pateur, le spoliateur de royaumes, le despote insatiable, et dans tous ces caractères nous retrouvons une véritable vulgarité d'esprit. Mais lorsque nous le considérons comme une source de justice pour un vaste empire, nous reconnaissons en lui une certaine ressemblance avec la Divinité, qui est juste et bienfaisante, et c'est avec joie que nous le louons d'avoir conféré à une nation un des plus grands dons qu'il soit permis à l'homme d'accorder. Ç'a été cependant le malheur de Bonaparte, ç'a été une malédiction jetée sur lui à cause de ses crimes, qu'il ne pût toucher à rien sans y laisser, comme une marque, la tache du despotisme. Son usurpation lui ôta le pouvoir de légiférer avec magnanimité, chaque fois que son propre intérêt était en jeu. Il put pourvoir à l'administration de la justice entre les individus, mais non entre le citoyen et le chef du gouvernement. Les délits politiques, la véritable catégorie d'offenses qui devrait être soumise au jury, furent privés de ce mode de jugement. Les jurys étaient bien appelés à prononcer dans les autres affaires criminelles; mais il leur fut refusé de s'interposer entre le despote et les sujets infortunés, qui pouvaient être l'objet de ses soupçons. Ces prévenus étaient traduits devant << des cours spéciales, investies d'un caractère semi-militaire, >> agents tout disposés à d'injustes poursuites, et seulement attentifs à couvrir de formes légales les desseins meurtriers du tyran. Après avoir ainsi passé en revue quelques uns des moyens par lesquels Bonaparte consolida et étendit son autorité, nous allons maintenant le voir s'avancer vers ce trône impérial, sur lequel il avait depuis longtemps fixé ses regards avides. La France, alternativement tenue en respect ou fascinée par les influences que nous avons décrites, abandonna enfin à jamais, par des actes publics et délibérés, sans la moindre tentative ni apparence d'opposition, ses droits, ses libertés, ses intérêts et sa souveraineté, à un maître absolu et à sa postérité. Ainsi périrent le nom et les formes de la République. Ainsi s'évanouirent les espérances des amis de l'humanité. L'air, qui peu d'années auparavant retentissait des clameurs d'un grand peuple secouant ses chaînes, et réclamant ses droits innés à la liberté, résonna maintenant des cris serviles de longue vie à un usurpateur taché de sang. Il y eut bien à la vérité de généreux esprits, de vrais patriotes, comme notre La Fayette, qui quittèrent la France. Mais en petit nombre et dispersés, on les laissa répandre en secret des larmes de douleur, d'indignation et de désespoir. Par ce misérable et désastreux dénouement de sa révolution, la nation française non seulement abdiqua ses propres droits, mais attira à la cause de la liberté des reproches, que les années n'ont pu effacer. C'est un souvenir plus pénible pour nous, que tous les malheurs dont la France inonda l'Europe, et que l'amertume de ses propres souffrances, lorsque l'heure de l'expiation sonna pour elle. Les champs qu'elle a ravagés se sont couverts de nouveau d'épis ondoyants; les gémissements qui firent explosion dans ses villes et dans ses villages, lorsque ses plus braves enfants périrent par milliers et par dizaines de mille au milieu des neiges de la Russie, ces gémissements, la mort les a fait cesser, et sa population décimée s'est renouvelée. Mais les blessures qu'elle a infligées à la liberté par des crimes commis au nom sacré de celle-ci, et par l'esprit d'abjection avec lequel cette sainte cause fut désertée, ces blessures-là sont encore fraîches et saignantes. Non seulement la France se soumit elle-même à un tyran, mais qui pis est, elle a fourni partout à la tyrannie de nouvelles excuses et de nouveaux arguments, et elle lui a donné l'effronterie de prêcher ouvertement, à la face du ciel, la doctrine impie du pouvoir absolu et de la soumission sans bornes. Voilà donc maintenant Napoléon Empereur des Français. Celui qui n'a pas une connaissance profronde de la nature humaine, s'imaginera qu'un pareil empire, dont les frontières s'étendaient alors jusqu'au Rhin, pouvait satisfaire même un ambitieux. Mais Bonaparte obéissait à cette loi de progression, à laquelle les esprits les plus éminents sont particulièrement assujettis; et par l'acquisition son esprit de domination s'enflamma au lieu de s'apaiser. Depuis longtemps il se proposait la conquête de l'Europe et du monde; et le titre d'Empereur ne fit que donner plus d'intensité à ce dessein. Si nous ne craignions, en nous répétant, d'affaiblir la conviction que nous désirons communiquer avant tout, nous nous appesantirions sur l'énormité du crime impliqué dans le projet d'empire universel. Napoléon connaissait parfaitement le prix qu'il fallait payer pour l'élévation qu'il convoitait. Il savait que le chemin pour y arriver devait passer au-dessus des cadavres de millions d'hommes blessés et tués, audessus d'amas putréfiés de ses semblables, au travers de champs ravagés, de ruines fumantes, de villes dévastées. Il savait que ses pas seraient accompagnés des gémissements de mères rendues veuves et d'orphelins mourant de faim, d'amis privés de leurs amis ou d'amants livrés au désespoir; et que, indépendamment de cette accumulation de malheurs, il produirait un nombre non moins égal de crimes, en multipliant indéfiniment les instruments et les complices de ses fraudes et de ses rapines. Il connaissait donc le prix de son ambition et il se décida cependant à le payer. Mais nous ne voulons pas insister sur un point, dont peu, très-peu de personnes ont jusqu'à présent l'intelligence ou le sentiment. Aussi pour le moment laissons le côté moral de l'entreprise et examinons la à un autre point de vue, qui est d'une grande importance pour pouvoir apprécier à leur juste valeur ses titres à l'admiration. Nous allons nous enquérir de la nature et de l'opportunité des mesures et de la politique qu'il adopta, pour venir à bout de subjuguer l'Europe et le monde. Nous savons bien que cette discussion peut nous attirer le reproche d'excessive présomption. On dira peut-être que des personnes, qui n'ont jamais eu accès dans les secrets des cabinets, et qui n'ont jamais pris part aux affaires publiques, ne sont pas les meilleurs juges de la politique d'un homme tel que Napoléon. Nous n'avons pas la prétention d'en disconvenir. Nous reconnaissons les désavantages de notre position, et nous n'entreprendrons pas de polémique avec nos lecteurs pour scruter la solidité de nos opinions. Mais nous dirons que, malgré notre éloignement, nous n'avons pas été observateur indifférent des grands événements de notre époque, et que, tout en ayant conscience d'être exposé à de nombreuses erreurs, nous avons la conviction profonde de la pureté intime de nos vues. Nous énoncerons donc sans réserve notre pensée: oui, la politique de Napoléon manqua de sagacité, et lui-même prouva, comme nous l'avons déjà suggéré plus haut, qu'il était incapable de comprendre le caractère et de répondre aux exigences de son époque. Son système consistait dans la répétition des vieux moyens, mis en œuvre lorsque la situation du monde était toute neuve. Le glaive et la police, qui lui avaient suffi pour réduire la France en esclavage, n'étaient pas les seules influences nécessaires pour la réalisation de ses desseins vis-à-vis de la race humaine. Il fallait découvrir ou inventer d'autres ressources; et le génie indispensable pour leur donner naissance, |