auparavant il s'était fait des vers en langue française, en langue d'oïl. Rollon, à la tête de ses Normands, ravageait la France; il assiégeait Chartres; l'évêque appela à son secours les Français, les Bourguignons et les Poitevins; avant l'arrivée de ces derniers, une sanglante bataille fut livrée, où les Normands eurent le dessous; Rollon s'enfuit avec une portion de son armée; le reste demeura enveloppé. Arrive le comte Ebles avec les Poitevins; mais, dans la nuit, les Normands cernés font une sortie, mettent en déroute leurs ennemis, et s'échappent. Le comte Ebles, dans la terreur et les ténèbres, alla se cacher chez un foulon. Repuns e cucez e muciez Se fu la nuit quens Ebalun, Tant i estut espoentez,. Ci out assez de vilains moz. (Benoit, Chron. de Norm., 2, 5904.) Il est dommage que nous ne possédions pas cet échantillon de la langue d'oïl dans le passage du neuvième au dixième siècle. Une male chanson, comme disent nos trouvères, fut chantée du comte Ebles, male chanson que Roland à Roncevaux craignait plus que la multitude des Sarrasins. Quand dans la première croisade Étienne donne le conseil d'une lâche retraite, un chevalier, Olivier de Jusi, s'écrie: Seigneur, entendés moi, franc chevalier vaillant; Ne ne somes plaié deriere ne devanɩ, C'est une peinture fidèle des mœurs et des sentiments. La geste, la male chanson, les jongleurs; tout cela est étroitement lié aux anciens temps de la vie féodale. 11 SOMMAIRE DU ONZIÈME ARTICLE. (Journal des Savants, juin 1857.) — Opinion de M. Mätzner sur la possibilité et la nécessité de corriger les vieux textes en langue d'oïl, là où ils sont défectueux. En général, on peut dire que, sauf quelques locutions encore inexpliquées, le texte, là où il est inintelligible, est corrompu. Citation et explication, strophe par strophe, d'une chanson d'un croisé partant pour la guerre sainte. Ramaint, troisième personne du présent du subjonctif de ramener. Assis signifie assiégé. Ombrage veut dire obscur, ténébreux. Oiseuse signifie oisiveté. Il ne muet pas de....., locution expliquée. Discussion du verbe escueillir. Fol large signifie prodigue. Saouler est de trois syllabes. Tourt, troisième personne du présent au subjonctif de tourner. Auwier, heureuse conjecture de M. Mätzner. Correction d'un passage du roman de Renart, due à M. Mätzner. Discussion de différents passages. De l'adjectif doux. Loiaus amours. Li oel, les yeux. Restitution de quelques vers faux. Le vers de dix syllabes avait quatre formes. Discussion de trois passages corrompus. Dans le dernier article je m'occupais d'un Hollandais, M. Jonckbloet, qui vient de publier cinq chansons de geste inédites; aujourd'hui j'ai à parler d'un Allemand, M. Mätzner, qui consacre aussi ses soins et son érudition aux monuments de notre vicille langue. Lui ne s'est pas donné pour tâche de mettre au jour des ouvrages encore manuscrits; il a reproduit un certain nombre de petites pièces de vers, imprimées, la plupart, dans le Romwart d'Adelbert Keller; mais il s'est proposé de corriger, d'épurer, d'expliquer les textes suivant les règles de la critique. Je ne puis mieux faire que de le laisser parler lui-même, en traduisant quelques passages de sa préface. « La tentative de traiter critiquement ces poésies ne peut se justifier que par elle-même. Ceux-là sauront en apprécier la difficulté qui réfléchiront qu'il s'agit d'une langue qui n'est jamais arrivée à une orthographe généralement fixée, une langue où le son et la lettre demeurèrent perpétuellement en lutte, et qui n'a pas davantage établi des principes assurés pour la flexion et la dérivation de ses mots. Outre la nuance individuelle qui, pour l'orthographe et la flexion, se montre dans chaque manuscrit de vieux français, ces monuments littéraires portent aussi la couleur de la province dans laquelle ils ont été copiés. Si l'on ajoute l'ignorance et l'inattention de certains copistes, on ne s'étonnera pas de trouver ici, parfois, dans les malériaux, objet de l'interprétation critique, une confusion singulière qui se joue d'une rectification générale et systématique. Déterminer le sens de ces débris poćtiques est étroitement lié avec le travail critique qui les corrige; cela est évident aussi y a-t-il lieu de s'étonner de la reproduction, d'ailleurs estimable, de tant de manuscrits inintelligibles dans bien des endroits et pourtant publiés avec un sang-froid qui semble les supposer intelligibles sans difficulté pour le lecteur. Il ne manque pas, non plus, de traductions en français moderne qui attribuent aux mols tantôt une signification, tantôt une autre, avec un arbitraire manifeste, et qui assignent, sans hésiter, une idée à des formes de mots dépourvues de tout sens. Je me suis efforcé, avec un soin consciencieux, aussi bien de restituer que d'interpréter. Toutefois l'erreur gît près de la vérité; ceux qui apprennent le savent mieux que· : ceux qui n'ont plus rien à apprendre; et c'est d'eux aussi que j'espère de l'indulgence pour les cas où je me serai fourvoyé. » M. Mätzner signale, avec toute raison, l'incurie qui ne fait aucune distinction entre les passages intelligibles et les passages inintelligibles. Du moins, les premiers éditeurs qui publiaient les textes grecs marquaient d'un astérisque les endroits qui, altérés, attendaient la main du critique. Cette incurie a tenu, sans doute, à la croyance générale où l'on fut d'abord que nulle règle ne présidait à ces vieilles écritures, et que là où l'on n'y entendait rien elles ne valaient pas moins que là où l'on y entendait quelque chose. Aujourd'hui elle ne serait plus excusable; il ne faut pas présenter ce qui ne se comprend pas de la même manière que ce qui se comprend; et l'on peut être sûr que, sauf quelques mots et locutions correctes mais encore obscures ou inexpliquées, les phrases qui n'offrent aucun sens sont corrompues. On est donc, je le répète avec M. Mätzner, autorisé à corriger; et je suis satisfait de l'avoir avec moi pour soutien d'une thèsc que plus d'une fois j'ai mise en avant. Souvent les copistes ne comprenaient rien, bien que ce fût en langue vulgaire, à ce qu'ils copiaient, soit qu'ils fussent tout à fait ignorants, soit que le texte qu'ils avaient sous les yeux fût difficilement lisible; et dès lors les fautes, les barbarismes, les non-sens se trouvent accumulés. Que dira-t-on du copiste qui a écrit ceci : Et s'eles font par mal conseil folage, Évidemment, il n'a pas su lire son exemplaire; ce sont |