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d'un espion sur lui. Il était surveillé chez lui aussi bien qu'à l'étranger, dans le boudoir et au théâtre, dans les maisons publiques et dans les maisons de jeu; et ces derniers repaires ne fournissaient pas à la police un petit nombre d'agents aux yeux d'Argus. Il y avait des oreilles ouvertes dans toute la France, pour saisir au passage les chuchotements des mécontents: on aurait dit une puissance du mal cherchant à rivaliser en omniprésence et en invisibilité, avec l'intervention bienfaisante de la Divinité. De tous les instruments de tyrannie, c'est bien le plus détestable. Il répand du froid sur les relations sociales; il resserre les cœurs; il infecte et obscurcit les esprits par des jalousies et des craintes mutuelles; et il réduit en système une dissimulation méticuleuse, subversive de la force et de la fermeté de caractère. Il y a cependant, à notre avis, quelque chose de consolant à apprendre que les tyrans sont en proie à la méfiance, aussi bien que les nations qu'ils ont enlacées dans ce funeste réseau, qu'ils ne peuvent se confier même en leurs propres espions, et qu'ils doivent au contraire veiller sur la machine que nous venons de décrire, de peur qu'elle ne se retourne contre eux. Bonaparte, à la tête d'une armée, offre un tableau brillant; mais Bonaparte, commandant une horde de mouchards, forcé de soupçonner et de craindre ces vils instruments de sa puissance, contraint de les subdiviser en bandes et de recevoir journellement des rapports de chacune d'elles, de manière à pouvoir recueillir la vérité, en mettant dans la balance leurs témoignages respectifs et en les évaluant ainsi; Bonaparte, occupé de cette façon, n'est rien moins qu'imposant. Il ne faut pas une grande élévation de pensée pour envisager avec mépris une pareille besogne; et nous retrouvons, dans l'inquiétude et la dégradation qu'elle présuppose, le commencement de cette expiation à laquelle la tyrannie ne peut échapper.

Il y a un autre moyen, par lequel le premier Consul défendit son autorité, qui ne peut causer d'étonnement. Qu'il devait enchaîner la presse, bannir ou emprisonner les éditeurs opiniâtres, soumettre les journaux et les productions plus importantes des lettres, à une censure jalouse, cela va de soi. La liberté d'écrire et le despotisme sont des ennemis si implacables, qu'il est difficile de blâmer un tyran parce qu'il ne fait aucune concession à la presse. Il ne peut point en faire. Agir autrement pour lui, ce serait aussi raisonnable que d'aller choisir un volcan pour y asseoir son trône. A moins de vouloir sa chûte, c'est une nécessité qui pèse sur lui de réprimer l'expression hardie et honnête de la pensée. Mais cette nécessité, c'est lui-même qui l'a choisie. Que l'infamie retombe donc en partage à cet homme, qui s'empare d'un pouvoir, qu'il ne peut soutenir, sans condamner l'esprit à un vaste système d'esclavage et sans métamorphoser la presse, ce grand organe de la vérité, en un instrument de tromperie et d'avilissement publics.

Nous passons maintenant à un autre moyen, encore pire que le dernier, employé par Napoléon pour écarter les obstacles à son pouvoir et à son ambition. C'est la terreur qu'il répandit par sa sévérité au moment même de s'attribuer la puissance impériale. Le meurtre du duc d'Enghien, Napoléon chercha à le justifier en alléguant qu'il fallait frapper de crainte les Bourbons, qui, à ce qu'il disait, complotaient sa mort. Ce peut avoir été un motif; nous avons en effet raison de penser qu'il était menacé d'assassinat à cette époque. Mais nous croyons cependant plutôt que son but fut de forcer à acquiescer à ses vues l'opposition qui, il le savait bien, s'éveillerait dans plus d'une poitrine, à l'aspect du renversement des formes républicaines, et de la prise de possession déclarée de la dignité impériale. Il y a eu des moments où Bonaparte a désavoué le meurtre du duc d'Enghien. Mais qui d'autre aurait pu en ètre la cause? Ce meurtre porte la marque intime de son auteur. La hardiesse, la décision, la rapidité accablante du crime, tout indique infailliblement à l'âme par qui il fut conçu. Nous croyons que ce qui a poussé Napoléon à le commettre, c'est l'idée qu'un pareil acte frapperait la France et l'Europe d'étonnement et de stupeur, et le montrerait prêt à répandre n'importe quel sang, à balayer n'importe quel obstacle, pour se frayer un chemin au pouvoir absolu. Il est certain que le meurtre ouvert du duc d'Enghien et les assassinats justement soupçonnés de Pichegru et de Wright causèrent un effroi tel qu'on n'en avait pas ressenti auparavant. Aussi tandis que, dans des occasions antérieures, quelques faibles aspirations de liberté s'étaient fait `entendre au sein des corps législatifs, une seule voix, celle de Carnot, s'éleva contre le projet de ceindre le front de Bonaparte de la couronne impériale et de coucher la France à ses pieds, comme une victime sans défense.

Il nous reste encore à examiner d'autres moyens mis en pratique par Bonaparte pour édifier et consolider son pouvoir, moyens d'un caractère différent de ceux que nous avons mentionnés jusqu'ici et que pour ce motif nous ne pouvons passer sous silence. L'un d'eux fut le concordat, qu'il extorqua du Pape et qui eut pour but avoué le rétablissement de la religion catholique en France. Nos préjugés religieux n'exerceront aucune influence sur le jugement que nous allons porter sur cette mesure. Nous n'avons aucune objection à y faire, en tant que restauration d'un culte que nous condamnons pour bien des raisons. Mais ici nous l'envisageons simplement comme un instrument politique, et, sous ce rapport, elle ne semble pas une preuve de sagacité de Bonaparte. Elle sert à nous confirmer dans ce sentiment, que d'autres parties de son histoire nous communiquent, c'est qu'il ne comprit pas le caractère particulier de son époque, ni la politique particulière et originale qu'elle réclamait. Toujours il eut recours aux moyens vulgaires du pouvoir, bien que l'époque sans précédents dans laquelle il vivait, exigeât un système de conduite, de nature à mettre en jeu des combinaisons inusitées, et à faire jaillir de nouvelles sources d'action. Parce que les vieux gouvernements avaient rencontré un appui commode dans la religion, Napoléon s'imagina que c'était un accessoire et un support nécessaires à sa domination, et il résolut de la restaurer. Mais dans ce moment-là il manquait en France de fondations pour un établissement religieux, capable d'imprimer de la vigueur et un caractère sacré au pouvoir suprême. Comparativement à d'autres temps, il n'y avait pas de foi, pas de sentiment de dévotion, et, qui plus est, pas de dispositions superstitieuses propres à prendre leur place. Le moment de la réaction du principe religieux n'était pas encore arrivé; et, pour le retarder, il eût été difficile d'imaginer un moyen plus convenable que cette sollicitude caressante déployée pour l'Église par Bonaparte, le musulman de fraîche date, lui, qui était connu pour son dédain de la foi ancienne, et qui n'avait d'autre culte dans le cœur que le culte de soi-même. Au lieu de réduire la religion à servir de soutien à l'état, il était impossible qu'un tel homme y mit la main sans lui faire perdre la faible influence qu'elle exerçait encore sur le peuple. Personne n'était assez ignorant pour être la dupe du premier Consul dans cette circonstance. Hommes, femmes, enfants,

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