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surgir des masses de compétiteurs égoïstes pour un nombre comparativement restreint de places, et elle encourage cette recherche effrontée, impudente, de l'élévation personnelle, que le sens moral droit et le respect de soi-même, plus répandus dans la société, couvriraient de honte et de mépris. Ce préjugé nous est venu des temps passés et c'est un de leurs legs les plus funestes. Gouverner les autres a toujours été regardé comme la plus haute fonction sur la terre. Nous avons une preuve remarquable de la force et de la pernicieuse influence de cette persuasion, dans la manière dont l'histoire a été écrite. Qui remplit les pages de l'histoire? Ce sont les chefs politiques et militaires, qui n'ont vécu que pour une seule chose, soumettre et gouverner leurs semblables. Ils occupent le premier plan, et le peuple, l'espèce humaine, disparaît comme sans importance, et est presque éclipsée derrière ses maîtres. Le véritable, le plus noble objet de l'histoire, c'est de rappeler les vicissitudes de la société, son esprit aux différentes époques, les causes qui ont déterminé ses progrès et son déclin, et spécialement les manifestations et le développement de ses plus hauts attributs et intérêts, de l'intelligence, du principe religieux, du sentiment moral, des beaux-arts et des arts utiles, des triomphes de l'homme sur la nature et sur lui-même. Au lieu de cela, nous avons des annales d'hommes au pouvoir, souvent faibles, plus souvent méchants, qui font peu de chose ou rien pour l'avancement de leur

siècle, qui ne sont en aucune façon ses représentants, que le hasard de la naissance peut-être a élevés à ce degré d'influence. Nous avons les rivalités des courtisans, les intrigues des cabinets, les siéges et les. batailles, les naissances et les décès royaux, et les secrets du palais, cette sentine de débauche et de corruption. Voilà les étapes de l'histoire. Les inventions de l'imprimerie, de la poudre à canon, de la boussole, ce sont de trop médiocres affaires à retracer par elle. Elle doit se courber devant les rois et les guerriers. Elle a des volumes pour les complots et les querelles de Leicester et d'Essex sous le règne d'Élisabeth, mais pas une page pour Shakspeare; et si Bacon n'avait pas rempli une fonction publique, elle aurait à peine mentionné son nom, dans sa sollicitude à conserver les faits du Salomon de ce temps, Jacques Ier.

Nous avons parlé de l'importance extrême, qu'on attache aux gouvernants et au gouvernement, comme d'un préjugé; et nous pensons qu'on pourrait faire quelque chose pour affaiblir la passion du pouvoir, en plaçant cette idée sous un jour plus apparent. Il nous semble qu'il ne serait pas très-difficile de montrer, que gouverner les hommes n'est pas une sphère d'action aussi relevée qu'on l'a supposé d'ordinaire, et que ceux qui ont obtenu cette dignité ont usurpé dans l'histoire et dans l'esprit des hommes une place au-dessus de celle qu'ils étaient en droit d'occuper. Nous croyons réellement que nous ne sommes pas

seul de cette opinion, qu'à ce sujet un changement de manière de voir a commencé et continue à s'opérer, que les hommes apprennent qu'il y a dans les affaires humaines de plus hautes sources de bonheur et des agents plus importants que la domination politique. C'est un signe de progrès de la société, de rabaisser l'homme public et de relever l'homme privé. Le pouvoir tombe ainsi dans les mains d'individus non qualifiés, et se répand dans toutes les classes de la société. Des moyens d'une influence étendue se multiplient et se répartissent librement, de nouveaux canaux s'ouvrent, grâce auxquels les intelligences bien dotées, dans quelque rang ou condition que ce soit, peuvent communiquer leurs richesses au loin et au large. Avec la diffusion de l'éducation et de l'imprimerie, un homme privé peut maintenant parler à des multitudes, incomparablement bien plus nombreuses que n'en ont jamais électrisées les orateurs anciens ou modernes, soit dans les assemblées populaires, soit dans les chambres législatives. Par toutes ces ressources la vérité établit sa souveraineté sur les nations, sans le secours du rang, de la fonction ou du glaive; et ses fidèles ministres deviendront de plus en plus les législateurs du monde.

Nous sommes loin de le contester, nous le soutenons même avec conviction, le gouvernement est un grand bien, il est essentiel au bonheur des hommes; mais il accomplit son bien principalement par une

influence négative, en réprimant l'injustice et le crime, en préservant la propriété de toute atteinte, et en écartant ainsi les obstacles au libre exercice des facultés humaines. Il ne confère que peu d'avantages positifs. Sa mission est non de procurer le bonheur, mais de fournir aux hommes l'occasion de travailler à leur bonheur par eux-mêmes. Le gouvernement ressemble à l'enceinte qui entoure nos terres; c'est une protection indispensable, mais elle ne fait pas pousser la moisson, ni mùrir les fruits. C'est à l'individu à décider si l'enclos sera un paradis ou un désert. Combien est peu positif le bien que le gouvernement est capable d'accorder! Il ne laboure pas nos champs, il ne båtit pas nos maisons, il ne noue pas les liens qui nous attachent à nos familles, il ne donne pas le désintéressement au cœur, ni l'énergie à l'intelligence et à la volonté. Tous nos grands intérêts sont abandonnés à nous-mêmes; et les gouvernements, quand ils s'en sont mêlés, leur ont apporté plus d'entraves qu'ils ne les ont fait avancer. Par exemple, ils n'ont pris la religion sous leur protection que pour la défigurer. De même l'éducation, dans leurs mains, n'a généralement fait que propager des maximes de servitude, et prêter appui à d'anciennes erreurs. De la même façon ils ont paralysé le commerce par leurs soins et leurs encouragements et ils ont accru le paupérisme par leurs expédients pour le soulager. Le gouvernement a presque toujours été une barrière contre laquelle

l'intelligence a eu à lutter; et la société a dù ses principaux progrès aux individualités privées, qui ont laissé derrière elles leurs chefs et les ont graduellement surpassés, à leur confusion, en vérité et en sagesse.

La vertu et l'intelligence sont les grands intérêts d'une société, ils comprennent et valent tous les autres; et l'entreprise la plus noble est de les faire progresser. Or nous estimons que le pouvoir politique n'est pas le moyen le plus efficace pour leur avancement et par conséquent nous doutons que le gouvernement soit la seule sphère, le sphère la plus élevée qui convienne aux esprits supérieurs. La vertu, d'après sa véritable nature, ne peut être le produit de ce qu'on appelle l'intervention directe du gouvernement, c'est-à-dire, de la législation. Les lois peuvent réprimer les crimes. Leur mission c'est d'ériger des prisons pour la violence et la fraude. Mais la valeur morale et religieuse, la dignité de caractère, l'élévation de sentiment, tout ce qui fait de l'homme un objet de bénédiction pour lui-même et pour la société, est placé hors de leur domaine. La vertu est le propre de l'âme, où les lois ne peuvent pénétrer. L'excellence morale est quelque chose de trop pur, de trop spirituel, de trop céleste, pour ètre le résultat du grossier mécanisme gouvernemental. La législation humaine s'adresse à l'amour de soi et elle opère par la contrainte extérieure. Son principal ressort c'est la punition. Elle ne peut pé

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