régale de gibier, la plus succulente des viandes, à qui les courants d'eau paient tribut aussi bien que les bois, dont la vie aventureuse exerce la sagacité et chez qui le péril entretient le courage et la spontanéité de la décision. Nous ne sommes pas le défenseur de la vie sauvage. Nous savons que la liberté dont elle se glorifie est une illusion. Ce simple fait, la nature humaine dans cette condition ne fait pas de progrès, prouve assez qu'elle manque de la véritable liberté. Nous voulons seulement dire que l'homme, dans les mains du despotisme, tombe parfois au-dessous du sauvage, et qu'il serait préférable pour lui de vivre sans loi, que de vivre sous une autorité sans loi. que C'est le rôle des chrétiens d'envisager la passion du pouvoir et de la domination avec une aversion énerque; car elle est particulièrement hostile au génie de leur religion. Jésus-Christ l'a toujours condamnée. Un des indices les plus frappants de sa grandeur morale et de l'originalité de son caractère fut qu'il n'admit aucun rapport, qu'il ne fit aucun compromis avec cet esprit universel de son temps, mais qu'il s'y opposa sous toutes ses formes. Il trouva les Juifs se berçant de rèves de domination. Des prophéties relatives au Messie, les plus familières et les plus chères pour eux étaient celles qui l'annonçaient comme un conquérant et qui furent interprétées, dans leur amour des choses de la terre, comme une promesse de triomphes pour le peuple dont il devait sortir. Mème les disciples choisis de Jésus attendaient de lui de semblables avantages. S'asseoir à sa droite et à sa gauche, ou en d'autre mots, occuper la place la plus recommandable dans son royaume, fut non-seulement leur désir caché, mais l'objet de leur demande ouverte et importune. Mais il n'y avait pas de passion que Jésus rebutat avec plus de sévérité que celle-là. Il enseigna que pour ètre grand dans son royaume, on devait servir ses frères, au lieu de leur commander. Il plaça au milieu d'eux un enfant comme emblème de l'humilité de sa religion. Ses plus terribles réprimandes tombèrent sur les arrogants et ambitieux Pharisiens. Quant à lui personnellement, il était doux et plein de condescendance, n'exigeant pas de service personnel, vivant avec ses disciples comme un ami, partageant leur pauvreté, dormant dans leur barque de pècheur et lavant mème leurs pieds; et en tout cela, il se proposa expressément à eux comme un modèle, sachant bien que le dernier triomphe du désintéressement est d'oublier notre propre supériorité, dans notre sympathie, notre sollicitude, notre tendresse, notre respect et notre zèle plein d'abnégation pour ceux qui sont au-dessous de nous. Nous ne pouvons à la vérité nous étonner que la convoitise du pouvoir ait rencontré le blâme et les menaces les plus sévères du christianisme, puis qu'elle entrait ouvertement en lutte avec la grande fin de cette religion, qui est l'élévation de l'esprit humain. Il n'y a pas de preuve plus palpable et plus prononcée de la corruption de cette même religion, que de la voir se transformer en instrument de domination, et enseigner que le devoir primitif de l'homme est de se livrer comme une chose passive entre les mains de ses ministres, prètres ou rois. Le sujet que nous discutons actuellement est un de ceux auxquels toutes les nations et spécialement la nôtre, ont intérèt; et nous manquerions notre principal but, si nous n'amenions le lecteur à en faire l'application à nous-mêmes. La passion de dominer,bien que plus complétement développée dans les états despotiques, n'est limitée à aucune forme de gouvernement. Elle est le danger capital des états libres, elle est l'ennemi naturel des institutions libres. Elle agite notre propre pays et jette sans cesse de l'incertitude sur la grande expérimentation que nous faisons ici en faveur de la liberté. Nous essaierons donc, en peu de mots, d'exposer son influence et ses dangers et d'affaiblir cette ardeur avec laquelle on cherche chez nous-mêmes à participer aux fonctions publiques et au pouvoir. C'est le caractère distinctif des institutions républicaines que, tout en obligeant la passion du pouvoir à modérer ses prétentions et à se contenter d'avantages plus limités, elles tendent à la répandre beaucoup plus au large dans toute la société, et à en faire un principe universel. L'accès des fonctions publiques étant ouvert à tous, des foules d'individus brûlent de s'y précipiter. Mille mains sont tendues pour saisir les rênes qui ne sont refusées à aucune. Peut-être, dans ce pays de liberté si vanté et se vantant si fort, y a-t-il un grand nombre de personnes qui, si elles étaient appelées à se prononcer sur le bien essentiel d'une république, le placeraient en ceci que tout homme est éligible à chaque emploi et que les plus hautes fonctions du pouvoir et du crédit sont des prix abandonnés à la concurrence universelle. La supériorité attribuée par beaucoup de personnes à nos institutions consiste, non pas en ce qu'elles assurent la plus grande liberté, mais en ce qu'elles fournissent à tout homme une chance de gouverner; non pas en ce qu'elles resserrent le pouvoir du gouvernement dans les limites les plus étroites qui puissent se concilier avec le salut de l'état, mais en ce qu'elles le jettent dans le plus de mains que possible. Le grand crime du despote d'après leurs idées, c'est qu'il se réserve le plaisir de la domination pour lui seul, qu'il en fait un monopole, tandis que nos institutions plus généreuses,en fragmentant le pouvoir, et en appelant la multitude à s'y accrocher, répandent cette jouissance au loin et au large. Le résultat de ceci, c'est que l'ambition politique infecte notre pays, et engendre une agitation et une inquiétude fiévreuses qui,aux yeux des monarchistes, peuvent sembler faire plus que contrebalancer nos formes de liberté. L'esprit d'intrigue,qui chez les gouvernements absolus, est confiné dans les cours, circule dans tout le pays; et comme les individus ne peuvent accomplir leurs desseins politiques par leur action privée, ils se groupent en partis, formés ostensiblement en vue d'un intérêt public, mais ayant uniquement pour but l'acquisition du pouvoir. Le souverain nominal, c'est-à-dire, le peuple, comme tous les autres souverains, est courtisé, il a ses flatteurs, et on lui dit qu'il ne peut mal faire. Son orgueil est entretenu, ses passions sont excitées, ses préjugés deviennent invétérés. Tels sont les procédés par lesquels d'autres républiques ont été renversées, et celui-là doit être aveugle qui n'en retrouve pas les traces chez nous. Nous ne voulons pas exagérer nos dangers. Nous nous réjouissons de savoir que les progrès de la société opposent de nombreux obstacles à l'amour du pouvoir. Mais tout homme sage, qui voit ses œuvres, doit le redouter comme notre ennemi capital. Cette passion puise sa force et sa véhémence dans notre pays de l'idée communément répandue que le pouvoir politique est la plus haute récompense que la société ait à offrir. Nous ne connaissons pas d'illusion plus générale, et ce n'est pas la moins dangereuse. Inculquée, comme elle l'est, dans les esprits dès notre jeunesse, elle fournit un aliment immense à l'ambition politique. Elle attire l'activité des intelligences les plus distinguées du pays vers les emplois publics comme vers le bien suprême et elle produit des hommes inquiets, intrigants et sans principes. Elle fait |