l'autre, mais en appelant au milieu d'elles un son étranger, destiné à rendre leur choc impossible. De là trois sortes de phénomènes phonétiques la permutation, l'élision et l'addition de lettres euphoniques. Ainsi le latin crescere a donné régulièrement l'ancien français croistre : 1o par la permutation du e en oi; 2o par l'élision du e pénultième: 3o par l'addition de la linguale t entre s et r: crois-t-re; enfin croistre a perdu le s, qui a été remplacé par l'accent circonflexe, d'où la forme moderne croitre. I. PERMUTATION DES LETTRES § 21 1. On entend par permutation le changement d'un son en un autre son. Les sons de la langue sont en effet plus ou moins variables, c'est-à-dire qu'ils peuvent plus ou moins se transformer en d'autres sons; c'est pourquoi le même mot peut se trouver dans plusieurs idiomes sous des formes diverses. Mais cette transformation des sons n'est point irrégulière; elle a lieu au contraire d'après des lois fixes, qui peuvent se résumer comme suit : a) Les voyelles, étant les sons les moins articules, sont en général plus variables que les consonnes. b) Les parties essentielles du mot etant la syllabe tonique et la lettre initiale, la voyelle accentuée, résiste mieux que la voyelle atone, et la consonne est moins variable au commencement qu'au milieu ou à la fin du mot (§ 20). c) Les sons analogues peuvent seuls se permuter entre eux. L'application de cette loi dépend de la nature des lettres. 1o Les voyelles se permutent en descendant l'échelle vocale (§ 10) ou en se diphtonguant avec les voyelles inférieures i et u comme prépositives: febrem fièvre, focum fuo* feu (1). La diphtongaison n'a pas lieu avec les voyelles en position (2). 2o Pour les consonnes on peut poser les deux règles suivantes : aa) La permutation des muettes et des spirantes n'a lieu qu'entre les sons de même ordre; ainsi une labiale reste labiale et ne peut pas devenir linguale ou gutturale; mais, dans les langues romanes, et en particulier dans le français, la permu (1) Nous distinguons par l'astérisque, non seulement les mots de l'ancienne langue, mais encore les formes du latin populaire et parfois des types latins purement hypothétiques. (2) La diphtongaison ne doit être confondue ní avec la périphonie (Umlaut) ni avec l'apophonie (Ablaut) de la grammaire allemande. V. Diez, Gr. 1, 179. tation s'opère dans la règle en descendant les degrés de l'échelle d'articulation (§ 15), c'est-à-dire en passant des fortes aux faibles et des muettes aux spirantes (mais sans aller au delà, c'est-à-dire jusqu'aux liquides): acutus aigu, apotheca boutique, caps achâsse, galbinus jaune, legalis loyal, ripa rive. bb) La permutation entre des lettres d'ordre différent n'a lieu que pour les sons du degré inférieur, c'est-à-dire pour les liquides ou semi-voyelles, qui s'échangent volontiers entre elles libella niveau. : Ainsi, pour les muettes et spirantes, la permutation s'opère dans le sens vertical, si l'on ose ainsi dire, et pour les liquides, dans le sens horizontal. 2. Les permutations dont nous venons de parler sont celles qui résultent de la nature même des lettres. Elles ont pour effet l'affaiblissement du son; mais il en est d'autres qui en sont l'accommodation, ce sont celles qui sont produites par le contact des voyelles ou des consonnes. a) La rencontre des voyelles amène, dans certains cas, tantôt leur contraction, tantôt la consonnification ou la transposition de l'une d'elles. 1o La contraction porte le nom de synérèse, lorsque les deux voyelles se rapprochent simplement de manière à se souder l'une à l'autre et à former une diphtongue, qui peut à son tour se transformer en monophtongue benedictus beneit* benoit* benêt, magister ma'istre maître; -et de crase, lorsqu'il y a fusion des deux voyelles en un seul son: pavorem pa'orem peur. La suppression de certaines consonnes médiales, isolees entre deux voyelles, en mettant ces voyelles en présence, a rendu la contraction très fréquente en français. 2o La consonnification a lieu lorsque la première voyelle i ou u passe à la consonne correspondante jou v; ainsi le u de januarius s'est changé en v dans janvier; le i de diurnum a d'abord passé à i consonne: djurnum, puis à la palatale j= gi italien, pour devenir chuintante simple: jour. La consonnification est une espèce de synérèse, puisque la première voyelle devenant consonne ne forme plus qu'une syllabe avec la voyelle qui suit. 3o La transposition ou métathèse a lieu lorsque la première voyelle i ou e est attirée par la tonique pour se fondre avec elle en une diphtongue, comme i dans gloria gloire. Cette espèce de métathèse porte plus ordinairement le nom d'attraction. b) La rencontre de deux consonnes amène souvent l'assimilation, la vocalisation ou la transposition de la première. 1° On a vu plus haut que les sons analogues seuls peuvent se permuter entre eux. Mais lorsque les consonnes sont mises en contact et qu'elles sont dissemblables, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à des ordres différents, la langue les assimile pour en faciliter la prononciation. Par l'assimilation, le rapport des sons cesse d'être indifférent et devient identique, c'est-àdire que le premier son devient semblable au second ou le second au premier; mais, dans l'un et l'autre cas, de deux consonnes dissemblables naît une consonne double. L'assimilation a joué un grand rôle dans la formation des langues romanes, particulièrement à cause de l'élision des voyelles atones, qui a mis en présence, dans une foule de mots, des consonnes incompatibles. Elle se produit de deux manières. 'aa) Le plus souvent, c'est la seconde des deux consonnes qui transforme la première, comme en latin colligere pour cumlegere. En français, les lettres qui s'assimilent le plus facilement la consonne précédente sont les liquides r, I, n, la sifflante s et la muette t; ainsitr s'adoucit en rr dans latronem larron, et en tt dans luctari lutter. bb) Plus rarement, c'est la seconde consonne qu'on assimile à la première : angustia angoisse, hominem hom’nem, homme. Il y a une assimilation incomplète qui ramène au même degré les consonnes de degrés différents, en sorte que la forte s'accommode à la forte, la douce à la douce. Ainsi, par exemple, en latin, scriptum pour scribtum, où la labiale douce 6 est devenue p à cause de la forte t, et, en français, printemps de primtemps (primum tempus), où la labiale m s'est transformée en linguale n à cause de la linguale . Un autre phénomène corrélatif de l'assimilation et qui lui aussi a pour cause le besoin de commodité dans la prononciation. c'est la dissimilation, qui consiste à rendre différentes deux lettres qui étaient primitivement identiques. Si un mot latin renferme deux ou plusieurs r, fragrare, par ex., le français adoucira l'un d'eux en let dira flairer et non pas frairer; de inême, s'il y a deux l, le français changera l'un d'eux en r, et du latin lusciniola il ne gardera pas lossignol, mais rossignol; de même encore, s'il y a deux n, l'un se changera en m, et venineur deviendra venimeux. 2o La consonne, quand elle est isolée. ne peut pas se résoudre en voyelle. Mais cette permutation n'est pas rare quand il y a contact de consonnes, et elle s'explique facilement lorsque la consonne est une liquide ou l'une des spirantes j et v, qui ont tant d'affinité avec les voyelles correspondantes; ainsi l devient u dans malva mauve; b devient u en passant par v dans tabula tab'ta taule tôle; c devient i en passant par j dans factus fait (v. § 38). Cette résolution d'une consonne en voyelle est appelée vocalisation. Une autre espèce de vocalisation est celle qui se produit par les consonnes n et m terminant la syllabe: ces lettres perdent leur son propre, mais rendent nasale la voyelle précédente: c'est ce qu'on appelle nasalisation (§ 16). La consonnification et la vocalisation sont des phénomènes corrélatifs. Le mot eau, de aqua, offre un exemple de ce double procédé phonétique : 1o aqua, devenu aqua par la consonnification de u, se réduit à ève (d'où évier), par lu chute du q et l'adoucissement de a en e, puis, par la diphtongaison de e en ea, donne eave, iave, ieve; 2o eave, en vocalisant v en u, donne à son tour la forme eaue, qui devient eau dès le XVIe siècle. De aqua est dérivée une autre forme, aigue, qui ne s'est conservée que daus les noms propres et dans un certain nombre de dérivés, comme aiguière(1). 3o Les consonnes se déplacent, soit pour précéder la voyelle : turbo trombe, soit pour la suivre pro pour. Ce sont d'ailleurs les liquides r et l qui se transposent le plus volontiers par l'attraction d'une muette ou spiraute précédente, par ex. r dans berbicem brebis (ler garde sa place originelle dans berger); 7 dans singultare sangloter. Il y a déplacement de n dans staynum étang. Dans haleine, nom verbal du v. fr. alener (respirer) pour aneler, du 1. anhelare, il y a eu échange de place entre les deux liquides n et 1, initiales des deux syllabes contiguës. C'est à la transposition des consonnes qu'on applique plus particulièrement le nom de métathèse. II. ELISION. 1. L'élision des lettres est de tous les procédés celui qui va le plus sûrement à ce but que le français semble avoir poursuivi partout et toujours, la simplification. Cette élision a pour cause : 1o le besoin d'euphonie, par exemple lorsque de deux consonnes voisines et incompatibles l'une est chassée par l'autre, comme le p par le t dans route de rupta*; 2o l'influence exercée par l'accent tonique, la voyelle accentuée étant prédominante et finissant par assourdir les lettres voisines, qui peu à pen s'effacent et disparaissent. (1) Le romand (c'est ainsi que s'appelle le dialecte franco-roman parlé dans la Suisse française) a une forme ivue, qui dérive également de aqua. Il y a dans la Suisse romande trois villages dont le nom est tiré de nigra aqua; ce sont Neirivue (Gruyère), Neirigue (Glane) et Noiraigue (Val de Travers). L'élision s'appelle aphérèse, syncope ou apocope, suivant qu'elle a lieu au commencement, au milieu ou à la fin des mots. 2. Des divers phénomènes de suppression, l'aphérèse est le plus rare en francais. a) L'aphérèse des voyelles n'a guère lieu que lorsque ces voyelles forment à elles seules la syllabe initiale: apotheca boutique, abladum* blé, oryza riz, unicornis licorne. b) La chute des consonnes (à l'exception de h) n'atteint presque jamais l'initiale, qui est d'une grande solidité : ptisana tisane, spasmare* pâmer, glirem loir, homo on, habere avoir, etc. c) La première syllabe disparaît quelquefois, mais seulement si elle est atone: hemicranium migraine, illorum leur, illum illam illos le la les, ecce-iste cest* cet, ecce-hoc ico* ce, ecce-hic ci, ecce-hac ça; et dans les noms propres: Aduaticum Douai, etc. Dans certains mots, l'aphérèse n'est qu'apparente et s'explique par une syncope suivie de contraction oncle d'avunculus (a'unculus, d'où auncle et oncle), âge de ætaticum (œ'aticum) édage* eage* âge. 3. La syncope est fréquente en français et atteint les voyelles comme les consonnes placées entre la syllabe initiale et la voyelle tonique. a) La voyelle appartenant à une syllabe médiale tombe régulièrement: 1° lorsqu'elle suit la tonique: calamus chaume, tábula table (v. § 26); 2° lorsque cette voyelle précède immédiatement la tonique, qu'elle n'est pas un a et qu'elle n'est pas précédée d'un groupe de consonnes demandant une voyelle d'appui; liberúre livrer, dormitórium dortoir (v. § 27). b) La syncope de la consonne a lieu: 1° pour les muettes c, g, t, d, b et la spirante v, quand elles sont isolées, c'est-à-dire placées entre deux voyelles et qu'elles ne sont pas protégées par une autre consonne qui prédède : jocari jouer, negare nier, salutare saluer, obedire obéir, viburnum viorne, pavonem paon (v. §§ 31-35); 2° pour les muettes et les spirantes v et s, quand elles forment la première lettre d'un groupe de deux consonnes: dic(e)re dire, jud(i)care juger, cub(i)tus coude, nav(i)gare nager, as(i)nus âne, ou la première ou seconde lettre d'un groupe de trois consonnes,: lacr(i)ma larme, dorm(i)torium dortoir (v. § 38). Il ne faut pas confondre la syncope des consonnes avec l'assimilation; on reconnaît cette dernière au redoublement de la consonne ou gémination qui rend brève la voyelle précédente; toutefois ce n'est guère qu'en italien que ce redoublement a lieu d'une manière régulière : donna de dom(i)na, sette de septem. Quant à la syncope, son signe caractéristique est le redoublement de la voyelle, qui devient longue ou se diphtongue : it. nĕro, de nigrum, fr. noir. 4. L'apocope atteint tout ce qui suit la syllabe tonique. |