gime de la propriété, en abolissant les substitutions qui lui apportaient des entraves, les droits de primogéniture et les priviléges exclusifs d'une aristocratie arrogante. Il aurait pu rencontrer assez d'abus pour le redressement desquels il se serait posé en champion. En devenant ainsi le moteur de nouvelles institutions, qui auraient amené le transfert du pouvoir dans des mains nouvelles, et auraient présenté au peuple une amélioration réelle de condition, il aurait pu attirer partout sous son étendard les hommes hardis et entreprenants, et il aurait pu désarmer les préjugés nationaux dont il devint la proie. La révolution était encore le véritable ressort du pouvoir. En un mot, Napoléon vivait à une époque, où seul il aurait pu établir une espèce de contrôle durable et universel sur les principes et les institutions de n'importe quelle nature, auxquels il aurait paru se dé vouer. Mais il était impossible pour un homme comme Napoléon d'adopter, et peut-être même de concevoir, un plan tel que celui qui vient d'être tracé; un pareil plan en effet était entièrement en opposition avec ce principe d'égoïsme, de confiance en soi-même, de personnalisme exagéré, qui formait le trait le plus saillant de son esprit. Il se croyait capable, non seulement de conquérir des nations, mais de les contenir par la crainte et l'admiration que son caractère propre inspirerait; et il préférait ce frein à tout autre. Une domination indirecte, un contrôle sur les nations au moyen d'institutions, de principes, ou de préjugés, dont il aurait été seulement l'apôtre et le défenseur, était entièrement incompatible avec cette véhémence de volonté, cette passion d'étonner le genre humain, et cette conviction de sa propre invincibilité, qui étaient ses sentiments essentiels, et qui faisaient de la force l'instrument favori de son autorité. Il préféra être le principal, le palpable, l'unique lien de son empire; voir son image réfléchie dans chaque établissement; ètre le centre, vers lequel tous les rayons de gloire devaient converger et duquel toute impulsion devait partir. Par suite de cet égoïsme, il ne songea jamais à s'accommoder à la condition morale du monde. Le glaive fut son arme favorite et il s'en servit sans dissimulation. Il insulta les nations aussi bien que les souverains. Il ne chercha pas à dorer leurs chaînes, ni à rendre le joug moins rude à leurs cous. L'excès de ses exactions, l'audace de ses prétentions et le langage insolent avec lequel il traita l'Europe en vassale du grand empire, montrèrent qu'il comptait régner, non seulement sans s'associer aux intérêts, aux préjugés, aux sentiments nationaux des hommes, mais même en les bravant tous. Il serait aisé d'indiquer une foule de circonstances dans lesquelles il sacrifia la seule politique qui aurait pu lui donner la supériorité, à la persuasion que sa grandeur propre pouvait plus que contrebalancer toutes les oppositions suscitées par sa violence. A 1 une époque où le christianisme exerçait quelque influence, il fallait certainement montrer jusqu'à un certain point du respect pour les convictions morales de la société. Mais Napoléon se crut en état de faire encore plus que lutter contre les instincts et les sentiments moraux de notre nature. Il se crut capable de couvrir les actes les plus horribles de la splendeur de son nom, et d'arracher même des applaudissements pour ses crimes par l'éclat de ses succès. Il ne se donna pas la peine de se concilier l'estime. A ses propres yeux il était plus puissant que la conscience; et voilà comment il tourna contre lui-même le pouvoir et le ressentiment de la vertu, dans toutes les poitrines où ce principe divin trouvait encore un asile. C'est encore par l'égoïsme, qu'il se montra si soucieux de remplir les trônes de l'Europe d'hommes portant son propre nom, et de multiplier partout des images de lui-même. Au lieu de placer à la tête des pays conquis des hommes capables, choisis dans leur sein, qui, en soutenant de meilleures institutions, se seraient attiré la faveur de la grande masse du peuple, et qui, par leur hostilité pour les vieilles dynasties, auraient rattaché leur fortune à la sienne, il donna pour chefs aux nations des hommes tels que Jérome et Murat. Il répandit ainsi la jalousie de sa puissance, tout en lui imprimant peu de sécurité. En effet aucun des princes de sa création, quelque bien disposé qu'il fût, n'eut la permission de s'identifier avec ses sujets, et de prendre racine dans le cœur du public; mais ils furent forcés d'agir, ouvertement et sans déguisement, comme des satellites et des préfets de l'Empereur des Français; ils n'acquirent ainsi aucune influence sur leurs sujets et à l'heure du danger de leur maître, ils ne purent lui apporter aucun secours vigoureux. Dans aucune de ses dispositions Napoléon ne pensa à s'assurer l'attachement des nations pour sa cause. L'étonnement, la crainte, la force, telles furent ses armes, et il ne voulut pas d'autre appui pour son trône que son propre grand nom. Bonaparte fut si loin de faire ressortir l'opposition et le contraste qui existaient entre lui et les vieilles dynasties de l'Europe, et de s'attacher les hommes par de nouveaux principes et de nouvelles institutions, qu'il eut l'extrême faiblesse (car c'est ainsi que nous l'envisageons), de ressusciter les vieilles formes monarchiques, de singer les manières de l'ancienne cour, et de se rattacher ainsi à la caste des souverains légitimes. C'était dépouiller son gouvernement de ce caractère imposant qu'il aurait pu lui donner, de cet intérêt qu'il aurait pu inspirer en sa faveur comme amélioration des vieilles institutions; c'était en outre se poser comme compétiteur sur un terrain où il devait être infailliblement distancé. Il pouvait évidemment arracher des couronnes aux têtes des monarques; mais il ne pouvait par aucun expédient infuser leur sang dans ses veines, ni associer à son nom les idées qui s'attachent à une longue suite d'ancêtres, ni donner à sa cour cette grâce de manières, inhérente à de plus anciens établissements monarchiques. Sa vraie politique était de mépriser des distinctions, avec lesquelles il ne pouvait rivaliser; et s'il eût possédé le génie et le tact de fondateur d'une nouvelle ère, il aurait substitué à la couronne et aux autres symboles usés du pouvoir, une nouvelle et plus simple forme de grandeur, et de nouveaux insignes de l'autorité, plus en harmonie avec une époque éclairée, et plus dignes d'un homme qui dédaignait d'ètre un roi vulgaire. Par la politique qu'il adopta, si toutefois elle est digne de ce nom, il devint un roi vulgaire et il trahit un esprit incapable de répondre aux besoins et aux exigences de son époque. Il est bien reconnu que les progrès de l'intelligence avaient fait beaucoup en Europe, pour affaiblir le respect de l'homme pour le faste et l'apparat. Les nobles avaient appris à déposer leurs atours dans la vie ordinaire et renoncé à figurer toujours en gentilshommes. La royauté même avait commencé à retrancher de sa pompe; et en face de toutes ces améliorations, Bonaparte descendit de sa hauteur, pour s'occuper de costumes, pour légiférer les usages et les manières de cour, et pour surpasser en éclat ses frères les monarques sur leur propre terrain. Il voulut cumuler la gloire de maître des cérémonies avec celle de conquérant de nations |