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Jaubert, avec le sens de chanvre teillé, de billot de bois et de chantier sur lequel on pose les fûts dans les caves. Il se trouve aussi avec le sens de billot dans le Nouveau glossaire genevois de Humbert. Autant que mes recherches s'étendent, plot n'est qu'en français et en anglais; je n'en ai rencontré de trace ni en italien, ni en espagnol. On y distingue trois significations : 1o pièce de terre; 2° billot de bois; 3° chanvre teillé, laquelle se rattache peut-être celle d'assemblage comme dans com-plot, puis, par dérivation, celle de plan, d'intrigue. De la première on pourrait rapprocher plodius, mesure de terre, dont du Cange cite un exemple en un texte italien, de l'an 1319; de la seconde, ploda, pièce de bois, cité aussi par du Cange. Remarquez, dans tous les cas, qu'on ne sait non plus d'où proviennent ces mots bas-latins. Quant à la troisième, j'avais songé à plocium, étoupe, qui se trouve dans Isidore. Mais plocium ne donnerait pas facilement plot; et, pour compter sur une pareille dérivation, il faudrait quelques intermédiaires. Je n'insiste donc pas davantage sur cette hypothèse; et, jusqu'à plus ample informé, plot reste une énigme étymologique.

Le roi Corsolt, celui qui coupa le bout du nez à Guillaume, est un géant effroyable. Entre les deux yeux, l'intervalle est large d'un demi-pied, et il a une grant toise des épaules au brayer. L'apostole de Rome est allé en mission près des païens pour demander qu'ils se contentent de tout l'or de la ville et qu'ils se rembarquent sans plus ravager la terre. Il est amené près de Corsolt. Celui-ci :

Vers l'apostoille commence à reoillier;
A voiz escrie: Petiz homs, tu que quiers?

Est-ce tes ordres que haus es reoigniez? »>

(P. 14, v. 504.)

Ce géant énorme se baisse vers le petit homme, et lui demande si c'est en vertu de l'ordre auquel il appartient qu'il est tonsuré au haut de la tête. Mais que signifie reoiller? Reoillier n'est pas un mot qui ait tout à fait disparu du langage de la France; il se dit encore dans le Berry, et M. le comte Jaubert l'a consigné dans son Glossaire : « Rœiller, regarder avec curiosité. » Railler, comme l'antique reoillier, est sans doute formé de la particule re et de oil ou œil.

A toute époque, les écrivains ont puisé dans la langue latine comme dans un fonds commun. Ce fut une nécessité. La première formation, celle qui fit véritablement le français, ne porta nécessairement que sur les mots d'un usage habituel; à ceux-là elle mit son empreinte, et les marqua comme mots de la langue d'oil. Cela constituait un vocabulaire assez borné; aussi, quand le langage vulgaire sc substitua peu à peu au latin dans la poésie, dans la chronique, dans l'histoire, des lacunes furent senties; et, le latin étant à portée, on lui emprunta; mais ces mots, introduits de seconde main, restent reconnaissables; ils sont latins et non français. Il n'y avait pas, dans le vieux français, de terme qui répondit.au latin meretrix. Virre en soignentage se disait d'une femme qui vivait avec un homme sans être mariée. Dans Raoul de Cambrai est un passage où sont rassemblés une foule de mots usuels en pareils cas. Raoul dit à Marcent, maîtresse

du comte Ybert et mère du bâtard Bernier, en l'in

juriant :

Je ne fai rien de putain chamberiere
Qui ait esté corsaus ne maailliere,
A toutes gens communax garsoniere.
Au comte Ybert vos vi je soldoiere...

Et la dame répond :

...

Or oi parole fiere,

Laidengier moi par estrange maniere.
Je ne fu onques corsaus ne maailliere.
S'uns gentils homs fist de moi sa maistriere,
Un fil en ai, dont encor sui plus fiere.

Dans cette pénurie d'un mot qui lui convint, l'auteur de la Bataille d'Aleschans n'a pas craint de recourir au latin meretrix:

Et ma seror, la pute meretris,

Par cui je sui si vilment recuillis.

(V. 2890.)

Si ce mot avait passé par la bouche populaire, il se serait sans doute transformé en mereis, comme imperatrix en empereïs; mais, à l'époque où le trouvère composait, mereïs n'aurait pas été compris; et force lui fut, comme force nous est, toutes les fois que nous introduisons un vocable latin dans la langue, de lui laisser sa structure latine, qui seule le rend intelligible, sinon à la foule, du moins aux lettrés.

On sait que quelques-uns des mots qui ont passé du latin dans le français primitif ont changé d'acception. Ainsi exilium a donné essil avec la signification, non de bannissement, mais de ruine, de destruction; calumniari a donné chalenger avec la signification, non

de calomnier, mais de défier, provoquer; et ainsi de plusieurs autres bien connus. A cette classe j'ajouterai imperium, empire, qui a pris le sens d'armée, de force militaire :

En petit d'ore en i ot tant d'armez,

Nel porroit dire nus clers tant soit letrez.
Bien vos puis dire, et si est veritez,

Si grant empire ne vit homs qui soit nez,
Com en cel champ ot le jor assemblez.

(Bat. d'Aleschans, v. 5250.)

Et pour qu'on ne croie pas que cet emploi soit quelque chose de spécial à l'auteur et d'arbitraire, je citerai des vers de la Chanson d'Antioche, où le mot d'empire est le même :

Des armes aus païens ert li vaus reluisans;
Et Solimans de Nique o ses Turs malfaisans
S'en issi après eux; li empires fu grans;
Cent milliers et cinquante i ot des mescreans.
(I, v. 310.)

En lisant des vers comme ceux-ci :

Dient François : « Or as que bris parlé (parlé en coquin), « Quant tu ce crois que Mahomet soit Dé; »

on éprouvera certainement, à moins d'une grande habitude, quelque difficulté à comprendre or as que bris parlé. C'est qu'en effet le mot qui peut embarrasser a deux formes très-différentes, suivant qu'il est sujet ou régime bris dans le premier cas; bricon dans le second. Les mots de ce genre dérivent d'un substantif latin en o, onis; latro, lere, latronem, larron; brico, bris, briconem, bricon. Brico ne figure pas dans le Glossaire de du Cange; on ne le trouve donc en aucun des textes

:

qui nous sont parvenus; pourtant il appartient trèscertainement au bas latin, c'est-à-dire à ce latin de transition d'où le français est né. Il a bien fallu qu'à un certain moment il ait existé dans la latinité le mot brico, décliné comme un substantif latin, avec l'accent sur bri au nominatif, et l'accent sur co à l'accusatif, pour qu'il en soit né, en français, bris au sujet et bricon au régime. Le provençal a aussi bris et bricon employés comme fait le vieux français. La conservation d'un cas sujet et d'un cas régime est ce qui distingue le plus la langue d'oc et celle d'oïl des autres langues

romanes.

Reculer les origines de la poésie narrative en francais jusqu'au onzième siècle est un résultat légitime obtenu par la critique, puisqu'on fait voir, pour la geste de Guillaume d'Orange, qu'elle était en pleine popularité dès les premières années du douzième. C'est encore dans les premières années de ce siècle que des jongleurs chantaient la geste de Guillaume Longue-Epée, fils de Rollon, le premier duc de Normandie. Wace dit dans son roman de Rou, I, 106 :

A jugleors oï en m'effance chanter

Que Willames...

L'enfance de Wace, qui était déjà clerc lisant sous Henri le d'Angleterre, mort en 1155, appartient aux commencements du douzième siècle; et, comme pour Guillaume d'Orange, une poésie populaire et chantée par les jongleurs dès ce temps-là remonte sans conteste à des débuts plus anciens. Au reste, nous avons un témoignage qui nous apprend que deux cents ans

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