tifier avec ses sujets, et de prendre racine dans le cœur du public; mais ils furent forcés d'agir, ouvertement et sans déguisement, comme des satellites et des préfets de l'Empereur des Français; ils n'acquirent ainsi aucune influence sur leurs sujets et à l'heure du danger de leur maître, ils ne purent lui apporter aucun secours vigoureux. Dans aucune de ses dispositions Napoléon ne pensa à s'assurer l'attachement des nations pour sa cause. L'étonnement, la crainte, la force, telles furent ses armes, et il ne voulut pas d'autre appui pour son trône que son propre grand nom. Bonaparte fut si loin de faire ressortir l'opposition et le contraste qui existaient entre lui et les vieilles dynasties de l'Europe, et de s'attacher les hommes par de nouveaux principes et de nouvelles institutions, qu'il eut l'extrême faiblesse (car c'est ainsi que nous l'envisageons), de ressusciter les vieilles formes monarchiques, de singer les manières de l'ancienne cour, et de se rattacher ainsi à la caste des souverains légitimes. C'était dépouiller son gouvernement de ce caractère imposant qu'il aurait pu lui donner, de cet intérêt qu'il aurait pu inspirer en sa faveur comme amélioration des vieilles institutions; c'était en outre se poser comme compétiteur sur un terrain où il devait être infailliblement distancé. Il pouvait évidemment arracher des couronnes aux têtes des monarques; mais il ne pouvait par aucun expédient infuser leur sang dans ses veines, ni associer à son nom les idées qui s'attachent à une longue suite d'ancêtres, ni donner à sa cour cette grâce de manières, inhérente à de plus anciens établissements monarchiques. Sa vraie politique était de mépriser des distinctions, avec lesquelles il ne pouvait rivaliser; et s'il eût possédé le génie et le tact de fondateur d'une nouvelle ère, il aurait substitué à la couronne et aux autres symboles usés du pouvoir, une nouvelle et plus simple forme de grandeur, et de nouveaux insignes de l'autorité, plus en harmonie avec une époque éclairée, et plus 'dignes d'un homme qui dédaignait d'être un roi vulgaire. Par la politique qu'il adopta, si toutefois elle est digne de ce nom, il devint un roi vulgaire et il trahit un esprit incapable de répondre aux besoins et aux exigences de son époque. Il est bien reconnu que les progrès de l'intelligence avaient fait beaucoup en Europe, pour affaiblir le respect de l'homme pour le faste et l'apparat. Les nobles avaient appris à déposer leurs atours dans la vie ordinaire et renoncé à figurer toujours en gentilshommes. La royauté même avait commencé à retrancher de sa pompe; et en face de toutes ces améliorations, Bonaparte descendit de sa hauteur, pour s'occuper de costumes, pour légiférer les usages et les manières de cour, et pour surpasser en éclat ses frères les monarques sur leur propre terrain. Il voulut cumuler la gloire de maitre des cérémonies avec celle de conquérant de nations Dans son anxiété d'appartenir à la caste des rois, il exigea scrupuleusement qu'on observât l'étiquette en usage pour s'approcher d'eux. Non content de cette assimilation aux anciens souverains, avec lesquels il n'avait aucun intérêt commun, et dont il ne pouvait se tenir trop éloigné, il chercha à s'allier par le mariage aux familles royales de l'Europe, et à se greffer lui et sa postérité sur un vieux tronc impérial. Ce fut là le véritable moyen de faire rentrer l'opinion dans son ancien lit; de ramener l'Europe à ses anciens préjugés; de faciliter la restauration de l'ancien ordre de choses; de faire prôner la légitimité; de refouler tout espoir de le voir opérer un changement avantageux parmi les nations. Il peut sembler étrange que son égoïsme ne le préservât pas de l'imitation de l'antique esprit de monarchie. Mais son égoïsme, bien qu'extrême, n'avait pas d'élévation, et n'était pas secondé par un génie riche et inventif, sauf dans la guerre. Nous avons ainsi suivi Napoléon jusqu'au pinacle de sa puissance, et nous avons donné nos vues sur la politique au moyen de laquelle il espéra la perpétuer et la rendre illimitée. Sa chûte est maintenant facile à expliquer. Elle eut son origine dans cet esprit de confiance en lui-même et d'exagération de sa personnalité, dont nous avons rencontré tant de preuves. Elle commença en Espagne. Ce pays n'était en réalité qu'une province. Napoléon éprouva le besoin de la réduire nominativement à cette con dition, de placer à sa tète un Bonaparte, de manifester à son égard son pouvoir d'une manière frappante. Dans ce but il lui déroba sa famille royale, il souleva l'esprit indomptable de ses habitants, et après avoir répandu dans ses plaines et dans ses montagnes le sang le plus pur de la France, il le perdit le pour jamais. Bientôt après survint son expédition contre la Russie, cette expédition au sujet de laquelle ses plus sages conseillers lui firent des remontrances, mais qui devait exercer tout son prestige sur un homme qui se regardait comme une exception dans sa race, et qui se croyait capable de triompher des lois de la nature. Sa confiance en lui-même et son impatience de toute opposition furent si insensées, que par ses outrages il jeta la Suède, cette vieille alliée de la France, dans les bras de la Russie, précisément au moment où lui-même allait se lancer au cœur de ce puissant empire. Nous n'avons pas désir de nous étendre sur sa campagne de Russie. Parmi toutes les tristes pages de l'histoire, il n'y en a pas de plus lamentable, que celle qui retrace la retraite de l'armée française de Moscou. Nous nous rappelons que, lorsque le bruit du désastre de Napoléon en Russie parvint dans notre pays, nous fùmes d'abord au nombre de ceux qui, ne pensant qu'aux résultats, tressaillirent de joie à cette nouvelle. Mais après que des récits ultérieurs et plus détaillés eurent représenté sous nos yeux le spectacle de cette incomparable armée française désorganisée, réduite à la famine, massacrée, cherchant un abri sous des monceaux de neige, et périssant par l'intensité du froid, la réflexion nous causa presque un remords de notre joie et nous expiâmes par une douleur sincère notre insensibilité pour les souffrances de nos semblables. Nous comprenons qu'on ait pu donner de nombreux et intéressants détails sur Napoléon, tel qu'il se montra lors de cette désastreuse campagne, dans les Mémoires du comte de Ségur, ce livre dont nous nous sommes souvenus à l'occasion des douleurs et des misères qu'il raconte. Nous connaissons peu de sujets plus dignes de Shakspeare que la situation. d'esprit de Napoléon, au moment où la dernière phase de sa destinée s'accomplit, où le cours de ses victoires fut soudainement arrêté et refoulé, où ses rêves d'invincibilité s'évanouirent comme par un coup de tonnerre, où la voix qui en avait imposé aux nations, ne rendit plus au milieu de blanches solitudes que des sons impuissants, et où celui dont l'Europe ne pouvait satisfaire l'ambition, s'enfuit de crainte de tomber en captivité. Le choc a dû être terrible dans cet esprit si impérieux, si dédaigneux, si peu préparé à l'humiliation. L'immense agonie de cet instant où il donna l'ordre inaccoutumé de la retraite; la désolation de son âme, lorsqu'il vit ses braves soldats et ses gardes d'élite s'enfoncer dans les neiges et périr en foule autour de lui; sa répugnance à recevoir les détails de ses pertes, de peur que la possession de soi-même ne vint à lui |