ventif et fécond en ressources, en une énergie inconsidérée, inquiète, remuante, et le lança ainsi dans des entreprises qui, - ses conseillers plus sages que lui l'avaient déclaré, -renfermaient dans leur sein des germes de ruine. Chez un homme que l'orgueil faisait sortir des rangs de l'espèce humaine, il n'y avait plus de place pour le raisonnement. Tout lui semblait possible. Son génie et sa fortune ne pouvaient pas être arrêtés par les barrières que l'expérience a assignées aux facultés humaines. Les règles ordinaires ne s'appliquaient pas à lui. Il trouvait mème des mobiles et des stimulants dans les obstacles, devant lesquels les autres hommes auraient reculé ; car ces obstacles devaient rehausser la gloire du triomphe, et fournir un nouvel aliment à l'admiration du monde. Aussi à différentes reprises, il se jeta dans les parties les plus reculées des pays ennemis, et risqua toute sa fortune et toute sa puissance sur une seule bataille. La témérité, tel fut en effet le résultat nécessaire de son esprit d'exaltation personnelle et de sa confiance outrée en lui-même; car oser ce que personne n'aurait osé, accomplir ce que personne n'aurait tenté, était le véritable moyen de s'étaler comme un être supérieur à ses propres yeux et aux yeux d'autrui.-L'impatience et l'agitation étaient les autres conséquences nécessaires des qualités que nous venons de mentionner. Le calme de la sagesse lui était refusé. Lui, qui à ses propres yeux était si voisin de l'omnipotence, et qui se plaisait à frapper et à étonner le monde par des opérations soudaines et éclatantes, ne pouvait pas souffrir de délai ou d'attente dans les opérations lentes du temps. Une œuvre, qui aurait dû mûrir graduellement par le concours réuni de causes diverses, ne pouvait convenir à un homme qui avait besoin d'être envisagé comme la cause principale, peut être même comme la cause unique de tout, qui désirait vivement marquer de l'empreinte propre de son intervention, et cela en caractères les plus éclatants, tout ce qu'il entreprenait, et qui comptait rivaliser par une énergie prompte avec les travaux réguliers et progressifs de la nature. De là tant de projets qui ne furent jamais achevés, ou qui ne furent qu'annoncés. Dans l'entre-temps ils faisaient gonfler le flot de la flatterie, qui lui attribuait l'accomplissement de ce qui n'était pas encore commencé, tandis que son esprit inquiet, se précipitant dans de nouvelles entreprises, oubliait ses engagements et ne laissait exister les prodiges attendus de son génie créateur que dans les annales de l'adulation. Voilà comment l'intelligence vive et ingénieuse de Bonaparte se déprava, et ne réussit pas à acquérir une grandeur croissante et durable. Elle parvint, à la vérité, à élever une construction vaste et imposante, mais sans proportions, sans cohésion, sans solidité, sans bases assurées. Un souffle un peu fort fut suffisant pour l'ébranler et la mettre en pièces, et tout le génie du maître ne put l'empêcher de crouler. Il eût été heureux pour sa renommée d'être enterré sous ces ruines! Une des particularités les plus frappantes du caractère de Bonaparte, c'était la décision; mais elle aussi, comme nous l'avons déjà vu, se pervertit par l'esprit d'exagération personnelle pour se transformer en une opiniàtreté indomptable, que ni les conseils ne pouvaient éclairer, ni les circonstances fléchir. Le premier pas fait, il poussait en avant. Sa résolution, il voulait que les autres la regardassent comme une loi de la nature, ou un décret de la destinée. Elle devait s'accomplir. La résistance ne faisait que l'y confirmer; et la résistance 'avait été si souvent surmontée, qu'il s'imagina que sa volonté invincible, unie à son intelligence incomparable, devait tout vaincre. Dépenser sur un tel esprit les avertissements de la sagesse humaine et de la Providence, c'était œuvre vaine; et l'homme de la destinée vécut pour apprendre aux autres, sinon à luimême, la débilité et la folie de cette décision qui brave tout, et qui ose mettre sur la même ligne les projets d'un mortel et les résolutions immuables du Tout-puissant. Il nous reste à mentionner une influence encore plus fatale de cet esprit d'exagération personnelle qui caractérisait Bonaparte. Il déprava à un degré extraordinaire son sens moral. Il n'oblitéra pas entièrement les idées du devoir, mais par une singulière perversion, il le poussa à les appliquer exclusivement aux autres. Jamais il ne sembla entrer dans sa pensée qu'il fût soumis aux grandes obligations morales, que tous les autres hommes sont appelés à respecter. A ses yeux lui en était exempté. Tout ce qui se rencontrait sur son chemin vers l'empire, il avait le privilége de l'écarter. Les traités ne liaient que ses ennemis. Aucune nation n'avait de droits, sinon sa France. Pour lui, il prétendait au monopole de la perfidie et de la violence. Naturellement, il n'était pas cruel; mais lorsque la vie humaine était un obstacle à sa marche, il pouvait légalement la sacrifier; le meurtre, l'assassinat, ne lui causaient pas plus de repentir que la guerre. L'exposition la plus lumineuse de son code moral, nous la retrouvons dans ses conseils au roi de Hollande: «< N'oubliez jamais, dans la position où mon système politique et les intérêts de mon empire vous ont appelé, que votre premier devoir est envers MOI et votre second envers la France. Tous vos autres devoirs, même les devoirs envers le peuple que je vous ai appelé à gouverner, ne prennent rang qu'après ceux-là. » A ses propres yeux, il était la source et le centre du devoir. Il était trop exclusif et trop rempli de lui-même, pour être sujet à cette vulgaire souillure, qu'on appelle faute. Les crimes cessaient d'ètre crimes, lorsqu'ils étaient commis par lui. Aussi il parle toujours de ses transgressions de la loi morale comme d'actes indifférents. Il ne supposa jamais qu'ils terniraient sa gloire, ou qu'ils diminueraient ses titres aux hommages du monde. A Sainte-Hélène, bien que s'entretenant continuellement de lui-même, et passant souvent en revue la carrière de ses crimes, on ne s'aperçoit pas qu'un simple signe de repentir lui échappe. Il parle de sa vie avec autant de calme que si elle avait été consacrée au devoir et à la bienfaisance, tandis que dans le même instant il a l'audace de reprocher impitoyablement leur manque de foi à presque tous les individus et à presque toutes les nations, avec lesquels il s'était trouvé en relation. Nous doutons que l'histoire fournisse un exemple aussi frappant de l'aveuglement moral et de l'endurcissement, auquel un égoïsme sans bornes nous expose et nous abandonne. Son esprit d'exagération personnelle se manifeste encore parla manière franche avec laquelle il accueillait l'adulation. La politique à la vérité devait le porter à attribuer les louanges qu'on lui adressait à la bouche d'esclaves vénaux, instruments de son despotisme. Mais la flatterie ne se serait pas permis de tomber dans des exagérations, tantôt révoltantes, tantôt burlesques, tantôt impies, si dans la poitrine du maître n'eût résidé un flatteur qui fit résonner une note adulatrice plus vibrante que toutes celles qu'il entendait autour de lui. Il était sensible à l'opinion d'une façon remarquable et ressentait comme une injustice la suppression des éloges de sa personne. La presse de tous les pays était surveillée et les états libres étaient sommés de la refréner, si elle osait se |