Images de page
PDF
ePub

Cet ouvrage, nous le constatons avec plaisir, a obtenu en France un succès d'autant plus remarquable qu'il avait vu le jour, non à Paris, mais dans une petite ville de la Suisse, sans l'aide d'aucun éditeur et sans la moindre réclame.

La Revue critique, qui paraît à Paris sous la direction de Michel Bréal, a, la première, publié une étude approfondie de la Grammaire comparée, étude qui a pour auteur M. A. Darmsteter, connu par ses travaux linguistiques. Comme l'article est très détaillé, nous nous bornerons à en extraire le passage suivant :

« Les grandes qualités d'exposition que nous constations dans la Phonologie française de M. Ayer se retrouvent dans sa Grammaire comparée. Cette grammaire n'est pas une œuvre vulgaire. La vigueur de l'exposition, la richesse des faits classés, l'application constante de la méthode de Diez, la nouveauté de certains aperçus en font à coup sûr le meilleur livre de ce genre qui ait paru jusqu'ici dans notre langue. Non pas qu'il n'y ait encore à redire. Parfois, la richesse des détails devient de la profusion, la multiplicité des divisions que l'auteur semble embrasser si facilement devient de l'obscurité. Ce sont, il est vrai, des fautes vénielles; car l'ouvrage ne s'adresse évidemment qu'aux professeurs ou aux élèves des lycées déjà avancés.

« Le premier livre de la première partie étudie les éléments matériels des mots. C'est dans ce livre que l'auteur a cherché à être le plus neuf; et en effet je ne connais pas de grammaire française présentant une étude aussi complète des faits phonétiques de la langue. »

L'article conclut en disant que la Grammaire comparée est, malgré quelques défauts, une œuvre fort distinguée qui fait honneur à son auteur et qui contribuera, dans une large mesure, au progrès des études grammaticales.

Ce jugement si flatteur a reçu en quelque sorte la sanction supérieure du ministère de l'instruction publique, qui a recommandé officiellement la Grammaire comparée pour les études préparatoires à l'agrégation de grammaire (4 décembre 1877).

La Grammaire comparée a été appréciée non moins favorablement en Allemagne, en Italie et dans le reste de l'Europe. Une revue hollandaise l'appelle « un ouvrage admirable dans son entier et dans ses parties » (Taalstudie, 1879, p. 144 à 146), et, selon un journal pédagogique allemand, il n'existe peut-être aucune autre grammaire française qui, réunissant au même degre la rigueur scientifique à l'utilité pratique, puisse comme celle-ci se recommander sans réserve aux maitres comme aux élèves (Anzeiger für die neueste pædag. Literatur, 1878, no 8). C. AYER

PRÉFACE
de la quatrième édition

La 3me édition de la Grammaire comparée de la langue française venait à peine de paraître que déjà elle était épuisée. Aussi, quoique en proie depuis longtemps à une maladie cruelle, l'auteur entreprit-il avec la plus grande ardeur la publication d'une nouvelle édition, et il eut la satisfaction de terminer encore le manuscrit de sa propre main. Mais, hélas! il ne lui fut pas donné d'achever l'édifice qu'il bâtissait avec tant de zèle et la mort vint l'enlever à la science le 8 septembre 1884.

Chargé par M. Ayer d'abord et par l'éditeur ensuite, de surveiller l'impression de cette 4me édition, nous livrons aujourd'hui au public l'ouvrage de notre regretté professeur. Les nombreux témoignages de bienveillance que reçut M. Ayer de son vivant et les critiques louangeuses dont son livre a été l'objet nous dispensent d'en faire l'éloge aujourd'hui. Nous nous bornerons à signaler les plus importantes modifications qu'a subies la Grammaire comparée par cette révision.

Ces modifications nombreuses et souvent profondes peuvent étonner au premier abord. Mais, en les examinant de près, on verra qu'elles sont le fruit de recherches laborieuses et d'études patientes, et l'on ne pourra s'empêcher de rendre toute justice à l'auteur, qui, loin de se borner à ses propres lumières, aimait à s'entourer des conseils d'amis ou de collègues dévoués, mettait à profit les publications les plus récentes, en un mot, ne négligeait rien de ce qui pouvait lui être utile dans sa recherche infatigable de la vérité.

Parmi ces changements, le plus important touche la phonologie qui a été entièrement remaniée, surtout en ce qui concerne l'histoire des lettres latines, allemandes et françaises. Nous ne croyons pas être trop présomptueux en affirmant que ce sont bien les résultats actuels de la science que M. Ayer nous offre dans les pages où il traite des lois qui ont présidé à la formation de notre langue.

L'auteur nous semble aussi avoir été bien inspiré en renvoyant à la syntaxe certains chapitres concernant l'emploi des différentes

espèces de mots, placés à tort dans la précédente édition sous la rubrique étymologie. Ce changement bouleverse, à vrai dire, la disposition générale de l'œuvre, mais nous parait heureux et dicté par la méthode rationnelle et logique à laquelle M. Ayer s'est toujours efforcé de rester fidèle.

En outre on trouvera quelques idées nouvelles au chapitre des conjugaisons verbales et une classification plus naturelle des dérivés. La proposition substantive a reçu divers développements reconnus nécessaires et le plan d'une réforme de l'orthographe retrouve sa place naturelle dans la première partie comme conclusion à l'étude des sons et des caractères.

Enfin les exemples tirés des meilleurs auteurs sont en nombre beaucoup plus considérable et quelques adjonctions et améliorations, apportées dans les tables des matières, permettront au lecteur de s'orienter plus facilement.

Puissent ces changements, qui font en quelque sorte de l'ouvrage un livre tout nouveau, faire accueillir favorablement cette édition, dont on peut dire hardiment qu'elle est le résumé le plus complet de toutes les connaissances grammaticales de l'auteur.

Neuchâtel, Janvier 1885.

Dr DESSOULAVY

NOTICE BIOGRAPHIQUE (1)

L'auteur de la Grammaire comparée n'était pas un de ces hommes favorisés de la fortune qui, libres des soucis matériels de la vie, peuvent consacrer à l'art ou à la science tout leur temps et leurs talents. Mais doué d'une grande puissance de travail, M. Ayer a pu réunir les occupations les plus diverses, enseignant à la fois et avec un plein succes la langue et la littérature l'histoire et la géographie, l'économie politique et la statistique, prenant en même temps une part active aux luttes politiques dans son canton d'origine comme dans son canton d'adoption, et trouvant encore moyen de mettre au jour un assez grand nombre de publications qui l'ont fait connaître comme un esprit original et indépendant, ami des réformes et adversaire déclaré de la routine.

M. A. est bien réellement le fils de ses œuvres. Il n'est peut-être pas inutile d'insister sur le fait et de dire quelques mots de la vie de notre ami.

Nicolas-Louis-Cyprien Ayer est né en 1825 à Sorens, village de la Gruyère fribourgeoise. Après avoir été un élève distingué de l'Ecole moyenne centrale, fondée par le gouvernement libéral de 1830, il suivit le cours de

(1) Nous abrégeons cet article que nous devons à la plume d'un écrivain ami de l'auteur, mais juge très compétent (l'Editeur).

droit du Dr Bussard dans la pensée d'entrer au barreau; mais des circonstances l'amenèrent à renoncer à cette carrière pour se vouer à l'enseignement qu'il a pratiqué depuis lors, presque sans interruption, pendant près de quarante ans. Il débuta dans cette vocation à Cracovie, qui était encore en république. Puis nous le trouvons à Zurich comme maître de français à l'institution des frères Keller, fréquentant en même temps, pendant ses heures de loisir, quelques cours à l'université, entre autres celui de droit public suisse donné par le Dr Alfred Escher. Il passa ensuite quelque temps en Allemagne, où il se livra tout entier à l'étude du vieux français et de la littérature du moyen-âge. De retour en Suisse en 1847, il rédigea successivement deux journaux politiques, le Patriote jurassien de Delémont, et, après la chute du Sonderbund, le Confédéré de Fribourg. Mais bientôt il rentra dans l'enseignement à l'école cantonale de Fribourg, où il eut pour collègues ses amis Bornet, Sciobéret et Majeux, les poètes aimés de la Gruyère. L'Ecole cantonale, création du régime de 1848, ayant été supprimée en 1857, plusieurs de ses professeurs les plus distingués s'expatrièrent, mais A. resta encore quelque temps au pays, partageant son temps entre la politique et ses études de prédilection. En 1859, appelé en même temps à la rédaction de deux journaux neuchâtelois, le National suisse et l'Union démocratique, il opta pour ce dernier et vint se fixer à Neuchâtel. Mais cette seconde étape dans le journalisme fut de courte durée, et il revint bientôt à l'enseignement qu'il cumula pendant quelque temps avec des fonctions administratives comme conseiller municipal. Il quitta ces fonctions en 1866, quand il fut nommé professeur à l'Académie de Neuchâtel, qui venait d'être restaurée. En 1873, il devint recteur de cet établissement et prit la part principale à sa réorganisation. Son activité allait croissant d'année en année, quand, en 1878, le Corps académique l'ayant appelé, pour la troisième fois, aux fonctions de recteur, il fut atteint d'une maladie cruelle et obligé d'interrompre ses cours et de s'éloigner de ses enfants pour aller chercher, sous le ciel de l'Italie et de l'Afrique, une guérison ou une amélioration de son état. La santé n'est pas revenue, mais M. A. a trouvé dans sa volonté la force nécessaire pour reprendre ses fonctions et poursuivre ses travaux.

Aujourd'hui, M. A. n'est plus, la mort l'a arraché à de pénibles souffrances, et le 8 septembre 1884, la science a perdu un de ses investigateurs les plus zélés et la vérité un de ses plus vaillants défenseurs.

Cette notice biographique quelque courte et sèche qu'elle soit, suffit pour faire connaître l'homme de travail et de lutte. Nous n'avons pas à nous occuper de sa vie politique, qui peut se résumer en ces mots : M. A. a toujours été dévoué à la cause du progrès et fidèle à ses convictions politiques auxquelles il a su faire plus d'un sacrifice. A Fribourg, il fut l'un des plus vaillants champions de la phalange libérale; à Neuchâtel, le collaborateur politique et l'ami de Desor, Eugène Borel, Numa Droz, aujourd'hui président de la Confédération suisse, etc. Son attachement à la Suisse était tel qu'en 1872 il refusait d'accepter une brillante position à l'Université de Vienne que venait lui offrir le célèbre romaniste Mussafia.

Voici la liste des publications de notre auteur:

Grammaire française 1851. Manuel de géographie statistique 1861. Les nationalités et les états de l'Europe en 1861, étude publiée d'abord dans la Revne suisse, dirigée à cette époque par MM. J. Sandoz et C. Ayer. La Suisse,

dans la Petite géographie illustrée de Cortambert, 1870. Cours gradué de langue française, 1 partie, 1870. Tableaux de statistique générale et comparée, 1871. Phonologie de la langue française, 1875. Grammaire comparée de la langue française, 1876. Introduction à l'étude des dialectes du pays romand, 1878. Grammaire usuelle de la langue française, 1878. Grammaire élémentaire de la langue française, 1880.

Les travaux géographiques de M. Ayer n'ont pas passé inaperçus; nommé membre correspondant de la Société de géographie de Genève, il fut, en 1875, l'un des représentants de la Suisse au sein du comité d'honneur du congrès géographique de Paris. Mais c'est surtout comme grammairien et romaniste qu'il est connu dans le monde scientifique. M. A. est le premier qui dans les pays de langue française, ait appliqué la méthode historique de Diez à l'étude des faits de la langue, puisque sa Phonologie française a d'abord paru en une série d'articles, dans l'Emulation de Fribourg, pendant les années 1846, 1854 et 1855. C'est donc à juste titre que, parmi les vulgarisateurs de la grammaire historique, le Dictionnaire de pédagogie (II, 892) de M. Buisson place le nom de M. Ayer avant celui de M. Brachet, qui n'est venu que vingt ans plus tard avec sa Grammaire historique, dont la première édition est de 1867.

A vrai dire les premiers ouvrages de M. Ayer, entre autres sa Grammaire française, de 1851, n'eurent pas grand retentissement et il fallut l'impulsion donnée aux idées en France par les importants travaux des Littré, des Diez et des Brachet pour permettre à M. Ayer de prendre rang parmi ces vigoureux pionniers de la science et pour faire triompher son œuvre de tous les obstacles et de toutes les préventions. Cette œuvre, la réforme de l'enseignement de la langue, a été, dès l'apparition du Cours gradué, en 1870, saluée comme une œuvre essentiellement démocratique par l'homme éminent qui est aujourd'hui placé à la tête de l'instruction primaire en France. Voici en quels termes M. Buisson, alors professeur à l'Académie de Neuchâtel, appréciait le travail de M. Ayer dans un long article publié par le National suisse (1870, no 42) et dont nous ne reproduirons que la fin :

« D'un bout à l'autre ces manuels attestent une tendance constante à remplacer la routine par la méthode, les règles empiriques par les principes rationnels, l'artifice par la nature, et l'arbitraire par la raison. Evidemment, l'idéal de l'auteur a été de contribuer, par ce livre, à la grande révolution qui se fait aujourd'hui dans le domaine des langues; car elle s'est faite dans les sciences: substitution de la méthode naturelle à la méthode artificielle. C'est la grande idée de la moderne philologie allemande : une langue n'est pas un mécanisme factice et conventionnel, c'est un organisme vivant dont la grammaire n'a pas à inventer, mais à observer et à reproduire fidèlement les lois.....

« On peut inscrire en tête des volumes de M. Ayer ce mot d'un illustre professeur du Collège de France, digne de leur servir d'épigraphe et d'éloge : « La grammaire traditionnelle formulait ses prescriptions contre les décrets d'une volonté aussi impénétrable que déconsue : la bonne grammaire est celle qui, faisant glisser dans ces ténèbres un rayon de bon sens, demande à l'élève, au lieu d'une machinale docilité, une obéissance raisonnable. >>

« PrécédentContinuer »