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des lettres réunies, non des mots; tout sens en a fui : il faut restituer, et la tâche serait difficile et bien conjecturale, si, en ce cas particulier, on n'avait pas d'autres manuscrits qui fournissent la bonne leçon.

Cette bonne leçon, je la donne avec la strophe à laquelle elle appartient. Du reste, il aurait été dommage que la pièce tout entière ne nous fût pas parvenue dans un meilleur texte; car c'est une belle composition, toute pleine des sentiments chevaleresques. Je la cite, afin que l'on voie ce qu'est notre vieille langue bien écrite et bien maniée. Quenes de Béthune, qui prit part à la célèbre, croisade détournée de son but vers Constantinople, en est l'auteur. Il gémit de son départ, qui le sépare de ses amours: mais il suit la voix de Dieu qui l'appelle aux lointains périls, et. il excite tous les cœurs vaillants à prendre la croix.

Ahi, amours, com dure departie
Me convendra faire de la meillor
Qui onques fu amée ne servie!
Dieu me ramaint à li par sa douçor,
Si vraiement que m'en part à dolor!
Las, qu'ai-je dit? jà ne m'en part je mie;
Se li cors va servir nostre seignor,

Li cuers remaint del tout en sa baillie.

Quenes partait pour la croisade. Le lyrisme de ces temps, qui opposait si souvent la dame et le devoir, le corps et le cœur, trouve ici, dans la réalité des choses, un appui qui ôte à ce début toute apparence de recherche et de langueur. Quelques-uns de ceux qui ont édité cette pièce se sont mépris sur le sens du vers Dieu me ramaint..., ne s'apercevant pas que ramaint est au subjonctif, et mettant : Dieu m'attire si

bien à lui. Le sens est: puisse Dieu me ramener à elle, aussi vrai que je m'éloigne avec douleur! M. Mätzner ne s'y est pas trompé. La strophe suivante expose ce que doit le chrétien, et ce qu'espère le chevalier.

Pour li m'en vois souspirant en Surie;
Car nus ne doit faillir son creator;
Qui li faudra à cest besoin d'aïe,
Sachiés que il li faudra à greignor.
Si sachent bien li grant et li menor
Que là doit on faire chevalerie
Où on conquiert paradis et honor,
Et los et pris et l'amour de s'amie.

Le mouvement de cette strophe est vif, et la phrase bien jetée. Dieu a besoin de notre aide; ne lui faillons pas, sinon, il nous faudra au suprême besoin. Ce vers a été retourné d'une façon piquante contre Quenes de Béthune par Hues d'Oisi, qui, lui reprochant d'être revenu de la croisade, dit :

Quant Diex verra que ses besoins est grans,

Il lui faudra, car il li a failli.

La strophe suivante fait honte (et c'est ce qui avait irrité Hues d'Oisi) à tous ceux qui ne prendront pas la croix et resteront chez eux.

Diex est assis en son saint heritage;

Or i parra se cil le secorront

Que il jeta de la prison ombrage,

Quant il fu mors en la croix que Turc ont.
Sachiés, cil sont trop honi qui n'iront,
S'il n'ont poverte ou viellece ou malage;
Et cil qui sain et jone et riche sont

Ne pueent pas demourer sans hontage.

Il ne faut pas prendre assis avec le sens que nous lui donnons uniquement aujourd'hui. Il avait aussi celui

d'assiégé; et M. Mätzner a cité quelques passages d'autres auteurs qui viennent en confirmation. Il fait voir aussi que ombrage est un adjectif signifiant obscur; ce mot vient en effet d'umbraticus, dont il à le sens.

Tous li clergiés et li home d'eage

Qui en aumosne et en bienfais reinront,
Partiront tuit à cest pelerinage,

Et les dames qui chastement viyront,
Se loiauté font à ceus qui iront ;
Et s'eles font par mal conseil folage,
A lasches gens mauvaises le feront;

Car tuit li bon s'en vont en cest voiage.

:

C'est, comme on voit, au septième vers de cette strophe que se rapporte la ligne informe qu'un copiste nous a transmise ainsi lue, à l'aide de meilleurs manuscrits, elle n'offre aucune difficulté. M. Mätzner avertit de ne pas attribuer à meinront le sens de demeurer chez soi, en France; ce verbe doit être construit avec aumosne et bienfais, et, pris figurément, il se dit d'un état moral: manoir en torment, en espoir, en loialté. Aumosne au singulier signific la pratique de l'aumône, et bienfais ou biens fais veut dire non pas, comme aujourd'hui, un acte de générosité à l'égard d'un autre, mais, en général, toute bonne

action.

Diex! tant avons esté preu par oiseuse;
Or verra on qui à certes iert preus;
S'irons vengier la honte doloreuse
Dont chascuns doit estre iriés et honteus,
Quant à nos tens est perdus li saint lieus,
Où Diex por nous soffri mort angoisseuse.
S'or i laissons nos ennemis mortieus,
A tous jours mais iert no vie honteuse.

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Oiseuse est un adjectif féminin pris substantivement, et qui signifie oisiveté; par oiseuse est ici l'opposé de à certes : nous avons si longtemps été preux de loisir; aujourd'hui l'on verra qui sera preux de fait. Le texte porte nostre vie honteuse; mais cela ne peut rester : le vers n'y serait pas, l'h de honteuse étant aspirée. Mais la correction est facile au lieu de la forme nostre, vostre, il suffit de prendre la forme accourcie, mais non moins usitée, no, vo, qui sert pour les deux genres.

M. Mätzner n'a épargné aucune peine pour déterminer le sens des passages difficiles ou altérés; et je puis dire qu'il y a réussi d'une manière excellente. Son travail, purement critique, a naturellement suscité de ma part un examen de même nature; à mon tour, j'ai pris la loupe, j'ai considéré les mots, les sens, les autorités; et mon approbation, autant qu'elle peut valoir, a été acquise, dans la plupart des cas, aux interprétations qu'il donne. En quelques passages seulement, j'ai trouvé ses restitutions insuffisantes, et j'en propose d'autres; en quelques endroits encore, il ne m'a pas paru assez sévère sur les règles de la versification. Mais, en somme, j'ai été frappé de cette connaissance si précise, chez un étranger, de notre ancien idiome; il l'a certainement beaucoup étudié, pour le savoir aussi bien; j'ajouterai que M. Mätzner a été soutenu par la vaste lecture qu'il possède de la vieille poésie provençale, italienne, allemande. Rien n'éveille mieux l'esprit et ne le met plus à l'abri des surprises que d'être maître d'un champ étendu de comparaison.

Entrons dans le détail. Des remarques de ce genre peuvent servir à d'autres, soit directement, soit comme exemple. Adam le Bossu commence ainsi une de ses chansons (p. 23):

Il ne muet pas de sens celui qui plaint
Paine et travail qui li ert avantaje.

Que signifie cette locution: il ne muet pas de sens celui...? D'abord il faut se garder d'une méprise à la quelle le français moderne induirait si on n'y faisait attention; ce serait de prendre celui pour un sujet; celui est, dans le vieux français, un régime, et ici un régime indirect; mouvoir est donc un verbe neutre employé en ancien français et en provençal avec le régime indirect de la personne; par exemple, en français et dont li muet et dont li vient? et, en provençal : de cor li movia. Le mot à mot de cette locution est donc il ne vient pas de sens à celui..... c'est-à-dire celui-là est insensé qui.............

Richard de Fournival (p. 23) a ces deux vers-ci :

Cil fait que faus qui son cheval eskeut,
Quant il n'a frain dont le puist arrester.

On en comprend facilement le sens : celui-là fait que fou (je me sers de cette locution archaïque, mais que la Fontaine nous a conservée) qui lance son cheval, quand il n'a pas de frein dont il le puisse arrêter. Néanmoins on désire entrer de plus près dans le sens du verbe eskeut. M. Mätzner s'est chargé de nous l'expliquer. Il cite cette phrase de Froissart, qui dit, en parlant d'un cheval et prit son mors aux dens par telle maniere qu'il s'escueillit; et ces vers de Renart le nouvel:

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