tous savaient très-bien qu'il jouait le rôle d'un jongleur. Il n'y avait pas d'association religieuse compatible avec son caractère et son gouvernement. C'était une preuve frappante de la vanité exagérée de Bonaparte, et de son ignorance des principes les plus élevés de la nature humaine, que son espoir de faire revivre et de tourner à son profit l'ancienne religion, et sa chimère de croire qu'il aurait pu, au besoin, en créer une nouvelle. « Si le Pape n'avait jamais existé auparavant, il aurait été créé pour la circonstance », tels étaient les discours de ce charlatan politique; comme si les opinions et les sentiments religieux étaient choses à fabriquer au moyen d'un décret consulaire. D'anciens législateurs, en adoptant les superstitions populaires et enracinées et en sympathisant avec elles, avaient été capables de les enrôler au service de leurs institutions. Ils avaient été assez sages pour construire leurs assises sur une foi préexistante, et pour s'y conformer soigneusement. Bonaparte, dans un pays d'incrédulité et d'athéisme, et quoique incapable de s'abstenir de sarcasmes à l'égard du système qu'il patronait, fut assez faible pour croire qu'il pouvait le métamorphoser en un appui solide de son gouvernement. Il est hors de doute qu'il se félicita des conditions qu'il avait arrachées au Pape, et qui n'avaient jamais été concédées aux plus puissants monarques. Il oubliait que son succès apparent était la déroute de ses plans; car précisément parce qu'il séparait l'Église de son pontife suprème, et qu'il se mettait visiblement à sa tête, il brisait le seul lien qui pût donner de l'influence à cette Église. Celle-ci perdit dans la même proportion son pouvoir sur l'opinion et les consciences. Elle devint un vulgaire ressort d'état, méprisé par le peuple, et ne servant qu'à manifester les vues ambitieuses de son maître. Aussi les évêques français refusèrent-ils en général de conserver leurs dignités sous ce nouveau chef; ils préférèrent l'exil au sacrifice des droits de l'Église, et laissèrent après eux, parmi les membres les plus zélés de leur communion, un éloignement passionné pour le Concordat. Il eût été heureux pour Napoléon d'avoir abandonné le Pape et l'Église à eux-mêmes. Tantôt en reconnaissant le Pontife romain et en se servant de lui, tantôt en l'insultant et en l'avilissant, il exaspéra une grande partie de la chrétienté, s'attira de ce côté la flétrissure d'impiété et réveilla contre lui une haine religieuse, qui contribua pour une grande mesure à sa chûte. Comme un autre moyen employé par Bonaparte pour donner de la force et de la considération à son gouvernement, nous pouvons mentionner la grandeur des travaux publics, qu'il commença à entreprendre pendant son consulat, et qu'il continua après son avénement à la dignité impériale. Ces choses-là éblouirent la France, et encore aujourd'hui elles remplissent les voyageurs d'admiration. Si nous pouvions les séparer de son histoire, et s'il ne restait pas d'autres indices de son caractère, indubitablement nous l'honorerions du titre de souverain bienfaisant; mais liées qu'elles sont à tout le reste, elle ne peuvent modifier que fort peu et même pas du tout notre jugement sur lui, comme un usurpateur avide de pouvoir et sans principes. Paris fut le principal objet de ces travaux publics; et certainement nous ne devons pas nous étonner de voir celui qui tendait à la domination universelle, s'efforcer d'améliorer et d'embellir la métropole de son empire. C'est l'ordinaire des despotes d'être prodigues de dépenses en faveur de la résidence royale et du siége du gouvernement. Les voyageurs en France, aussi bien que dans plusieurs contrées du continent, sont frappés et affligés du contraste entre les magnificences de la capitale, d'un côté, les murs de terre des villages et l'insignifiance de la province, de l'autre. Bonaparte avait du reste un motif spécial pour décorer Paris, car Paris est la France, on l'a observé bien souvent; et en se conciliantla vanité de la grande cité, il s'assurait l'obéissance du pays tout entier. Les améliorations intérieures si vantées de Napoléon méritent à peine d'ètre citées, si nous comparons leur influence avec l'effet produit par ses mesures publiques. La conscription, qui arracha à l'agriculture ses travailleurs les plus efficaces, et le système continental, qui ferma tous les ports et annihila le commerce de l'empire, desséchèrent et épuisèrent la France à un point tel, que ni les stimulants artificiels dont il dota l'industrie, ni les splendides projets qu'il conçut, n'y apportèrent aucune compensation. Le plus admiré peut-être de tous ses travaux publics est la route du Simplon; tous les voyageurs sont d'accord pour la qualifier de merveilleuse. Mais il ne doit pas nous étonner, que celui qui aspirait à une domination sans bornes, cherchât à établir des communications entre les différentes provinces de son empire. Il ne doit pas nous étonner, que celui qui avait escaladé les glaciers du St. Bernard, souhaitât vivement un passage plus commode pour lancer ses troupes en Italie. Et il n'est pas très prodigieux non plus, qu'un souverain qui disposait des revenus de l'Europe et qui vivait à une époque où le génie civil était parvenu à un degré de perfection inconnu auparavant, accomplit une entreprise plus hardie que ses prédécesseurs. Nous ajouterons d'ailleurs que Napoléon doit partager avec Fabbroni la gloire de la route du Simplon; car enfin c'est plus en réalité au génie de l'inventeur et du constructeur qu'on doit cette route, qu'à la volonté de celui qui l'a commandée. Il y a cependant un grand travail qui fournit à Bonaparte un juste titre à la reconnaissance de la postérité et qui lui donne droit à un renom honorable. Nous voulons parler du nouveau code de lois, qui fut donné à la France sous ses auspices. On a du reste exagéré sa participation à cette œuvre d'une manière injuste et ridicule. Parce qu'il assista aux réunions du Conseil d'état auquel elle avait été assignée, et qu'il suggéra quelques idées utiles et lumineuses, il a été loué, comme si par la force miraculeuse de son génie, il avait fait surgir tout un nouveau code de lois. La vérité est qu'il employa à ce travail, comme il devait le faire, les jurisconsultes les plus éminents de l'empire; et il n'est pas moins vrai, que ces savants ne peuvent pas prétendre à une grande originalité; car, comme notre auteur l'observe, le code en question « ne renferme qu'un petit nombre de particularités qui différencient ses principes de ceux du droit romain. >>> En d'autres termes, ils préférèrent être sages plutôt que novateurs. Quoiqu'il en soit, Bonaparte mérite d'être grandement vanté pour l'intérêt qu'il prit à la chose, pour l'impulsion qu'il sut donner à ceux à qui elle avait été confiée, et pour le temps et la réflexion qu'il y consacra, au milieu des soucis du gouvernement d'un vaste empire. Que son ambition l'ait poussé à ce travail, nous n'en doutons pas. Il s'était proposé d'entrelacer les lauriers de Justinien à ceux d'Alexandre. Mais nous ne voulons pas chercher querelle à l'ambition, quand elle est assez sage pour se consacrer au bonheur du genre humain. Dans cette circonstance, il prouva qu'il avait jusqu'à un certain point l'intelligence de la vraie gloire; et nous estimons d'autant plus cet exemple, qu'il se présente presque isolé dans son histoire. C'est avec aversion que nous envisageons le conquérant, l'usur |