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plus loin, entraîné par la force de la signification, et que je suis disposé à regarder ber, baron, comme l'équivalent du celtique fear, homme, ou du gothique. vair, ancien saxon wer, anglo-saxon, ver, veor, qui ont la même signification. Ces mots, tant le celtique que l'allemand, se répondent pour le sens et aussi pour la forme, émanant d'un radical commun qu'on trouve aussi dans le sanscrit vira, héros. La signification me paraît l'emporter sur la difficulté que fait le b dans le français et dans le provençal. Remarquez qu'on trouve varones, il est vrai, dans des textes qui proviennent des environs des Pyrénées, et farones, dans un très-vieil auteur. M. Burguy tire aussi baron du germanique bairon, porter, mais par une autre dérivation: anglosaxon bearn, frison bern, un enfant, un être humain ; anglo-saxon, beorn, un homme, un grand. Il est probable que le celtique bar, ainsi que fear, le gothique vair, et le germanique beran ou bairan, porter, ont concouru pour former un nouveau et commun radical à sens déterminé.

Nous venons de voir ber ou baron passer de l'accep tion générale de vir, de maritus, à celle de vaillant guerrier et de noble personne; garçon n'offre pas de moindres variations en français. D'abord il avait simplement le sens de jeune homme, de serviteur; et, dans un texte du douzième siècle, nous trouvons: Li garz cuilli les sajetes, Rois, 82. Mais, dès ce temps-là, il se prenait aussi en mauvaise part, comme dans ce vers de Quesnes, de Béthune :

Fols est et garz qui à dame se fie.

(Romancero, p. 86)

A côté, le mot garce signifiait simplement une jeune fille. Mais voyez la fortune des mots, garçon est redevenu un mot honnête, et garce n'est plus qu'une injure grossière. Ces exemples montrent, en même temps, qu'il y a, en français et en provençal, un sujet qui est gars, et un régime qui est garçon. Les autres langues romanes ont aussi ce mot italien, garzone; espagnol, garzon; bas-latin, garcio. M. Diez en donne une étymologie toute nouvelle. Il remarque qu'il y a en italien une série de mots qui, pour la forme, s'en rapprochent extrêmement. Ce sont : lombard, garzo, cœur de chou; italien, garzuolo, même signification; milanais, garzoéu, bouton de la vigne; lombard, garzon, laiteron, sorte de plante. Tous ces mots, il les rattache, avec Muratori, au latin carduus, remarquant que, dans l'italien, il y a à la fois cardatore et garzatore, cardeur; de sorte que le c latin a pu très-bien se changer en g. Ceci est certain, M. Diez l'a établi; carduus est l'origine de cette série de mots. Mais, cette première difficulté levée, il en reste encore une grande, c'est de montrer comment de ces idées on a passé à celle de garçon. Suivant M. Diez, voici la transition: on compare sans peine un enfant, un jeune homme, à quelque chose qui n'est pas développé, à un bouton, à un trognon; c'est ainsi que les Grecs se sont servis de xópos dans la double acception de branche et de garçon. Cette étymologie de M. Diez, qui est très-bonne quant à la forme, et possible quant au sens, gagne encore en vraisemblance par la présence simultanée, en italien, de garzone, garçon, et du milanais garzon, laiteron. Gars, garçon, italien garzone, supposeraient une forme non latine,

cardeo. Cependant, tant qu'on n'aura pas trouvé quelque anneau de plus, il restera des doutes; si bien que je ne puis écarter complétement les formes provençales guarz, guarzon, que M. Diez considère comme de simples erreurs d'orthographe, et qui, en effet, ne s'accommoderaient pas bien avec carduus. Le bas-breton gwerc'h, jeune fille, ne me semble pas encore devoir être complétement mis de côté; le sens le protége; quant à la forme, le gw bas-breton n'est pas une difficulté insurmontable; car, quand même, faisant comme M. Diez, on ne tiendrait aucun compte des forines provençales en gua, il n'est pas incompatible avec ga. On n'est pas autorisé à traiter le celtique comme l'allemand, pour qui le gu indique un double w. Et, de fait, on trouve que le gwas celtique a donné vassus, vassal, gwern a donné verne, et gwalen a donné gaule.

C'est dans le même esprit que M. Diez a traité le mot · trouver, provençal trobar, italien trovare. La langue latine ne paraissant offrir aucune ressource, on s'est adressé à la langue germanique, et on a indiqué treffen, rencontrer, atteindre, qui, dans l'ancien haut-allemand, a un participe trofan. M. Diez objecte qu'on n'a pas d'exemple d'un verbe roman formé d'un participe allemand, et qu'il n'est pas permis d'enfreindre une règle pour lever une difficulté; et, comme il est habile à manier le latin et à en extraire les mots et les significations romanes, il s'est mis à l'œuvre. D'abord la forme était à déterminer : or, turbare se prête trèsbien, par une transposition, qui n'est pas rare, de l'r, à donne trovare et trouver. Mais le sens? Comme pour

trouver il faut chercher, remuer, turbare a pu conduire, par cette transition, au verbe roman. Cela serait possible, mais resterait toujours hypothétique, si les lectures étendues de M. Diez ne lui avaient fourni des rapprochements qui paraissent décisifs. La forme trovare se rencontre, dans les langues romanes, avec le sens de troubler, et indique, de cette façon, la liaison entre le verbe roman et le verbe latin. Ce sont : l'ancien portugais, trovar, turbare; le napolitain, struvare, disturbare, et controvare, conturbare.

Dans cet article, j'ai réuni quelques mots d'origine fort douteuse, afin que le lecteur pût juger du genre de difficultés que présente l'étymologie des langues romanes. Voilà des langues qui, historiquement, proviennent du latin, de l'allemand, du celtique; et pourtant, à chaque instant, les doutes surgissent; on ne sait à quelle langue s'adresser; les formes et les significations entrent en conflit. Des intuitions et des subtilités singulières ont souvent dirigé les populations romanes, comme sans doute, toutes les autres. Pour les démêler, il faut aussi subtilité et intuition, appuyées d'une lecture étendue et d'innombrables rapprochements. Et ici je quitte M. Diez, pour considérer l'étymologie des langues romanes à un autre point de vue avec un autre auteur.

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SOMMAIRE DU CINQUIÈME ARTICLE (Journal des Savants, mars 1856). - Du livre de M. Delatre intitulé: La langue française dans ses rapports avec le sanscrit et avec les autres langues indo-européennes. Ce qu'est la dérivation immédiate et la dérivation médiate. Danger qu'il y a à chercher des étymologies françaises dans la liste des radicaux dressée par les grammairiens indiens. Tous les radicaux germaniques, latins, grecs, ne sont pas ramenés, il s'en faut, au sanscrit. Le français ne peut servir de clef aux étymologies des langues qui l'ont précédé. Le mode de permutation des lettres entre le sanscrit et le latin est différent du mode de permutation entre le latin et le français. Place, dans l'histoire, des idiomes parents du sanscrit. Place, dans l'histoire, des idiomes romans nés du latin; caractère de civilisation qui est empreint à ceux-ci. Vraie nature de l'étymologie française, laquelle réside essentiellement dans la filiation par le latin. La méthode déductive ne convient pas à l'étymologie; c'est la méthode inductive qui y convient, laquelle procède par l'historique du mot. Exemples d'erreurs où conduit la méthode déductive: adipeux, latitude, bonnet, brette, pis de vache. Remarque sur poisson. Le lendemain, la luette, sont des barbarismes relativement modernes; la vieille langue ne les avait pas commis; en ce genre, l'antiquité est un signe de pureté.

Tandis que M. Diez, dont j'ai fini d'examiner l'ouvrage, étudie les langues romanes dans leur dérivation immédiate, M. Delatre, dont je prends maintenant le livre, étudie le français, qui est une des langues romanes, dans sa dérivation médiate. Les termes de médiat et d'immédiat, dont on se sert pour carctériser le degré des compositions chimiques, s'appliquent aussi fort bien au degré des dérivations verbales. De même que le sulfate de soude, par exemple, ne procède pas directement de l'oxygène, du soufre et du sodium, mais passe par l'intermédiaire de l'acide sulfurique el

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