de la jeunesse, et en semant l'anxiété et la douleur sous tous les toits, la France la ressentit cruellement. Mais Napoléon connaissait bien la race qu'il s'était donné pour mission de dresser; et par l'éclat de la victoire, par le titre de Grand Empire, il réussit pour un temps à lui faire oublier les privations domestiques les plus pénibles, et cette coupe réglée, sans exemple, d'êtres vivants. Voilà comment il s'assura, ce qu'il considérait comme son plus essentiel instrument de domination, une grande force militaire. Mais, d'un autre côté, les stimulants que dans ce but il était forcé de fournir continuellement à la vanité française, l'ostentation avec laquelle on faisait retentir dans le monde l'invincible puissance de la France, et le langage hautain, vantard, qui devint le trait le plus frappant de ce peuple enivré, exaspérèrent aussi continuellement l'esprit national et l'orgueil de l'Europe, et implantèrent dans tous les cœurs une haine profonde pour ce nouvel et insolent empire, une haine qui n'attendit qu'un moment favorable pour lui faire payer avec intérêts la dette de l'humiliation. La condition de l'Europe s'opposait, selon nous, à l'établissement d'une monarchie universelle par la force purement matérielle. Le glaive, malgré son importance, n'avait plus alors à jouer qu'un rôle secondaire. La véritable marche à suivre par Napoléon nous semble avoir été indiquée non seulement par l'état de l'Europe, mais par les moyens dont la France au commencement de sa révolution avait re connu le plus l'efficacité. Il aurait dû s'identifier avec quelques grands intérêts, quelque grande opinion, ou quelques grandes institutions, et par là il aurait pu se rallier un vaste parti dans chaque nation. Il aurait dû au moins se ménager un motif spécieux contre tous les vieux établissements. Faire contraste de la manière la plus frappante et la plus avantageuse avec les précédents gouvernements, telle aurait dû être la clé de sa politique. Il se serait placé ainsi à la tête d'un nouvel ordre de choses, qui aurait porté l'apparence d'une amélioration de l'état social. Et le renversement des formes républicaines n'empêchait pas d'adopter ce plan de conduite, ou toute autre qui lui aurait attiré la sympathie des masses. Il aurait pu encore tirer entre son propre mode d'administration et celui des autres états une arge ligne de démarcation, de façon à rejeter les vieilles dynasties dans l'ombre. Il aurait pu repousser l'ancien faste et l'ancienne étiquette, se distinguer par la simplicité de ses institutions, et faire valoir le soulagement qu'il procurait à son peuple, en le débarrassant du fardeau des prodigalités du luxe d'une cour. Il aurait pu insister sur le grand bienfait qui était résulté pour la France de l'introduction de lois uniformes, qui protégeaient également toutes les classes de citoyens; et il aurait pu s'engager virtuellement à effacer les inégalités féodales qui défigurent encore l'Europe. Il aurait pu s'appuyer sur les changements favorables à introduire dans le ré gime de la propriété, en abolissant les substitutions qui lui apportaient des entraves, les droits de primogéniture et les priviléges exclusifs d'une aristocratie arrogante. Il aurait pu rencontrer assez d'abus pour le redressement desquels il se serait posé en champion. En devenant ainsi le moteur de nouvelles institutions, qui auraient amené le transfert du pouvoir dans des mains nouvelles, et auraient présenté au peuple une amélioration réelle de condition, il aurait pu attirer partout sous son étendard les hommes hardis et entreprenants, et il aurait pu désarmer les préjugés nationaux dont il devint la proie. La révolution était encore le véritable ressort du pouvoir. En un mot, Napoléon vivait à une époque, où seul il aurait pu établir une espèce de contrôle durable et universel sur les principes et les institutions de n'importe quelle nature, auxquels il aurait paru se dé vouer. Mais il était impossible pour un homme comme Napoléon d'adopter, et peut-être même de concevoir, un plan tel que celui qui vient d'être tracé; un pareil plan en effet était entièrement en opposition avec ce principe d'égoïsme, de confiance en soi-même, de personnalisme exagéré, qui formait le trait le plus saillant de son esprit. Il se croyait capable, non seulement de conquérir des nations, mais de les contenir par la crainte et l'admiration que son caractère propre inspirerait; et il préférait ce frein à tout autre. Une domination indirecte, un contrôle sur les nations au moyen d'institutions, de principes, ou de préjugés, dont il aurait été seulement l'apôtre et le défenseur, était entièrement incompatible avec cette véhémence de volonté, cette passion d'étonner le genre humain, et cette conviction de sa propre invincibilité, qui étaient ses sentiments essentiels, et qui faisaient de la force l'instrument favori de son autorité. Il préféra être le principal, le palpable, l'unique lien de son empire; voir son image réfléchie dans chaque établissement; ètre le centre, vers lequel tous les rayons de gloire devaient converger et duquel toute impulsion devait partir. Par suite de cet égoïsme, il ne songea jamais à s'accommoder à la condition morale du monde. Le glaive fut son arme favorite et il s'en servit sans dissimulation. Il insulta les nations aussi bien que les souverains. Il ne chercha pas à dorer leurs chaines, ni à rendre le joug moins rude à leurs cous. L'excès de ses exactions, l'audace de ses prétentions et le langage insolent avec lequel il traita l'Europe en vassale du grand empire, montrèrent qu'il comptait régner, non seulement sans s'associer aux intérêts, aux préjugés, aux sentiments nationaux des hommes, mais même en les bravant tous. Il serait aisé d'indiquer une foule de circonstances dans lesquelles il sacrifia la seule politique qui aurait pu lui donner la supériorité, à la persuasion que sa grandeur propre pouvait plus que contrebalancer toutes les oppositions suscitées par sa violence. A une époque où le christianisme exerçait quelque influence, il fallait certainement montrer jusqu'à un certain point du respect pour les convictions morales. de la société. Mais Napoléon se crut en état de faire encore plus que lutter contre les instincts et les sentiments moraux de notre nature. Il se crut capable de couvrir les actes les plus horribles de la splendeur de son nom, et d'arracher même des applaudissements pour ses crimes par l'éclat de ses succès. Il ne se donna pas la peine de se concilier l'estime. A ses propres yeux il était plus puissant que la conscience; et voilà comment il tourna contre lui-même le pouvoir et le ressentiment de la vertu, dans toutes les poitrines où ce principe divin trouvait encore un asile. C'est encore par l'égoïsme, qu'il se montra si soucieux de remplir les trônes de l'Europe d'hommes portant son propre nom, et de multiplier partout des images de lui-même. Au lieu de placer à la tête des pays conquis des hommes capables, choisis dans leur sein, qui, en soutenant de meilleures institutions, se seraient attiré la faveur de la grande masse du peuple, et qui, par leur hostilité pour les vieilles dynasties, auraient rattaché leur fortune à la sienne, il donna pour chefs aux nations des hommes tels que Jérome et Murat. Il répandit ainsi la jalousie de sa puissance, tout en lui imprimant peu de sécurité. En effet aucun des princes de sa création, quelque bien disposé qu'il fût, n'eut la permission de s'iden |