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que nous croyons ce principe de notre nature digne d'une attention spéciale; aussi voulons-nous lui consacrer un petit nombre de pages, comme un appendice très-convenable à notre notice sur Bonaparte.

La passion pour le pouvoir est une des passions. les plus universelles et elle ne doit pas être envisagée, sous toutes ses formes, comme une chose répréhensible. Déverser le blâme sur un sentiment naturel, ce serait vouloir exercer la censure à l'égard du créateur. Ce principe se manifeste à l'aurore mème de notre existence. L'enfant ne triomphe et ne se réjouit jamais davantage, que lorsqu'il acquiert la conscience de sa puissance en surmontant des difficultés ou en se proposant de nouvelles fins. Tous nos désirs, tous nos appétits prêtent aide et énergie à cette passion, car tous trouvent accroissement ou satisfaction en proportion du développement de notre vigueur et de notre ascendant. Nous devons ajouter que ce principe puise son aliment aux plus nobles sources. La puissance est l'élément principal de toutes les qualités les plus grandioses de notre nature. Il entre dans toutes les vertus les plus éminentes, comme la magnanimité, la fermeté d'âme, la constance. Il entre dans l'élévation de l'intelligence. C'est la puissance de la pensée et de son émission qui immortalise les productions du génie. Est-il donc étrange qu'un attribut, au moyen duquel toutes nos passions atteignent leurs objets, et qui caractérise tout ce qu'il y a de grand ou d'admirable dans

l'homme, éveille un désir intense, et soit recherché comme un des principaux biens de la vie?

Ce principe, nous l'avons dit, n'est pas, sous toutes ses formes, un fait criminel. Il y a en effet différentes espèces de pouvoirs, qu'il est de notre devoir de convoiter, d'accumuler, et de conserver opiniâtrément. D'abord il y a le pouvoir interne, le plus précieux de nos biens, le pouvoir sur nous-mêmes, le pouvoir de résister aux épreuves, de supporter la souffrance, d'affronter le danger, le pouvoir que nous exerçons sur le plaisir et la peine, le pouvoir de suivre nos convictions, en dépit des menaces et du dédain, le pouvoir de posséder une confiance sereine dans les époques de ténèbres et d'orages. Ensuite il y a le pouvoir sur les choses extérieures, le pouvoir par lequel l'esprit triomphe de la matière, enrôle à son service les éléments les plus subtils et les plus impétueux, emploie le vent, le feu et la vapeur comme ses agents, bâtit des villes, ouvre une route à travers l'Océan et fait pousser des fleurs au désert. Ces formes du pouvoir, et spécialement la première, sont de glorieuses distinctions de notre espèce et on ne peut les priser trop haut.

Il y a une autre espèce de pouvoir, qui, pour le sujet que nous traitons actuellement, mérite principalement notre attention. C'est le pouvoir sur nos semblables. C'est ce pouvoir là que l'ambition convoite avant tout, et qui a instigué plus de crimes et a causé plus de malheurs qu'aucun autre. Cepen

dant celui-là même, nous ne le condamnons pas d'une manière générale. Il y a une autorité vraiment noble de l'homme sur l'homme, une autorité qu'il est de notre honneur de rechercher et de pratiquer, qui s'acquiert en faisant le bien, qui est la principale récompense de la vertu. Nous voulons parler de l'influence vivifiante d'un bon et grand esprit sur les autres esprits, au moyen de laquelle des relations sympathiques s'établissent entre eux. Loin de la condamner, nous mettons au contraire toute notre sollicitude à la recommander comme la gloire la plus pure qu'une ambition vertueuse puisse se proposer. Le pouvoir de réveillir, d'éclairer, de relever nos semblables peut à juste titre être appelé divin. Car il n'y a pas de la part de Dieu d'intervention plus bienfaisante et plus sublime, que celle qu'il exerce sur des natures raisonnables, et par laquelle il se les assimile à lui-même. Cette autorité sur les autres àmes est le témoignage le plus infaillible de la grandeur. Nous admirons sans doute la vigueur qui soumet la création physique, ou qui développe les ressources matérielles d'un état. Mais il y a une puissance plus noble, qui fait ressortir les ressources intellectuelles et morales d'un peuple, qui communique de nouvelles impulsions à la société, qui jette dans la circulation des idées neuves et fécondantes, qui communique à l'esprit une nouvelle conscience de ses forces, qui excite la volonté et la fortifie dans le dessein insurmontable de bien faire. Ce

pouvoir spirituel vaut tous les autres. Améliorer la condition extérieure de l'homme est une opération secondaire, qui a surtout de l'importance parce qu'elle fournit les moyens de progresser intérieurement. Le meilleur ministre de Dieu sur la terre, c'est celui qui parle aux autres intelligences avec une énergie vivifiante, qui leur inspire l'amour du vrai et du bien, qui les encourage à souffrir pour la bonne cause, et qui les élève au-dessus des sens et du monde.

Nous ne connaissons pas de pensée plus enivrante que celle de savoir qu'un pareil pouvoir est donné à l'homme; que nous pouvons non-seulement changer la face du monde extérieur, et nous améliorer nous-mêmes par une discipline efficace, mais que nous pouvons en outre devenir une source de vie et de lumière pour nos compagnons d'existence. Nous entrons ainsi dans une espèce de confraternité avec Jésus-Christ, dont la plus haute destinée fut de pouvoir agir avec une nouvelle et céleste énergie sur l'esprit humain. Nous nous complaisons à penser qu'il vint au monde, non pas pour monopoliser cette domination divine, pour jouir d'une grandeur solitaire, mais pour faire participer tous ceux même qui se montreraient dociles à son enseignement religieux, à ce degré de gloire et de bonheur. Tout chrétien, à mesure de ses progrès, conquiert une parcelle de cette fonction divine. Dans la condition la plus humble émane d'un esprit pieux et désinté

ressé un pouvoir qui fait jaillir sans bruit le sentiment moral et religieux, peut-être chez un enfant, peut-être chez quelques amis, et qui enseigne, sans l'aide de la parole, tout ce qu'il y a d'aimable et de calme dans une franche et sincère vertu. Dans les classes plus éclairées apparaissent de temps à autre des individualités qui, grâce à une force et à une élévation d'âme particulières, obtiennent sur les esprits des autres hommes une influence à laquelle on ne peut assigner de limites. Elles parlent d'une voix qui est entendue des nations éloignées et qui descend jusqu'aux àges futurs. Leurs noms sont répétés avec vénération par des millions d'hommes et des millions d'hommes trouvent dans leurs vies et dans leurs écrits un témoignage encourageant de la grandeur de l'esprit, de sa vigueur morale, de la réalité d'une vertu désintéressée. Voilà les vrais souverains de la terre. Ils partagent la royauté de Jésus-Christ. Ils possèdent une grandeur qui sera de plus en plus ressentie. Le temps viendra, et les signes précurseurs en sont visibles, où cet attribut de grandeur, si longtemps mal compris, sera reconnu appartenir éminemment, sinon exclusivement, à ceux qui, par leurs caractères, leurs actions, leurs souffrances, leurs écrits, auront laissé des traces impérissables et illustres d'eux-mèmes dans l'esprit humain. Parmi ces souverains légitimes du monde sera rangé le philosophe, qui scrute les secrets de l'univers et de l'àme, qui ouvre de nouveaux champs à l'intelligence, qui

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