les premières compositions en langue française. Ainsi, en comptant le siècle où nous sommes, voilà neuf siècles sans interruption pendant lesquels cette langue sert à l'expression écrite de la pensée; une aussi haute antiquité est contemporaine de l'origine des choses modernes, alors que, Rome définitivement écartée, les barbares définitivement classés, l'ère féodale commence; ce qui est le vrai point de partage d'avec l'antiquité. A cette haute époque, de même qu'il n'y a pas dans la demi-latinité une langue commune qui soit l'origine de l'italien, de l'espagnol, du provençal et du français, de même, dans le français, il n'y a pas une langue commune qui soit l'origine des différents parlers provinciaux. Tout se forme par voie de régions et de dialectes. Ce n'est point une langue centrale qui donne naissance aux dialectes; ce sont les dialectes qui donnent naissance à la langue centrale. Alors les dialectes ont tout autant d'autorité l'un que l'autre; chaque homme écrit comme il parle dans l'idiome de sa province. Cela, dans la langue, représente exactement les circonstances féodales. Au quatorzième siècle un grand changement s'opère, le français laisse tomber les deux cas qu'il avait jusqu'alors retenus de la latinité, et se fait semblable à I 'espagnol et à l'italien. On peut dire qu'alors il devient vraiment moderne; l'exception latine et archaïque qu'il présentait disparaît, la syntaxe se modifie; et les constructions analytiques remplacent les constructions synthétiques qui dépendaient de l'usage des deux cas. Le quatorzième siècle est aussi le témoin d'un grand changement, moins dans les formes grammaticales que dans l'état politique de la langue, si l'on me permet cette expression. Les dialectes perdent leur autorité et descendent au rang de patois; sur leurs débris se forme une langue centrale et littéraire, hors de laquelle on ne peut plus écrire et s'adresser au pays tout entier. C'est donc sans cas et sans dialectes que la langue française franchit le quinzième siècle, le seizième et arrive au dix-septième. Là, elle reçoit de la part d'une société élégante et de beaux génies quelque chose d'achevé, et pendant quelque temps on la croit fixée. Mais une langue n'est ni ne peut être jamais fixée. La production des nouvelles choses et l'usure des anciennes ne le permettent pas, et un nécessaire néologisme de mots et de tournures qu'il faudrait seulement raccorder avec la tradition se manifeste clairement dans le dix-neuvième siècle. Telles sont les phases de cette longue histoire de neuf siècles, tout y est enchaîné, tout s'y succède par voie de filiation. Les modifications qui surviennent sont produites par des causes organiques inhérentes à l'esprit des hommes qui parlent la langue et à cette langue qui est parlée par eux. Les perturbations extrinsèques, qui sont effectives sans doute, n'ont qu'une action restreinte et n'empêchent pas les événements grammaticaux de se produire. Les événements grammaticaux; ce mot n'échappe pas à mon insu de ma plume, il sera la conclusion de cette introduction, car il rappelle que les langues ont des événements, que ces événements en font l'histoire, et qu'ils se lient de toutes les façons au développement social, politique, littéraire des peuples. HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE I DE L'ÉTYMOLOGIE ET DE LA GRAMMAIRE FRANÇAISE. DE LA GRAMMAIRE ANCIENNE ET DES RÈGLES POUR CORRIGER LES VIEUX TEXTES EN LANGUE D'OÏL. Un titre a été nécessaire pour faire saisir l'enchaînement des différentes parties du travail qui va suivre et qui, ne comprenant pas moins de douze articles, a pour texte cinq ouvrages1. Sans doute ces ouvrages y 11o LEXICON ETYMOLOGICUM LINGUARUM ROMANARUM, ITALICE, HISPANICE, GALLICE, par Friederich Diez. Bonn, A. Marcus, 1853, 1 vol. in-8. 2o LA LANGUE FRANÇAISE DANS SES RAPPORTS AVEC LE SANSCRIT ET AVEC LES AUTRES LANGUES INDO-EUROPÉENNES, par Louis Delatre. Paris, Didot, 1854, t. Jer, in-8. 3o GRAMMAIRE DE LA LANGUE D'OIL, ou grammaire des dialectes français aux douzième et treizième siècles, suivie d'un glossaire contenant tous les mots de l'ancienne langue qui se trouvent dans l'ouvrage, par G. F. Burguy. Berlin, F. Schneider, t. Ier, 1853; t. II, 1854. 4° GUILLAUME D'ORANGE, Chansons de geste des onzième et douzième siècles, publiées pour la première fois et dédiées à S. M. Guillaume III. roi des Pays Bas, par M. W. J. A. Jonk-bloet, professeur à la Faculté de Groningue. La Haye, Nyhoff, 1854, 2 vol. in-8. 5 ALTFRANZŒESISCHE LIEDER, etc. (Chansms en vieux français, corri |