faites et les désastres récents des armées françaises. Ceci nous amène à faire mention d'un autre moyen très important et très efficace par lequel Napoléon assura et renforça son pouvoir. Nous voulons parler de la brillante campagne qui suivit immédiatement son élévation au consulat et qui rendit à la France l'ascendant qu'elle avait perdue pendant son absence. Du succès dans cette conjoncture dépendait entièrement sa fortune pour l'avenir. Ce fut dans cette campagne qu'il se montra le digne rival d'Hannibal. L'énergie qu'il déploya en faisant passer les Alpes à une armée suivie de cavalerie, d'artillerie et de tout l'attirail indispensable, et cela à travers des défilés fréquentés seulement par les chasseurs de chamois, nés et élevés au milieu des glaciers et des neiges éternelles, causa une impression qu'il désirait répandre avant tout, l'impression de sa supériorité aussi bien vis-à-vis de la nature que vis-à-vis de l'opposition des hommes. Cette entreprise sous un certain rapport fut d'un terrible présage pour l'Europe. Elle prouva qu'il exerçait sur l'esprit de ses soldats un prestige, dont on ne pouvait calculer les effets. La conquête du St. Bernard par une armée française flatta la vanité de la nation; mais une chose plus merveilleuse encore, ce fut le pouvoir du général d'inspirer à cette armée assez de force, de confiance, de résolution et de patience pour pouvoir accomplir son œuvre. La victoire de Marengo, remportée, par un de ces accidents de la guerre, au moment même où elle paraissait perdue, assura à Bonaparte la domination qu'il convoitait. La France qui, dans sa folie, avait placé son bonheur dans la conquète, sentit alors que la gloire de ses armes ne pouvait être sauve que dans les mains du premier Consul; tandis que la soldatesque, qui tenait le sceptre à sa disposition, fut de plus en plus tout à fait satisfaite de voir le triomphe et le butin s'attacher à ses drapeaux. Un autre moyen important et essentiel d'affermir et de renforcer son pouvoir, ce fut le système d'espionnage, appelé la police, qui, sous le Directoire, avait reçu un développement digne de ces amis de la liberté, mais qui était destinée à être perfectionnée par la sagesse de Napoléon. On dirait que le despotisme, profitant de l'expérience des temps passés, a déployé toute son habileté et toutes ses ressources pour former la police française, et a inventé un instrument, qui ne sera jamais surpassé, pour étouffer les plus faibles aspirations de mécontentement et enchaîner toute libre pensée. Ce système d'espionnage (nous sommes fier de n'avoir pas de mot anglais pour cette infernale machine) à la vérité a été mis en pratique sous toutes les tyrannies. Mais il eut besoin de la ruse de Fouché et de la vigueur de Bonaparte pour dévoiler toute sa puissance. D'après l'expression de notre auteur, «< il pénétra dans toutes les ramifications de la société ; » c'est-à-dire, que tout homme de la moindre importance avait l'œil d'un espion sur lui. Il était surveillé chez lui aussi bien qu'à l'étranger, dans le boudoir et au théâtre, dans les maisons publiques et dans les maisons de jeu; et ces derniers repaires ne fournissaient pas à la police un petit nombre d'agents aux yeux d'Argus. Il y avait des oreilles ouvertes dans toute la France, pour saisir au passage les chuchotements des mécontents; on aurait dit une puissance du mal cherchant à rivaliser en omniprésence et en invisibilité, avec l'intervention bienfaisante de la Divinité. De tous les instruments de tyrannie, c'est bien le plus détestable. Il répand du froid sur les relations sociales; il resserre les cœurs; il infecte et obscurcit les esprits par des jalousies et des craintes mutuelles; et il réduit en système une dissimulation méticuleuse, subversive de la force et de la fermeté de caractère. Il y a cependant, à notre avis, quelque chose de consolant à apprendre que les tyrans sont en proie à la méfiance, aussi bien que les nations qu'ils ont enlacées dans ce funeste réseau, qu'ils ne peuvent se confier mème en leurs propres espions, et qu'ils doivent au contraire veiller sur la machine que nous venons de décrire, de peur qu'elle ne se retourne contre eux. Bonaparte, à la tête d'une armée, offre un tableau brillant; mais Bonaparte, commandant une horde de mouchards, forcé de soupçonner et de craindre ces vils instruments de sa puissance, contraint de les subdiviser en bandes et de recevoir journellement des rapports de chacune d'elles, de manière à pouvoir recueillir la vérité, en mettant dans la balance leurs témoignages respectifs et en les évaluant ainsi; Bonaparte, occupé de cette façon, n'est rien moins qu'imposant. Il ne faut pas une grande élévation de pensée pour envisager avec mépris une pareille besogne; et nous retrouvons, dans l'inquiétude et la dégradation qu'elle présuppose, le commencement de cette expiation à laquelle la tyrannie ne peut échapper. Il y a un autre moyen, par lequel le premier Consul défendit son autorité, qui ne peut causer d'étonnement. Qu'il devait enchaîner la presse, bannir ou emprisonner les éditeurs opiniâtres, soumettre les journaux et les productions plus importantes des lettres, à une censure jalouse, cela va de soi. La liberté d'écrire et le despotisme sont des ennemis si implacables, qu'il est difficile de blâmer un tyran parce qu'il ne fait aucune concession à la presse. Il ne peut point en faire. Agir autrement pour lui, ce serait aussi raisonnable que d'aller choisir un volcan pour y asseoir son trône. A moins de vouloir sa chûte, c'est une nécessité qui pèse sur lui de réprimer l'expression hardie et honnête de la pensée. Mais cette nécessité, c'est lui-même qui l'a choisie. Que l'infamie retombe donc en partage à cet homme, qui s'empare d'un pouvoir, qu'il ne peut soutenir, sans condamner l'esprit à un vaste système d'esclavage et sans métamorphoser la presse, ce grand organe de la vérité, en un instrument de tromperie et d'avilissement publics. Nous passons maintenant à un autre moyen, encore pire que le dernier, employé par Napoléon pour écarter les obstacles à son pouvoir et à son ambition. C'est la terreur qu'il répandit par sa sévérité au moment même de s'attribuer la puissance impériale. Le meurtre du duc d'Enghien, Napoléon chercha à le justifier en alléguant qu'il fallait frapper de crainte les Bourbons, qui, à ce qu'il disait, complotaient sa mort. Ce peut avoir été un motif; nous avons en effet raison de penser qu'il était menacé d'assassinat à cette époque. Mais nous croyons cependant plutôt que son but fut de forcer à acquiescer à ses vues l'opposition qui, il le savait bien, s'éveillerait dans plus d'une poitrine, à l'aspect du renversement des formes républicaines, et de la prise de possession déclarée de la dignité impériale. Il y a eu des moments où Bonaparte a désavoué le meurtre du duc d'Enghien. Mais qui d'autre aurait pu' en ètre la cause? Ce meurtre porte la marque intime de son auteur. La hardiesse, la décision, la rapidité accablante du crime, tout indique infailliblement à l'âme par qui il fut conçu. Nous croyons que ce qui a poussé Napoléon à le commettre, c'est l'idée qu'un pareil acte frapperait la France et l'Europe d'étonnement et de stupeur, et le montrerait prêt à répandre n'importe quel sang, à balayer n'importe quel obstacle, pour se frayer un chemin au pouvoir absolu. Il est certain que le meurtre ouvert du duc d'Enghien et les assassinats justement |