vère, il faut le dire, mais elle est juste. Bonaparte n'est pas seulement responsable du mal qu'il a fait de son vivant, il l'est encore de cette influence désastreuse que son souvenir fait peser depuis 50 ans sur l'Europe. On peut sans doute rendre hommage aux grandes qualités qu'il eut en partage, mais ces grandes qualités sont-elles donc une excuse suffisante pour l'abaissement moral, dont il a été en grande partie la cause? La culpabilité diminue-t-elle par hasard en proportion directe de la force d'intelligence du coupable? Certes, ce serait-là une étrange justice! Ou plutôt ce serait la négation même de la justice. Voilà pourquoi nous avons été heureux de reproduire les belles et bonnes pages de Channing et les pages plus ou moins humoristiques d'Emerson. Il y a dans les réflexions de Channing un sentiment profond de la dignité humaine; tout ce qu'il dit de la moralité des hommes publics, de la guerre, de l'amour du pouvoir, du désir des conquêtes, du rôle du gouvernement, porte l'empreinte de cette même élévation de pensée et de sentiment qu'on est toujours sur de rencontrer chez lui. Il y a dans le portrait tracé par Emerson moins d'élévation et de chaleur, mais plus d'originalité, plus de personnalité, plus de bizarrerie, si l'on veut. Emerson admire en Napoléon une forte individualité, mais renfermée exclusivement en de certaines limites; aussi son admiration est mêlée de dédain et de mépris. Channing envisage plutôt Napoléon au point de vue de l'humanité en général, Emerson, au point de vue de son individualité personnelle. L'un aime trop les hommes pour ne pas souffrir de les voir foulés au pied par ce qu'on appelle un grand homme; l'autre aime à rencontrer dans un homme une nature vigoureuse, dut-il un peu froisser ses semblables. Au fond, tous deux reconnaissent la nécessité pour l'homme de fortifier sa raison, son sentiment, sa volonté; plus les fortes individualités seront communes, moins il y aura de danger d'en voir prédominer une seule aux dépens des autres. La faiblesse morale des hommes n'est que trop souvent la principale cause du despotisme politique ou religieux. Enseigner l'énergie aux hommes, c'est prêcher contre leurs oppresseurs, qu'ils soient armés de la croix ou du glaive, peu importe. Car l'une ne vaut pas mieux que l'autre et toutes les deux font des esclaves. |