guerres d'Italie sans sentir notre sang circuler plus rapidement dans nos veines. Ses conceptions promptes, ses ressources inépuisables, sa volonté énergique, sa décision qui ne souffrait pas de retard entre le dessein et l'exécution, la présence d'esprit qui, au milieu de revers soudains et sur la pente d'un désastre, lui faisait découvrir les moyens de salut et de succès, cette aptitude de commander, jointe au courage qui, bien que révoqué en doute plus tard, ne lui fit jamais défaut alors; tout cela nous force à lui accorder, ce qu'en vérité nous n'avons pas le désir de lui refuser, l'admiration qui est due à un génie supérieur. Que les amis de la paix n'en soient pas blessés. Nous l'avons dit, et nous le répétons, nous ne voulons pas refouler notre admiration pour les capacités étonnantes que souvent la guerre fait surgir. De grandes facultés, même malgré leur mauvaise direction, attestent une glorieuse nature, et nous pouvons confesser leur puissance, tout en condamnant, de toute l'énergie de notre sentiment moral, les mauvaises passions qui les dépravent. Nous sommes prêt à accorder que la guerre, bien que nous l'abhorrions, développe souvent et place dans un jour plus favorable une vigueur d'intelligence et de résolution qui nous inspire une plus haute idée de l'âme humaine. Il n'y a peut-être pas de moment dans la vie, où l'intensité d'action de l'esprit est portée à un plus haut point, où la volonté déploie plus de force, et où des stimulants qui semblent ne pouvoir être contenus, sont plus tempérés par la possession de soi-même, qu'à l'heure de la bataille. Et cependant la grandeur de l'homme de guerre est de médiocre valeur, si on la compare à la magnanimité de la vertu. Elle s'évanouit devant la grandeur des principes. Le martyr de l'humanité, de la liberté, de la religion, l'homme qui, sans se laisser ébranler, s'attache à la vérité méprisée et désertée, qui, seul, sans appui, tourné en ridicule, à qui la foule n'inspire aucun courage, qu'aucune variété d'objets ne peut arracher à ses pensées, dont aucune occasion d'effort ou de résistance ne réveille et n'entretient l'énergie, et qui cependant consent à supporter, avec calme, avec résolution, avec un invincible amour de l'humanité, des tourments prolongés et recherchés, qu'un seul mot de rétractation pourrait éloigner de lui, un tel homme est aussi supérieur à l'homme de guerre, que la tranquillité et l'infinité du ciel placé au-dessus de nos têtes le sont à l'abjection de la terre foulée par nos pieds. Nous avons parlé des énergies de l'esprit mises en relief par la guerre. Si l'on veut bien nous permettre une courte digression, qui cependant se rapporte directement à notre sujet principal, les mérites de Napoléon, nous observerons que le talent militaire, même de l'ordre le plus élevé, est loin d'occuper la première place dans les dons de l'intelligence. C'est une des formes les moins nobles du génie, car elle n'a pas rapport aux objets les plus élevés ni les plus féconds de la pensée. Nous convenons qu'un esprit, qui saisit d'un coup-d'œil, dans une vaste contrée, et qui comprend, comme par intuition, quelles sont les positions les plus favorables qu'elle fournit pour le succès d'une campagne, est un esprit large et vigoureux. Le général qui dispose ses forces de manière à contrecarrer des forces plus grandes, qui supplée par l'habileté, la science et l'invention, au défaut du nombre, qui pénètre les desseins de son ennemi, et qui imprime de l'unité, de l'énergie à une grande variété d'opérations et leur procure la réussite, au milieu d'éventualités et d'obstacles qu'aucune sagesse ne pourrait prévoir, fait preuve d'un puissant génie. Mais cependant la principale affaire d'un général, c'est d'appliquer la force physique, d'écarter des obstacles physiques, de se prévaloir de secours et d'avantages physiques, d'agir sur la matière, de triompher des rivières, des remparts, des montagnes et des forces musculaires de l'homme; or cenesont pas là les objets les plus élevés de l'esprit, et ils n'exigent pas une intelligence de l'ordre le plus élevé. Aussi rien n'est plus commun que de rencontrer des hommes, éminents dans cette branche, et manquant à la fois des plus nobles facultés de l'âme, inaccoutumés à la profondeur et à la liberté de pensée, dépourvus d'imagination et de goût, incapables de jouir des œuvres du génie, et privés de largeur et d'originalité dans leurs vues sur la nature humaine et la société. Les fonctions d'un grand général ne différent pas beaucoup de celles d'un grand mécanicien, dont l'occupation est d'imaginer de nouvelles combinaisons des forces physiques, de les adapter à de nouvelles circonstances, et d'écarter de nouveaux obstacles. Aussi de grands généraux, au dehors de leur camp, ne sont souvent pas de plus grands hommes que le mécanicien, arraché à son atelier. Dans la conversation ils sont souvent lourds. Ils ne peuvent comprendre des raisonnements abstrus et raffinés. Nous savons bien qu'il y a de magnifiques exceptions. Tel fut César, à la fois le plus grand homme de guerre et l'homme d'état le plus perspicace de son époque, tandis qu'en éloquence et en connaissance des belles lettres, il laissa presque derrière lui tous ceux qui s'étaient consacrés exclusivement à ces matières. Mais de tels cas sont rares. Napoléon, le conquérant, le héros de Waterloo, possédait sans contredit de grands talents militaires; mais nous ne pensons pas que ses admirateurs les plus passionnés réclament pour lui une place au rang des esprits les plus éminents. Nous ne voulons pas même descendre, dans nos exemples, jusqu'à Nelson, cet homme, grand sur le pont d'un vaisseau, mais avili par des vices grossiers et qui n'eut jamais la prétention d'élargir son intelligence. Établir une comparaison sous le rapport du talent et du génie entre de tels hommes et Milton, Bacon et Shakspeare, c'est presque une insulte à ces noms illustres. Qui peut penser à ces intelligences vraiment grandes, au rang qu'elles occupent dans le ciel comme sur la terre, à leur profonde intuition de l'âme humaine, à la nouveauté et à l'éclat de la combinaison de leurs pensées, à la vigueur avec laquelle elles maîtrisaient et soumettaient à leur but principal les matériaux infinis que la nature et la vie fournissent; qui peut penser aux formes de beauté et de grandeur transcendantes qu'elles ont créées ou qui plutôt n'étaient que les émanations de leurs propres esprits, au calme plein de sagesse qu'elles savaient allier à une imagination ardente, au pouvoir de leur voix qui fait que << malgré leur mort elles parlent encore » et réveillent l'intelligence, la sensibilité et le génie dans les deux hémisphères; qui peut penser à de pareils hommes, et ne pas sentir l'immense infériorité de l'homme de guerre le plus heureusement doué, dont les éléments de la pensée sont les forces physiques et les obstacles physiques, et dont l'occupation est de combiner des objets du degré le plus vil auquel un esprit vigoureux puisse être occupé? Revenons à Napoléon. Ses victoires éclatantes en Italie répandirent son nom comme un éclair dans le monde civilisé. Malheureusement elles l'entraînėrent à commettre ces aggressions manifestes et sans motifs, à tolérer cet esprit d'injustice et d'arrogance, qui ont marqué sa course postérieure et qui ont gagné du terrain à mesure que son pouvoir s'accrut. Dans sa carrière triomphante il se trouva bientôt |