et dans chacune de ces écoles aucun système célèbre; et l'histoire tout entière est venue à chacune de ces époques se résoudre dans le cadre même que nous avait fourni l'esprit humain. Le dernier résultat des expériences de l'histoire est le retour constant dans chaque grande époque de quatre systèmes qui se tiennent intimement sans se confondre, et se développent harmoniquement, mais dans un progrès marqué. Que manque-t-il donc pour que nous ayons le droit de convertir le retour constant de ce phénomène en une loi de l'histoire? Voyez, Messieurs, par quels procédés et à quelles conditions on obtient une loi dans l'ordre physique. Lorsqu'un phénomène se présente avec tel caractère, dans telle circonstance, et que, la circonstance changeant, le caractère du phénomène change aussi, il s'ensuit que le caractère de ce phénomène n'est point sa loi; car ce phénomène peut être encore, alors même que ce caractère n'est plus. Mais si ce même phénomène se présente avec le même caractère dans une suite de cas nombreux et divers, et même dans tous les cas qui tombent sous l'observation, il s'ensuit que ce caractère ne tient pas à telle ou telle circonstance, mais : à l'existence même du phénomène. Tel est le pro- : philosophie, c'est-à-dire toutes les expériences sur lesquelles peut porter l'observation en ce genre, quand chacune de ces expériences, très-diverses par les circonstances extérieures, nous a constamment offert le même phénomène avec le même caractère, c'est-à-dire le retour constant de quatre systèmes élémentaires, distincts l'un de l'autre et se développant l'un par l'autre, je demande ce qui manque pour que nous avons le droit de considérer ce résultat comme la loi même du développement de l'histoire de la philosophie? Dirat-on que l'observation porte sur un trop petit nombre de cas? Mais nous avons commencé par l'Orient, et nous avons été jusqu'en 1750: nous avons cinq grandes expériences, dont l'une embrasse un cercle de douze cents ans. L'observation porte donc sur un assez grand nombre de cas particuliers; elle porte au moins sur tous les cas existants; nous n'en avons omis aucun. Or, toujours et partout le même phénomène, c'est-à-dire chaque grande expérience philosophique, a présenté le même caractère, c'est-à-dire la division en quatre systèmes élémentaires. Il ne reste plus qu'une condition à remplir, savoir la supposition de la constance de l'esprit humain, supposition aussi nécessaire ici que celle de la constance de la nature dans l'ordre physique. Mais à quel titre le physicien supposerait-il plutôt la nature physique constante à elle-même, que le moraliste l'esprit humain constant à lui-même? C'est sur la supposition de la constance de la nature humaine à elle-même qu'est fondée toute la vie humaine. Vous supposez que l'humanité fera demain ce qu'elle a fait aujourd'hui, les circonstances étant analogues, comme vous supposez que la nature ne se lassera point de reproduire ce qu'elle a produit déjà. L'induction a donc la même valeur dans un cas que dans l'autre. Quand donc, après avoir rencontré, dans toutes les grandes époques de l'histoire de la philosophie depuis l'Orient jusqu'à 1750, le même phénomène avec le même caractère, j'arrive en présence de la philosophie du xvm siècle, l'induction fondée sur l'expérience de trois mille ans m'autorise à prédire que si cette nouvelle expérience est riche, étendue, développée, complète (car une expérience incomplète ne prouve rien), l'esprit humain, constant à luimême au xvnu siècle, reproduira les mêmes phénomènes philosophiques qu'il a produits jusqu'ici avec les mêmes caractères, et que la philosophie du xvın siècle se résoudra encore en sensualisme, en idéalisme, en scepticisme et en mysticisme. L'induction historique porte incontestablement jusque là; reste à savoir ce que disent les faits. Messieurs, la philosophie du xvme siècle forme une grande expérience. Jamais, à aucune époque |