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lectures, et ce qui est plus rare et plus difficile encore surtout à un certain éloignement, l'art de choisir ses antorités, de comparer les témoignages, et de saisir la vérité au milieu de rapports discordans. M. Butler se montre animé d'uti bon esprit; il juge avec impartialité nos auteurs et nos querelles; il a cette modération et cette réserve qui conviennent sur de telles matières à un laïque. Nous nous plaisons d'autant plus à lui rendre cette justice, que nous nous sommes permis de le critiquer ailleurs sur d'autres points; et puisqu'il a la bonne foi de demander des conseils, et de sentir que son travail ne sauroit être parfait, nous allons lui adresa ser nos observations, qu'il prendra sans doute dans le même esprit qui nous les a dictées.

Nous ne lui ferons point un reproche de la brièveté de ses récits. Il est clair que ses Mémoires, étant destinés à des étrangers, ne devoient point s'appesantir sur certains détails, et qu'il suffisoit de prendre la substauce des faits. Cependant il lui est arrivé de commettre quelques omissions, qu'il regrettera certainemerit. Ainsi, dans son tableau des grands évêques du siècle de Louis XIV, il ne nomine que cinq prélats, Bossuet, Fénélon, Fléchier, Huet et Godet Desinarais. Il eût pú étendre cette liste, saris beaucoup enfler sés Mémoires,

il auroit trouvé à citer des noms honorables dans l'épiscopat de ce temps-là. Le cardinal le Camus, évêque de Grenoble; Gault, évêque de Marseille; de Solminiac, évêque de Cahors; Godeau, évêque de Vence; Barillon, évêque de Luçon: Vialart, évêque de ChaJons; de Béthune, évêque du Puy; de Saulx, évêque d'Alais; de Chalucet, évêque de Toulon; de Berthier, évêque de Rieux; de Grammont, archevêque de Besançon; de Laval, évêque de Quebec, etc. etc., furent célèbres à cette époque par leurs vertus, leur charité ou leurs écrits. Dans le second ordre, il y eut, à la même époque, une sorte de renouvellement de l'esprit sacerdotal. M. Butler n'a pas même nommé ce saint prêtre,

le plus bel ornement de son siècle, ce Vincent de Paul, dont la mémoire doit être chère à tous les amis de la religion et de l'humanité. Peut-on oublier, après lui, les Olier, les Bourdoise, les Bernard, les Condren, les Faure, et les autres chefs de congrégations, et dans l'état religieux, les Rancé, les Beaufort, les François Regis? Dans la classe des curés et des prêtres employés dans le ministère, il y avoit de grands exemples de vertus et de charité. Au dedans et au dehors, des missionnaires, parmi lesquels il y en avoit des premiers vangs de la noblesse, se dévouoient à la plus pénible des fonctions. Les abbés de Laval, de Cice, de Lionne, de Queylus, d'Urfé, de Fénélon, de Saulx, de Chalucet, de SaintVallier, alloient annoncer la foi chez les infidèles, ou travailler à la conversion des protestans dans nos provinces. Nous avons parlé ailleurs (Mélanges, t. Vil et VIII) de la multitude des établissemens religieux fondés à cette époque, et de l'esprit général qui sembloit alors porter toutes les classes de la société à faire éclore ou å favoriser les institutions de piété et de charité; et nous regrettons que M. Butler n'ait pas fait usage de quelques parties de ce tableau, d'ailleurs assez court. Pour l'article des missions, il auroit pu profiter de ce que nous en avons dit dans nos Mémoires.

M. Butler raconte avec plus d'étendue ce qui a rapport aux quatre articles, et aux brouilleries de Louis XIV avec Rome. Il a puisé son récit dans les sources les plus sûres, dans Bossuet, d'Aguesseau, Fleury, d'Avrigny, et dans les pièces même publiées alors ou depuis sur cette grande affaire. Après avoir parlé de l'édit de Louis XIV, en 1682, il ajoute: «La convenance de ces injonctions, soit de la part d'une assemblée du clergé, soit de la part de l'Etat, est une chose fort douteuse. A la vérité, le premier article, qui contient une déclaration de l'indépendance du pouvoir civil en matières temporelles à l'égard de la puissance spirituelle, est un article de doctrine, sur lequel repose le principe de la fidélité au

gouvernement. Sous ce vapport, on peut en demander la signature; mais les trois autres articles n'expriment que des opinions de l'école sur des points de théologie. L'Etat n'a pas le droit de s'en mêler, et l'Eglise les abandonne au jugement des particuliers..... Quoiqu'on puisse penser de ces doctrines en elles-mêmes, nous devons reconnoître qu'en faire une espèce de formulaire de croyance, c'étoit, de la part d'un certain nombre de théologiens, une infraction de cette liberté religieuse que l'Eglise de Jésus-Christ laisse aux fidèles». Nous abandonnons ces réflexions à la sagacité du lecteur.

L'article de la révocation de l'édit de Nantes est traité avec beaucoup de modération et d'impartialité, et l'historien cita les auteurs les plus accrédités qui ont écrit sur ces matières. Il n'a pas de peine à faire voir que ce qu'on a dit de la persécution de Louis XIV contre les protestans a été fort exagéré, et il remarque entr'autres combien il est faux que l'édit de révocation bannît les protestans du royaume, comme on le croit communéanent. L'édit porte au contraire que, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de les éclairer, les protestans pour. ront rester dans le royaume, y continuer leur commerce, et y jouir de leurs propriétés sans être molestés à raison de leur religion. M. Butler n'a pas été toutà-fait aussi bien informé pour ce qui regarde le jansénisme dans le 178. siècle. Il dit, par exemple, que tous les jansénistes refusèrent de signer le formulaire lors de la bulle d'Alexandre VII, et que le nombre en étoit grand; très-peu de jansénistes, au contraire, refusèrent alors de se soumettre. Les chefs du parti, quel ques évêques, le monastère de Port-Royal furent presque les seuls qui ne souscrivirent pas. Cependant la persécution se borna à l'exil d'un petit nombre. M. Butler a confondu les époques, et il attribue au 17o, siècle des mesures de rigueur qui n'eurent lien que soixante ans plus tard. Les lettres de cachet et les nombreux écrits dont il parle (pages 97 et 98) appartiennent au règue de Louis XV. L'auteur n'a pas bien saisi non plus l'historique de la paix de Clément IX, quoiqu'il cite l'Histoire des cing Propositions, de Dumas, où cette affaire est racontée avec beaucoup de détails et d'exactitude.

M. Butler m'a paru plus exact pour la partie de l'histoire du jansénisme qui tient au 18. siècle. Ce qui regarde la bule Unigenitus, l'appel, les convulsions, les miracles, les entreprises des parlemens, est traité rapidement, mais avec beaucoup de clarté, de sagesse et de fidélité. L'auteur termine ainsi cette partie de ses moires: « Un examen sérieux et certainement impartial de l'histoire des jansénistes, me fait penser qu'ils furent constamment faux; faux en soutenant que les cinq pro-. positions ne sont pas contenues dans l'Augustinus; faux en prétendant que l'Eglise ne les avoit pas condamnées dans le sens qu'elles présentent; faux en niant le droit de l'Eglise de prononcer sur le véritable sens des écrits d'un auteur; faux dans toutes leurs distinctions et évasions, et faux dans l'excessive sévérité de leur morale ». Le chapitre x de la suppression des Jésuites ne m'a paru pouvoir donner lieu à aucune observation critique. Dans le chapitre XI, l'auteur raconte les projets de véunion entre les catholiques et les protestans; le premier, dont Bossuet fut l'ame; le secotid, qui fut conduit par Dupin. M. Butler pouvoit parler avec plus de connoissance de ce dernier projet, qui étoit concerté avec Wake, l'archevêque anglican de Cantorbéry. <<< De toutes les églises protestantes, dit-il, l'église anglicane est celle qui ressemble le plus à l'église de Rome. Elle a beaucoup retenu de ses dogmes et de sa discipline; elle a conservé toute sa hiérarchie depuis le sous-diaconat. Elle a, comme elle, des doyens, des chapitres, des prébendes, des archidiacres, des recteurs et vicaires, une liturgie prise en grande partie de la liturgie catholique, et composée aussi de psaumes, de cantiques, de trois symboles, de litanies, d'épîtres, d'évangiles, de prières et de répons. Les deux églises ont les sacremens de Baptême et

d'Eucharistie, l'absolution des malades, le service pour les morts, le signe de la croix dans le Baptême, la réserve de la Confirmation et de l'Ordre pour les évêques, la différence des habits pour les évêques et les prêtres, les fêtes, etc. Sans adopter tous les conciles généraux de l'église de Rome, l'église d'Angleterre reconnoît les trois premiers; et sans reconnoître l'autorité des autres conciles ou des Pères, les théologiens de l'Eglise établie avouent que ces anciens conciles et ces anciens Pères ont droit à un haut degré de respect >>. M. Butler rapporte ensuite, d'après la traduction angloise de l'Histoire ecclé siastique de Mosheim, les détails de la négociation entre Dupin et Wake. Son extrait est rédigé avec la précision d'un homme qui entend bieu la matière.

Je souscris bien volontiers au jugement de M. Butler sur Louis XIV et sur Mme. de Maintenon dans son chapitre XII. Arrivé au règne de Louis XV, il lui échappe quelques erreurs. Il dit que le duc d'Orléans, régent, étoit fils de ce duc d'Orléans, dont parlent les Mémoires du cardinal de Retz, et qui joua un rôle dans les troubles de la Fronde. Ce dernier, qu'on appeloit GastonJean-Baptiste, étoit frère de Louis XIII, et mourut en 1660, ne laissant que des filles. Cette branche d'Orléans s'éteignit par conséquent en lui. Mais Philippe de France, duc d'Anjou, frère de Louis XIV, forma une seconde branche. Il prit le titre de duc d'Orléans en 1661, et ce fat lui qui fut père du régent. M. Butler cite les membres de la famille royale qui, sous Louis XV, se distinguèrent par leur attachement à la religion. II nomme le duc d'Orléans, fils du régent, mort à SainteGeneviève; la reine, femme de Louis XV; sa fille, Madame Louise. Cominent un homme si instruit a-t-il oublié le vertueux Dauphin, mort en 1765, ce prince, dont la raison et la piété promettoient à la France un gouvernement fondé sur la religion et la justice? Comament n'a-t-il pas consacré quelques lignes au père de Louis XV, à cet autre Dauphin, si célèbre sous le nom

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