DRAMATIQUES DE J. RACINE AVEC LES NOTES DE TOUS LES COMMENTATEURS; PUBLIÉES PAR M. AIMÉ-MARTIN. SIXIÈME ÉDITION. TOME SECOND. A PARIS, CHEZ LEFÈVRE, ÉDITEUR, RUE DE L'ÉPERON, 6. LEDENTU FILS, 31, QUAI DES AUGUSTINS. PREMIÈRE PRÉFACE'. Quoique le sujet de cette tragédie ne soit encore dans aucune histoire imprimée, il est pourtant très véritable. C'est une aventure arrivée dans le sérail, il y a plus de trente ans. M. le comte de Cézy étoit alors ambassadeur à Constantinople. Il fut instruit de toutes les particularités de la mort de Bajazet ; et il y a quantité de personnes à la cour qui se souviennent de les lui avoir entendu conter lorsqu'il fut de retour en France. M. le chevalier de Nantouillet est du nombre de ces personnes, et c'est à lui que je suis redevable de cette histoire, et même du dessein que j'ai pris d'en former une tragédie. J'ai été obligé pour cela de changer quelques circonstances; mais comme ce changement n'est pas fort considérable, je ne pense pas aussi qu'il soit nécessaire de le marquer au lecteur. La principale chose à quoi je me suis attaché, c'a été de ne rien changer ni aux mœurs ni aux coutumes de la nation; et j'ai pris soin de ne rien avancer qui ne fût conforme à l'histoire des Turcs et à la nouvelle Relation de l'empire ottoman, que l'on a traduite de l'anglois. Surtout je dois beaucoup aux avis de M. de La Haye, qui a eu la bonté de m'éclaircir sur toutes les difficultés que je lui ai proposées. 1 Cette préface est celle que Racine mit en tête de la première édition de la tragédie de Bajazet, imprimée séparément, et publiée le 20 février 1672, six semaines après la première représentation. SECONDE PRÉFACE. Sultan Amurat, ou sultan Morat1, empereur des "Turcs, celui qui prit Babylone en 1638, a eu quatre frères. Le premier, c'est à savoir Osman, fut empereur avant lui, et régna environ trois ans, au bout desquels les janissaires lui ôtèrent l'empire et la vie. Le second se nommoit Orcan. Amurat, dès les premiers jours de son règne, le fit étrangler. Le troisième étoit Bajazet, prince de grande espérance et c'est lui qui est le héros de ma tragédie. Amurat, ou par politique, ou par amitié, l'avoit épargné jusqu'au siége de Babylone. Après la prise de cette ville, le sultan victorieux envoya un ordre à Constantinople pour le faire mourir ce qui fut conduit et exécuté à peu près de la manière que je le représente. Amurat avoit encore un frère, qui fut depuis le sultan Ibrahim, et que ce même Amurat négligea comme un prince stupide, qui ne lui donnoit point d'ombrage. Sultan Mahomet, qui règne aujourd'hui, est fils de cet Ibrahim, et par conséquent neveu de Bajazet. Les particularités de la mort de Bajazet ne sont encore dans aucune histoire imprimée. M. le comte de Cézy étoit ambassadeur à Constantinople lorsque cette aventure tragique arriva dans le sérail. Il fut instruit des amours de Bajazet, et des jalousies de la 1 Amurat IV, surnommé l'Intrépide, fils d'Achmet Ier, salué empereur au mois de septembre 1623, à l'âge de quinze ans. Il mourut à quarante-deux, des suites de ses débauches, le 8 février 1640. (G.) |