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cotte ornée d'or; la composition noire s'efface, et la couleur naturelle de la peau apparaît. Les trois guerriers ne se laissent pas abattre; avec leurs bourdons ils renversent les païens les plus braves, les chassent de Gloriete, et se préparent à y soutenir un siége. Toutefois Guillaume gémit, craignant de ne plus revoir ni la France, ni ses parents; et Guielin lui dit que maintenant de pareils discours ne sont plus de saison, à moins, dit-il à son oncle en le raillant, que vous ne soyez disposé à faire la cour à la reine :

Vez là Orable la dame d'Aufriquant.
Il n'a si bele en cest siecle vivant.
Alez seoir delez li sor cel banc,

Endeus vos deux bras li lanciez par
Ni de besier ne soiez mie lenz.

les flans;

Ces railleries excitent Guillaume, qui s'adresse à la reine pour lui demander des armes. Celle-ci, touchéc de pitié, leur en donne. S'ils étaient redoutables avec des bourdons, ils le sont bien plus quand, couverts de heaumes, de cuirasses et de boucliers, ils s'élancen l'épée à la main; si bien que le roi Aragon désespère de les forcer. Mais il est un conduit souterrain par l'on peut les assaillir; attaqués à l'improviste par derrière, ils sont pris. Ici la reine Orable intervient en leur faveur; elle les réclame comme ses prisonniers, mais c'est pour les sauver. Elle recevra le baptême el épousera Guillaume. Gillebert est dépêché vers Ber trand, á Nimes, pour amener du secours; le secours arrive, et Guillaume, demeurant maître d'Orange, se marie avec la reine Orable, qui, devenue chrétienne, prend le nom de Guibor.

Vivien est un neveu de Guillaume, et son covenant est un vœu par lequel il s'engage, le jour où il fut adoubé, à ne jamais fuir devant Sarrasin une fois qu'il aura son haubert endossé et son heaume fixé sur la tête. Guillaume lui représente la témérité d'une pareille promesse ; il n'est pas d'homme si brave qui ne doive reculer quand les circonstances le commandent :

Niés (neveu), dit Guillaumes, moult petit durerez,
Se covenant à Deu tenir volez.

Ja n'estil home, tant soit ne preuz ne bers,
N'estuet foïr, quant il est enpressez.

Beaus niés, cist veuz ne fait mie à garder;
Vos estes juenes, lessiez tiex foletez.

Mais Vivien n'écoute pas les conseils de son oncle; il renouvelle son vœu, et jure de ne jamais reculer, en son vivant, plein pied de terre pour Turc ni pour Persan. Il part donc et va désoler l'Espagne sarrasine; longtemps il a un heureux destin; il répand le ravage et la terreur partout, si bien que le roi Desramé (c'est la transformation d'Abdérame) se résout à en prendre vengeance. Ce prince rassemble une formidable armée, la met sur une flotte non moins formidable et cingle vers Aleschans (Elysii campi), cette célèbre localité, près d'Arles, où Vivien était alors avec ses fervestus. Ici se renouvelle une scène qui est déjà dans la chanson de Roland quand les païens, arrivant, couvrent de leur multitude la plaine et la montagne, Olivier conseille à Roland de sonner du cor pour appeler Charlemagne à son secours; mais Roland croit que ce serait déshonneur à son lignage et que male chanson seroit de

lui chantée s'il témoignait quelque crainte; de même, à ses chevaliers qui lui demandent d'envoyer un message à son oncle, Vivien répond que, s'il le faisait, il serait mecreant et failli; il leur offre de le laisser seul si le péril leur paraît trop grand; mais à leur tour ils refusent de l'abandonner. A la bonne heure, dit Vivien; si nous avions faibli,

Tenu nos fust toz jorz mès à vilté,

A noz parenz fust toz jorz reprové.

Se nos morons en cest champ henneré (honoré),
S'aurons vers Deu conquise s'amisté.

Quant li homs muert en son premier aé,

Et en sa force et en sa poesté,

Adont est il et plaint et regretė.

Cette héroïque folie a la fin qu'elle devait avoir. Cependant Vivien trouve moyen, avec quelques chevaliers qui lui restent, de se loger dans un donjon en ruine qui est sur le champ de bataille, et il y soutient un siége. A ce point, il ne se croit plus obligé de ne pas informerson oncle de sa détresse. Un chevalier traverse, à grand péril, l'armée sarrasine, et bientôt après Guillaume arrive avec une armée de secours. Une bataille sanglante est livrée, et, dans cette bataille, Vivien, blessé mortellement, le ventre ouvert, les yeux crevés, se faisant pour une dernière fois affermir sur son che. val et mettre l'épée à la main, pousse son cheval au plus épais des ennemis, où il trouve la mort.

La bataille d'Aleschans est cette même histoire continuée, développée, et surchargée d'un nouvel épisode et d'un nouveau héros. Quand elle commence, Vivien n'est pas encore mort, mais il est près de sa fin. Malgré d'incroyables prouesses de lui et de son oncle, les chré

tiens ont le dessous; les neveux de Guillaume, Bertrand, Guielin, Guichard, sont pris; Vivien, se sentant mortellement blessé, se retire sur le bord d'un étang pour se recommander à Dieu avant de mourir, et Guillaume, réduit à quelques chevaliers, cherche à se frayer un passage à travers la multitude innombrable de ses ennemis. Dans ce dernier effort, il perd ce qui lui restait de compagnons. Il n'a plus de ressource que dans la vigueur de son cheval Baucent; mais Baucent est, comme son maître, blessé et épuisé de fatigue. En cette extrémité pressante, le comte s'adresse à son fidèle destrier:

Cheval, dit-il, moult par estes navrez.

N'est pas merveille, se vos estes lassez;
Quar tote jor moult bien servi m'avez.

Puis il lui promet du repos, du fourrage, de l'orge, de belles couvertures s'il le ramène à Orange. Le cheval, qu'il a laissé souffler, l'entend, reprend vigueur et courage, et s'apprête à seconder son maître. Dans sa fuite périlleuse, Guillaume arrive au lieu où gît Vivien expirant. La scène est touchante et bien racontée. Quand il le voit mort, il ne peut se résoudre à laisser le corps au pouvoir des Sarrasins; il l'emporte sur son cheval; pieux devoir que la poursuite acharnée de ses ennemis ne lui permet pas d'accomplir. Il a encore de sanglantes rencontres et finit par échapper en revêtant les armes d'un Sarrasin qu'il a tué. Haletant, blessé, serré de près, il arrive aux portes d'Orange; mais, sous son armure sarrasine, Guibor elle-même ne veut pas le reconnaître, surtout quand elle voit emmener captifs des chevaliers chrétiens sous les yeux du comte.

A ce reproche et à ce spectacle, il rappelle sa prouesse, délivre les prisonniers, et, désormais reconnu, rentre dans sa ville. Sur le conseil de Guibor, Guillaume se décide à partir pour demander secours à ses parents et à Louis. Orange sera défendu par les chevaliers qu'a sauvés Guillaume et par les femmes. Donc, il s'en va, chevauchant en grande hâte; mais il est seul, harassé d'une longue route et pauvrement vêtu; aussi, quand il descend au perron dans le palais de Louis, à Laon, personne ne vient à sa rencontre, personne ne se présente pour donner à manger à son cheval, personne ne lui offre la bienvenue. Cependant on parle au roi de ce chevalier à la haute taille, à l'aspect redoutable; il reconnaît bien vite Guillaume; mais il ne veut pas le recevoir, et fait fermer les portes. On raille le chevalier délaissé, on l'insulte :

Ancui sara (aujourd'hui saura) Guillaumes au cort nés
Com poures homs est de riches gabés.

Le roi lui-même se laisse aller à cette vilaine envie d'humilier le chevalier qui jadis l'a tant servi :

Looys prist un baston de pomier,

A la fenestre s'est alez apoier,
Et voit Guillaume plorer et lermoier.
Il l'apela et comence à huchier:
<< Sire Guillaume, alez vos hebergier,
« Vestre cheval fetes bien aesier,
« Puis revenez à la court por mengier,
<< Trop pourement venez or cortoier.
« Dont n'avez vos serjant ne escuier,

« Qui vous servist à vostre deschaucier? »>

Ainsi insulté, Guillaume trouve asile chez un bourgeois de la ville, qui lui donne, à lui et à son cheval,

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