que nous-même. Aussi, l'esprit plein d'angoisses, nous écrions-nous : Combien de temps encore un monde abject baisera-t-il le pied qui le foule? Combien de temps encore le crime trouvera-t-il un abri dans son aggravation même et dans ses excès? Peut-être dira-t-on que nous nous enflammons d'indignation contre Napoléon, non pas tant parce qu'il fut despote, que parce qu'il devint despote par usurpation; que nous ne semblons pas tant haïr la tyrannie en elle-même qu'une manière particulière d'y arriver. En effet, nous regardons l'usurpation comme un crime d'une noirceur toute spéciale, surtout quand il est commis, comme dans le cas de Napoléon, au nom de la liberté. Cependant nous détestons tout despotisme, usurpé ou héréditaire. A nos yeux, c'est le mal, c'est l'affront le plus grave qu'on puisse infliger à la race humaine. Mais pour le despote héréditaire nous ressentons plus de pitié que d'indignation. Nourri et élevé dans l'erreur, adoré dès le berceau, n'entendant jamais le langage hardi de la vérité, instruit à regarder la grande masse de ses semblables comme une espèce inférieure, et à concevoir le despotisme comme une loi naturelle et comme un élément nécessaire de la vie sociale; un pareil prince, à qui son éducation et sa position enlèvent presque la possibilité d'acquérir un sentiment moral sain et une vertu mâle, ne doit pas être jugé sévèrement. Tout en absolvant pourtant le despote d'une grande part de la culpabilité qui semble s'attacher d'abord à son pouvoir sans frein et sans mesure, nous n'en tenons pas moins le despotisme pour un mal maudit. Nous en avons la confiance, le moment de sa chute arrivera. Il ne peut tomber trop tôt. Voilà assez longtemps qu'il a extorqué du travailleur son gain péniblement acquis; assez longtemps qu'il a gaspillé les richesses d'une nation au profit de quelques parasites et de quelque favoris; assez longtemps qu'il a fait la guerre à la liberté de l'esprit et qu'il a entravé le progrès de la vérité. Il a rempli assez de prisons avec les braves et honnêtes gens et assez versé le sang des amis de leur pays. Que sa fin arrive! Elle ne peut venir trop tôt. Nous avons ainsi suivi Bonaparte jusqu'au moment de sa prise de possession du pouvoir suprême. Ceux qui s'étaient associés à lui pour renverser le gouvernement du Directoire, essayèrent de contenir dans de certaines bornes l'autorité du premier Consul qui allait prendre sa place. Mais il les repoussa avec indignation. Il tenait l'épée, et avec ce talisman nonseulement il intimida les égoïstes, mais il tint dans l'assujétissement et réduisit au silence les patriotes, qui comprirent trop clairement qu'on ne pouvait la lui arracher qu'en renouvelant les horreurs de la Révolution. Nous allons maintenant passer en revue quelques uns des moyens, par lesquels il consolida son pouvoir et l'éleva jusqu'à la dignité impériale. Nous les envisageons comme des indices bien plus importants de son caractère que ses campagnes consécutives, auxquelles par conséquent nous n'accorderons que peu d'attention. Une de ses premières mesures pour donner de la stabilité à son pouvoir fut certainement sage et évidemment dictée par sa situation et son caractère. S'étant emparé de la première dignité de l'état par la force militaire, et s'appuyant sur une soldatesque dévouée, il ne se trouva pas dans la nécessité de se lier à l'un des partis qui avaient déchiré son pays; c'eût été un vasselage devant lequel son esprit dominateur se serait difficilement humilié. Sa politique et son amour de l'autorité lui suggérèrent l'idée d'employer indistinctement tous les chefs de parti; et la plupart de ceux-ci étaient devenus si égoïstes et étaient tellement découragés de la marche désastreuse de la Révolution, qu'on les trouva tout disposés à rompre avec leurs anciens attachements et à partager les dépouilles de la République avec un maître. Il adopta donc un système d'indulgence large, dont les émigrés mèmes ne furent pas exclus, et il eut la satisfaction de voir presque tous les hommes de talent, que la Révolution avait fait surgir, se liguer en faveur de la réalisation de ses plans. Grâce aux hommes capables, qu'il appela à son aide, les finances et l'administration de la guerre, qui étaient tombées dans une confusion de nature à entraîner la ruine de l'état, furent bientôt remises en bon ordre, et l'on pourvut aux ressources et aux forces nécessaires pour réparer les défaites et les désastres récents des armées françaises. Ceci nous amène à faire mention d'un autre moyen très important et très efficace par lequel Napoléon assura et renforça son pouvoir. Nous voulons parler de la brillante campagne qui suivit immédiatement son élévation au consulat et qui rendit à la France l'ascendant qu'elle avait perdue pendant son absence. Du succès dans cette conjoncture dépendait entièrement sa fortune pour l'avenir. Ce fut dans cette campagne qu'il se montra le digne rival d'Hannibal. L'énergie qu'il déploya en faisant passer les Alpes à une armée suivie de cavalerie, d'artillerie et de tout l'attirail indispensable, et cela à travers des défilés fréquentés seulement par les chasseurs de chamois, nés et élevés au milieu des glaciers et des neiges éternelles, causa une impression qu'il désirait répandre avant tout, l'impression de sa supériorité aussi bien vis-à-vis de la nature que vis-à-vis de l'opposition des hommes. Cette entreprise sous un certain rapport fut d'un terrible présage pour l'Europe. Elle prouva qu'il exerçait sur l'esprit de ses soldats un prestige, dont on ne pouvait calculer les effets. La conquête du St. Bernard par une armée française flatta la vanité de la nation; mais une chose plus merveilleuse encore, ce fut le pouvoir du général d'inspirer à cette armée assez de force, de confiance, de résolution et de patience pour pouvoir accomplir son œuvre. La victoire de Marengo, remportée, par un de ces accidents de la guerre, au moment même où elle paraissait perdue, assura à Bonaparte la domination qu'il convoitait. La France qui, dans sa folie, avait placé son bonheur dans la conquète, sentit alors que la gloire de ses armes ne pouvait être sauve que dans les mains du premier Consul; tandis que la soldatesque, qui tenait le sceptre à sa disposition, fut de plus en plus tout à fait satisfaite de voir le triomphe et le butin s'attacher à ses drapeaux. Un autre moyen important et essentiel d'affermir et de renforcer son pouvoir, ce fut le système d'espionnage, appelé la police, qui, sous le Directoire, avait reçu un développement digne de ces amis de la liberté, mais qui était destinée à être perfectionnée par la sagesse de Napoléon. On dirait que le despotisme, profitant de l'expérience des temps passés, a déployé toute son habileté et toutes ses ressources pour former la police française, et a inventé un instrument, qui ne sera jamais surpassé, pour étouffer les plus faibles aspirations de mécontentement et enchaîner toute libre pensée. Ce système d'espionnage (nous sommes fier de n'avoir pas de mot anglais pour cette infernale machine) à la vérité a été mis en pratique sous toutes les tyrannies. Mais il eut besoin de la ruse de Fouché et de la vigueur de Bonaparte pour dévoiler toute sa puissance. D'après l'expression de notre auteur, « il pénétra dans toutes les ramifications de la société; » c'est-à-dire, que tout homme de la moindre importance avait l'œil |