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pour objet la satisfaction des sens et elle emploie à cette fin les moyens les plus multipliés et les plus divers; elle est en commerce familier avec les forces mécaniques, elle est très-intelligente, largement et soigneusement instruite, fort habile, mais elle imprime un caractère de subordination à toutes les ressources intellectuelles et spirituelles en les convertissant en instruments de succès matériel. Être riche, voilà le but. «< Dieu, dit le Coran, a accordé à chaque peuple un prophète dans sa propre langue. Paris, Londres, et New-York, l'esprit du commerce, de l'argent, et de la puissance matérielle, devaient aussi avoir leur prophète, et Bonaparte fut désigné et envoyé comme tel.

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Chacun des millions de lecteurs d'anecdotes, de mémoires, de notices biographiques sur Napoléon se complaît dans ces pages, parce qu'il y étudie sa propre histoire. Napoléon est parfaitement moderne, et au point culminant de sa fortune il a le véritable esprit des journaux. Il n'est pas un saint, ou, pour nous servir de son expression, il n'est pas un capucin; il n'est pas non plus un héros, dans le sens élevé du mot. L'homme de la rue retrouve en lui les qualités et les aptitudes d'autres hommes de la rue. Il voit en lui un bourgeois de naissance, tout comme luimême, un bourgeois qui par sa véritable capacité intellectuelle est parvenu à une position si prédominante qu'il a pu satisfaire tous ces goûts, que le commun des hommes possède, mais qu'ils sont obligés de dissi

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muler et de se refuser une bonne société, de bons la parure, des diners,

livres; de fréquents voyages, des domestiques sans nombre, de l'importance personnelle, la réalisation de ses fantaisies; se poser dans l'attitude d'un bienfaiteur de toutes les personnes de son entourage; la jouissance raffinée des tableaux, des statues, de la musique, des palais, des honneurs de convention, précisément ce qui est agréable au cœur de tout homme au xixe siècle, cet homme puissant posséda tout cela.

Il est vrai qu'un homme doué, comme Napoléon, de l'aptitude à se mettre au niveau de l'esprit des masses environnantes, devient non pas simplement un représentant, mais réellement un monopoliseur, un dominateur des autres esprits. C'est ainsi que Mirabeau devint le plagiaire de toutes les bonnes pensées, de tous les bons mots qui furent exprimés en France. Dumont raconte qu'il était assis dans la tribune publique de l'Assemblée nationale et qu'il entendit Mirabeau prononcer un discours. Ce qui frappa Dumont, c'est que Mirabeau aurait pu y adapter une péroraison que lui, Dumont, écrivit immédiatement au crayon et montra à lord Elgin, assis à côté de lui. Lord Elgin l'approuva et Dumont, dans la soirée, la montra à Mirabeau. Mirabeau la lut, la jugea admirable et déclara qu'il voulait l'intercaler dans le discours qu'il devait faire le lendemain à l'Assemblée. « C'est impossible, dit Dumont, car malheureusement je l'ai montrée à lord

Elgin.

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Que vous l'ayez montrée à lord Elgin et à cinquante personnes en outre, je ne la prononcerai pas moins demain. » Et il la prononça le jour suivant de la session et produisit beaucoup d'effet. Car Mirabeau, avec sa personnalité écrasante, sentait bien que ces choses, inspirées par sa présence, lui appartenaient tout aussi bien que s'il les avait dites, et qu'en les adoptant il leur imprimait toute leur valeur. Le successeur de la popularité de Mirabeau fut bien plus absolu et bien plus centralisateur, et il le fut pour beaucoup plus qu'à cause de son ascendant en France. En effet, un homme de la trempe de Napoléon cesse, pour ainsi dire, d'avoir un langage privé et une opinion privée. Il a une si vaste réceptivité, et il est tellement placé, qu'il devient comme le bureau de toute l'intelligence, de tout le bon sens et de toute la puissance de l'époque et du pays. II gagne des batailles, il fait le Code, il établit le système des poids et mesures, il aplanit les Alpes, il construit des routes. Les ingénieurs, les savants, les hommes d'État distingués rapportent tout à lui; toutes les bonnes têtes dans chaque genre en font autant. Il adopte les meilleures mesures, il y appose son empreinte et il l'appose non seulement sur elles, mais sur toutes les expressions heureuses et mémorables. Chaque phrase prononcée par Napoléon et chaque ligne de ses écrits mérite d'être lue, parce qu'elle est le sentiment de la France.

Bonaparte fut l'idole du commun des hommes,

parce qu'il eut à un degré éminent les qualités et les aptitudes du commun des hommes. Il y a une certaine satisfaction à descendre jusqu'au fond de la pensée des hommes adroits, car alors on se débarrasse de la dissimulation et de l'hypocrisie. Bonaparte, en commun avec cette grande classe qu'il représentait, travailla pour le pouvoir et la richesse; mais Bona parte spécialement travailla sans le moindre scrupule sur les moyens. Tous les sentiments qui embarrassent l'homme dans la poursuite de ces objets, il les met de côté. Les sentiments étaient faits pour les femmes et les enfants. Fontanes, en 1804, exprima l'opinion même de Napoléon, quand, en faveur du sénat, il lui adressa ces paroles : « Sire, le désir de la perfection est la plus fàcheuse infirmité qui ait jamais affligé l'esprit humain. » Les défenseurs de la liberté et du progrès sont des idéologues, c'était un terme de mépris qu'il avait souvent à la bouche; Necker est un idéologue; Lafayette est un idéologue.

Il y a un proverbe italien, trop bien connu, qui déclare que si vous voulez réussir, vous ne devez pas être trop bon. C'est un avantage, dans certaines limites, de s'être soustrait à l'empire des sentiments de piété, de reconnaissance, de générosité; car alors, ce qui était une barrière infranchissable pour nous, et ce qui l'est encore pour les autres, devient une arme commode pour nos desseins justement comme la rivière, qui était un obstacle formidable, et que

l'hiver transforme en la plus unie des routes. Napoléon renonça une fois pour toutes aux sentiments et aux attachements et voulut ne s'aider que de ses mains et de sa tète. Avec lui il n'y a pas de miracle, ni de magie. C'est un homme qui travaille le cuivre, le fer, le bois, la terre, qui construit des routes, des édifices, qui bat monnaie, qui organise des troupes; c'est un maître-ouvrier très-vigoureux et très-habile. Il ne faiblit ni ne se relàche jamais, mais il opère avec la constance et la précision des agents naturels. Il n'a perdu ni ses sympathies, ni son sens natifs pour les choses. On se range devant un pareil homme, comme devant un fait naturel. Sans contredit il y a assez d'hommes qui sont plongés dans les choses, comme les fermiers, les forgerons, les marins, et les mécaniciens en général, et on sait combien de tels hommes paraissent réels et solides en présence d'érudits et de philologues; mais ordinairement ces hommes-là manquent de la faculté de coordination et ils ressemblent à des mains sans tète. Bonaparte, lui, ajouta à cette force minérale et animale la lucidité et l'esprit de généralisation, de sorte qu'on vit en lui la combinaison des forces naturelles et intellectuelles, comme si la mer et la terre s'étaient incarnées en lui et avaient commencé à se combiner entre elles. Aussi la terre et la mer semblent avoir été ses précurseurs. Il apparut spontanément et elles lui firent accueil. Ce calculateur habile savait ce qu'il voulait opérer avec ces

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