gue principalement les mots populaires des mots savants. Tous les mots introduits par le peuple à l'origine de la langue respectent l'accent latin, ils montrent ainsi qu'ils ont été faits avec l'oreille, qu'ils viennent d'un latin vivant et parlé. Tous les mots qui violent la loi de l'accent latin ont été introduits postérieurement à l'époque de formation organique de la langue; ce sont des mots vraiment barbares, puisqu'ils sont accentués à la fois contre les lois de formation du latin et du français (1). Ainsi, par exemple, le mot latin fábrica a donné en français, d'après la formation populaire et organique, forge, tandis que la formation savante en a tiré fabrique, où l'accent latin est déplacé. En résumé, la langue française comprend deux grandes couches de mots superposées l'une antérieure au XII siècle, œuvre inconsciente du peuple et formée de trois éléments: le latin, le celte et le germanique; l'autre postérieure au XIIe siècle et formée, d'un côté, des mots savants directement empruntés aux langues classiques, de l'autre des mots venus des langues modernes, par exemple de l'italien au XVIe siècle, de l'espagnol au XVII, de l'anglais au XIX® (2). On peut donc répartir les mots français en trois catégories, suivant qu'ils sont d'origine populaire, d'origine savante, ou d'origine étrangère (3). 3. C'est d'après cette distinction qu'on a classé les doubles dérivations d'un même mot, appelées doublets ou mots à dérivation divergente, et qui répondent d'ordinaire à deux âges différents dans l'histoire de notre langue (4): a) Un radical latin donne en français un doublet, si ce radical a produit dans notre langue deux mots, l'un populaire et l'autre savant : ainsi d'articulus, le peuple fit orteil et les savants article. De même : decima, dime, décime; examen, essaimexamen; fragilis, frêle, fragile; porticus, porche, portique; rigi, dus, raide, rigide; capitale, cheptel, capital; cumulare, combler; cumuler; hospitale, hôtel, hôpital; navigare, nager, naviguer, (1) V. Littré, Histoire de la langue française, 1, 32. (2) Sur les 27 à 28000 mots que contient le Dictionnaire de l'Académie française, on compte: 1 environ 12000 mots d'origine populaire. dont 5000 sont des mots primitifs (ainsi répartis : élément latin 3800, germanique 420, grec 20, celtique 20, mots dorigine inconnue 650) et 7000 des mots tirés directement des primitifs par la dérivation et la composition; -2environ 1000 mots d'origine étrangère, empruntés aux langues inodernes ; 3 enfin plus de 14000 mots d'origine savanté, forgés par les érudits á l'aide du grec ou du latin. V. Brachet, Dict. étym., p. LXX. (3) Comme c'est seulement dans la langue populaire qu'on peut saisir les lois suivant lesquelles l'instinct du peuple a transformé le latin en français, les mots savants ne sont d'aucune utilité pour le philologue, et la phonologie les ignore completement. (4) V. Brachet. Dictionnaire des doublets de in langue française, 1868; suppl., 1871. La liste de ces doublets dépasse le chiffre de 1100, et cependant on pourrait encore y ajouter des doubles formes comme cochet et coquét, ronger et ruminer, etc. divinus, devin, divin; advocatus, avoué, avocat; augurium, heur, augure; dotare, douer, doter; legalis, loyal, légal; nativus, naïf, natif; salarium, salière, salaire; potionem, poison, potion; ucris, aigre, âcre; captivus, chétif, captif; causa, chose, cause. b) II y a encore doublet lorsqu'à côté d'un mot français d'origine populaire, vient se placer un mot d'importation étrangère, provenant du même radical; ainsi cadentia devint en français chance, en italien cadenza; au XVIe siècle, ce dernier mot a passé les mouts et a donné en français le mot cadence ; chance et cadence, provenant du même radical, forment un doublet. De même: capsa, châsse, caisse; caput, chef, cap. c) Enfin, il y a encore doublet lorsqu'un mênie radical donne en français deux dérivés d'origine populaire; ainsi campus a donné à la fois champ et camp. De même : badare, bayer et béer (d'où béant); credentia, croyance, créance; gabata, jatte,joue (1); hominem, homme, on: ille, il, le; laxare, laisser, lâcher; plicare, ployer, plier; placere, plaire, plaisir; surgere, sourdre, surgir, etc. Il y a des exemples de formes triples et même quadruples, comme pensare, peser, penser, panser. 4. Les doublets sont une richesse de la langue; il n'en est pas de même des homonymes: nous entendons par là les homonymes parfaits (à la fois homographes et homophones), qui se sont produits quand la contraction que les mots latins doivent subir pour passer en français a confondu sous une forme commune deux ou plusieurs dérivés de primitifs très distincts; par ex. alnus, aune; ulna, aune; - carpinus, charme. carmen, charme; carcer, chartre; chartula, chartre; suere, coudre; corylus, coudre: -digitale, de; datum, dé; -- lauJare, louer; locare, louer; -- palatium, palais; palatum, palais; ---piscuri, pêcher; persicarius, pêcher; - perca, perche; pertica, perche; somnus, somme; summa, somme; tenerum, tendre; tendere, tendre; etc. --- Variations de sens. con En passant du latin au français, beaucoup de mots ont pris une acception plus ou moins différente de la signification originelle. Tantôt le sens s'est élargi : de parabola, espèce particulière de discours, on a fait parole; villa, métairie, a donné (1) Le rapport logique entre jutte et joue est conformne à ces comparaisons bizarres que fait le peuple entre certains objets et les parties du corps; ainsi de testa (pot cassé). gurges (goutiri), fleatum (foie d'oiej, botellus (boudin), pellis (peau d'animal), le frangais a tiré téte, yorge, foie, boyau, peau. ville. Tantôt le sens s'est rétréci et a passé du général au particulier necare, faire périr, est devenu noyer, faire mourir dans l'eau; de carruca, toute espèce de chariot, on a tiré charrue, qui a le sens spécial de chariot aratoire. Les déplacements de sens se sont produits dans l'intérieur même de notre langue, et l'on peut citer beaucoup de mots dont le sens s'est agrandi ou s'est affaibli dans le passage du vieux francais au français moderne. Ainsi attraper ne voulait dire à l'origine que prendre dans la trappe, dans le piège, et leurrer attirer le faucon dans un leurre, morceau de cuir rouge en forme d oiseau. Le mot tuer, qui a remplacé l'ancien occire, a signifié d'abord protéger, abriter (on a encore tue-vent), puis étouffer, comme dans : tuer la chantelle, tuer le feu (Ducange), sens qui s'est généralisé dans l'acception tuer. Chère (du lat. cara; au VI° siècle, face, visage) a signifié d'abord visage, puis bon accueil, c'est-à-dire bon visage, et enfin bon repas, qui est une des manières du bon accueil. Au contraire, labourer signifiait travailler (du latin laborare) et ne s'est restreint. qu'assez tard au travail de la terre, considéré comme le travail par excellence; avaler, qui signifiait descendre ou faire descendre en général, ne se dit plus que des aliments qu'on fait avaler, et le mot pis, de pectus, qui avait le sens de poitrine, s'est restreint successivement et s'est avili jusqu'à sa signification actuelle Chapelet. diminutif de chapeau, v. tr. chapel, a signifié d'abord une couronne ou un petit chapeau de fleurs: Un chapelet vert en sa tête (Roman de Renart). Une vieille romance parle de la bele Alez qui, après avoir cueilli des flurettes Un chapelel fet en a De bel rose flurie. Dans la suite on appela chapelet un certain nombre de grains enfilés servant aux moines pour compter les Avé Maria et les Pater qu ils devaient réciter afin d'accomplir une pénitence qui leur avait éte infligée ou satisfaire à certaines prescriptions de leurs règles. Ce chapelet figurait la couronne de roses que l'on mettait sur la tête de la sainte Vierge: aussi les Italiens l'appellent-ils corona et les Espagnols rosaria. En France le rosaire est composé de quinze dizaines d'Ave Maria; il équivaut à trois chapelets. PREMIÈRE PARTIÉ ETYMOLOGIE LIVRE [er Phonologie, ou les éléments materiels des mots. Chapitre Ier Les sons de la langue étudiés en eux-mêmes. Des Voyelles. 1. Les voix ou voyelles primitives sont i, a, u (1). A est le son le plus plein, le plus éclatant et le plus ancien. Au-dessous du a se placent le i et le u, l'un représentant le son le plus aigu, l'autre le son le plus sourd. Ainsi a occupe le sommet de l'échelle tonique, dont i et u occupent parallèlement les deux points inferieurs; a est pur et stable, i et u sont mobiles et aptes à passer à l'état de consonnes. On peut les représenter de cette manière (2). Outre ces trois voix principales, a, u, la plupart des langues ont encore deux voyelles accessoires, savoir le e, son intermédiaire entre i et a, et o, son intermédiaire entre u et a. De cette manière nous obtenons la série naturelle des voyelles pures: i, e, a, o, u. Ce sont là les principales voyelles, et il y a bien peu de langues où elles ne se retrouvent pas. Mais il y a bien d'autres variétés de sons-voyelles; ainsi le français possède en outre le eu, son intermediaire, entre e et o, comme dans feu, vœu, et le u, qui tient le milieu entre i et ou; ce dernier son, qui est inconnu aux autres langues romanes littéraires, est formé de la manière suivante: « tandis que la langue s'apprête à prononcer lei, les lèvres prennent la position que réclame le u (ou) (3). » (1) Il s'agit ici, non pas du u français, mais hien du u indo-européen; tel qu'il se prononce en allemand, en Italien, etc., c'est-à-dire comme notre ou (2) J. Grimm, Deutsche Grammatik, 3 éd., I. p. 32 et s. (3) Dubois-Reymond, Kodmus, oder allgememe Alphabetik, p. 150 - On distingue ainsi en français les voix simples suivantes : a, e, o, eu, i, o, u, qui se font entendre à la fin des mots ta, thé, Pô, feu, si, fou, bu. Eu et ou sont des sons simples, quoiqu'ils soient représentés par la combinaison de deux voyelles. Outre ces sept voyelles pures, il y a encore le e dit muet, qu'il ne faut pas confondre avec le e proprement dit ou e sonore. Le e appelé muet est la plus faible émission de voix possible; il a en général le son d'un eu faible, comme dans je, le, ou très faible, comme dans une; le mot besace réunit les deux sons du e muet. 2. Les voyelles a, e, o, eu, prononcées de manière que la voix sorte en partie par la bouche, et en partie par le nez, forment quatre nouveaux sons, qu'on appelle voyelles nasales, et que l'on entend à la fin des mots plan, brin, bon, brun. « Si, au lieu d'émettre librement, à travers la bouche, le son-voyelle, nous laissons s'abaisser le voile du palais et que nous forcions ainsi l'air à vibrer à travers les cavités qui rattachent le nez au pharynx, nous entendons les voyelles nasales, an, on, in, un. si communes en français. Il n'est pas nécessaire que l'air passe à travers le nez, au contraire, nous pouvons fermer le nez, et nous ne ferons ainsi que rendre l'accenf nasal encore plus marqué. La seule condition nécessaire est le déplacement du voile, qui, dans les voyelles ordinaires, couvre plus ou moins complètement l'orifice postérieur des fosses nasales (1). » 3. Les voix i, ou, qui ne peuvent pas se changer en voyelles nasales, sont dites voix constantes, par opposition aux autres voix, qui sont variables. In et un sont les nasales de e et de eu, et non pas de i et de u. 4. Les diphthongues, dit Max Muller, se produisent quand au lieu de prononcer une voyelle immédiatement après une autre, au moyen de deux efforts successifs de la voix, nous formons un son pendant le cours du changement qui doit s'opérer dans la position des organes pour passer d'une voyelle à une autre. Si nous passons rapidement de la position du a à celle du u, en prononçant une voyelle, nous entendons au, comme dans l'allemand Bau. (4) M. Muller. Nouvelles leçons sur la science du langage, 1, 154. Cet ouvrage nous a fourni plusieurs autres remarques phonétiques que nous avons placées entre guillemets. |