REMARQUES SUR LA VIE ET LE CARACTÈRE DE NAPOLÉON BONAPARTE. 1827-28. I. La vie de Napoléon Bonaparte par sir Walter Scott a été accueillie avec un empressement, proportionné au talent incontesté de l'auteur, non moins qu'à la capacité et à la destinée merveilleuses de son héros. Que l'attente générale ait été satisfaite, c'est ce que nous ne pouvons affirmer. Mais bien peu de gens se refuseront à reconnaître que l'écrivain ne nous ait fourni une preuve de ses grandes qualités. La rapidité avec laquelle un pareil ouvrage a été lancé nous frappe d'étonnement. Nous croyons cependant que l'auteur se devait à lui-même, et devait au public, d'apporter plus de maturité dans l'exécution d'une entreprise de cette importance. Ou il aurait dû l'abandonner, ou il aurait dû y consacrer le long et patient labeur qu'elle méritait. Les signes de négligence et de précipitation, qui se trouvent répandus dans le cours de l'ouvrage, sont des taches sérieuses et, pour des lecteurs un peu dédaigneux, ce sont d'irréparables défauts. On y sent partout le manque de concision et de sobriété. Un grand nombre de passages sont diffus; beaucoup de pensées perdent de leur force par un développement superflu et par des répétitions pires qu'inutiles. Les comparaisons sont accumulées à l'excès, et tandis qu'il y en a plusieurs de bon goût, il y en a peut-être autant de triviales et d'indignes de l'histoire. Les remarques sont généralement justes, mais communes de vérité. Nous signalons franchement ces défauts, afin de pouvoir exprimer d'autant plus librement notre admiration pour le talent de l'homme, qui a exécuté si rapidement une œuvre aussi étendue et aussi variée, aussi riche en renseignements, aussi pleine de fraîcheur et de vie dans les descriptions, aussi abondante en modèles d'un style aisé, agréable et vigoureux. Cette œuvre a le grand mérite d'être impartiale. Elle est probablement négligée dans un grand nombre de ses détails, mais ce qu'elle a de particulier, c'est d'être affranchie de toute prévention et de toute passion. Quand on considère que l'auteur était à la fois breton et ami des principes et de la politique de Pitt, bien peu de gens devaient s'attendre à voir sortir de sa plume un portrait décoloré de l'implacable ennemi de l'Angleterre et de ce grand ministre. Mais la rectitude de son jugement et son respect pour la vérité historique l'ont en réalité empêché d'abuser du grand pouvoir que son talent lui conférait sur l'opinion publique. Nous croyons même que la crainte louable d'être injuste à l'égard de l'ennemi de son pays, jointe à l'admiration des qualités brillantes de Napoléon, l'a conduit à pallier à tort les crimes de son héros et à communiquer au lecteur des impressions plus favorables que la vérité ne l'exige. Mais en voilà assez sur l'auteur, qui n'a pas besoin de nos éloges et qui n'aura guère à souffrir de nos critiques. Ce qui nous intéresse, c'est le sujet qu'il a traité. Apprécier à sa juste valeur le dernier empereur des Français, voilà le point important à notre avis. Cet homme extraordinaire, après avoir joui dans le monde d'un pouvoir sans précédent, pendant sa vie, y exerce encore de l'influence aujourd'hui par son caractère. Et ce caractère, nous le craignons, n'a pas été envisagé comme il devrait l'ètre. L'espèce d'admiration qu'il inspire, même dans les pays libres, est d'un mauvais présage. Le plus grand attentat contre la société, celui de la spolier de ses droits et de la charger de chaînes, n'excite pas cependant cette profonde exécration, qui lui est due, et qui, si elle était réellement ressentie, imprimerait à l'usurpateur une flétrissure indélébile d'infamie. Quant à nous, regardant la liberté comme d'un intérêt capital pour la nature humaine, comme une condition essentielle de ses progrès intellectuels, moraux et religieux, nous envisageons les hommes, qui se sont signalés par leur hostilité à son égard, avec une indignation à la fois sévère et triste, avec une indignation que ni l'éclat de la victoire, ni l'admiration de la foule, ne peuvent nous porter à étouffer. Nous voulons donc parler librement de Napoléon. Cependant, si nous nous connaissons bien nous-même, nous n'articulerons jamais un seul reproche injuste. Nous parlons d'autant plus librement, que nous avons la conscience d'être exempt du moindre sentiment d'animosité. Nous ne faisons pas la guerre aux morts. Nous voulons seulement résister à ce que nous regardons comme l'influence pernicieuse des morts. Nous voulons nous dévouer à la cause de la liberté et de l'humanité, à cette cause perpétuellement trahie par une admiration follement prodiguée envers le crime heureux et l'ambition insatiable. Notre principal sujet sera le caractère de Napoléon, et nous y mêlerons naturellement des réflexions sur les plus grands intérêts qui ont ressenti sans cesse son influence. Nous observerons d'abord qu'il est juste de se rappeler que Bonaparte grandit sous des influences désastreuses, dans des temps orageux, lorsque les esprits étaient agités, que les vieilles institutions s'écroulaient, que les vieilles idées étaient ébranlées, que les vieux moyens de contrainte étaient brisés de tous côtés; lorsque l'autorité de la religion était méprisée, et la jeunesse abandonnée à une licence inaccoutumée; lorsque l'imagination était rendue fiévreuse par des visions d'un bien confus, et les passions grossies, par les sympathies de millions d'hommes, en un irrésistible torrent. On ne peut concevoir d'école plus dangereuse pour le caractère. C'est à l'Être qui voit tout, qui connaît les épreuves par lesquelles ses créatures ont passé et les secrets de leur cœur, c'est à lui seul à juger jusqu'à quel point des crimes peuvent être atténués par des circonstances aussi défavorables. Voilà ce que nous ne devons pas oublier, lorsque nous passons en revue l'histoire d'hommes, qui ont été exposés à des épreuves inconnues de nous-mêmes. Mais de ce que la dépravation d'un mauvais agent perd de sa gravité par les malheurs de son éducation ou de sa condition, nous ne devons pas pour cela confondre les principes immuablement distincts du bien et du mal, et refouler notre réprobation pour des atrocités, qui ont répandu la misère et l'esclavage de toutes parts. Il faut encore observer en faveur de Napoléon, qu'il a toujours existé et qu'il existe encore une triste aberration du sentiment moral à l'égard des crimes de la vie militaire et politique. Les mauvais actes des hommes publics, bien qu'exercés sur une large échelle, n'ont jamais attiré sur eux cette indignation sincère et partant du cœur, qui s'attache aux vices privés. Les |