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déserts de l'Arabe; un homme, qui a laissé de telles traces de sa personnalité dans l'histoire, nous a enlevé le privilége de mettre en question s'il doit être appelé grand. Tous, nous devons convenir qu'il posséda une puissance d'action extraordinaire, une énergie équivalente aux grands effets qu'il a produits.

Cependant nous ne sommes pas disposé à le considérer comme tenant le premier rang même dans cet ordre de grandeur. La guerre fut sa sphère principale. C'est par le glaive qu'il acquit son ascendant en Europe. Mais la guerre n'est pas le champ sur lequel peut se déployer l'aptitude la plus éminente à l'action, et Napoléon, nous le croyons, avait la conscience de cette vérité. La gloire d'être le plus grand général de son époque ne l'aurait pas satisfait. Il aurait dédaigné de prendre place à côté de Marlborough et de Turenne. Ce fut comme fondateur d'un empire, qui menaça pendant quelque temps d'engloutir le monde, et qui exigeait d'ailleurs d'autres talents que celui de la guerre, qu'il réclama une gloire sans rivale. Et ici nous contestons sa prétention. Ici, nous ne pouvons lui accorder la suprématie. Le projet d'un empire universel, quelque imposant qu'il fût, n'était pas original. Les gouvernements révolutionnaires de la France l'avaient déjà conçu auparavant; et nous ne pouvons le considérer comme une indication assurée de grandeur, lorsque nous nous rappelons que l'esprit faible et vaniteux

de Louis XIV fut assez vaste pour le caresser. La véritable question est donc celle-ci : Napoléon apporta-t-il dans ce dessein la capacité de le faire réussir par des conceptions hardies et originales, adaptées à un âge de civilisation? Mit-il en jeu quelque mobile intellectuel et moral particulier? Découvrit-il de nouvelles bases de puissance? Imagina-t-il de nouveaux liens d'union pour subjuguer les nations? Découvrit-il, ou fit-il surgir quelques intérêts communs qui pussent servir à relier les unes aux autres les diverses parties de son empire? Sut-il donner naissance à un souffle capable de supplanter les vieux attachements nationaux, ou substitua-t-il quelque invention nouvelle à ces vulgaires instruments de force et de corruption, dont un usurpateur quelconque aurait pu se servir? Jamais dans les annales des temps passés le monde ne fournit de tels matériaux pour opérer, de tels moyens pour imprimer aux nations un caractère nouveau, pour élever une nouvelle puissance, pour introduire une nouvelle ère, que l'Europe à l'époque de la Révolution française. Jamais l'esprit humain ne fut plus apte à recevoir de nouvelles impulsions. Hé bien! Napoléon se montra-t-il à la hauteur de la situation du monde? Pouvons-nous découvrir une seule conception originale dans ses moyens d'arriver à l'empire universel? Maîtrisa-t-il l'enthousiasme de ses contemporains, ce stimulant puissant, plus efficace que les armes ou la politique, et sut-il le rattacher à ses projets? Que

fit-il d'autre que suivre la voie battue? qu'employer la force et la fraude sous leurs formes les plus grossières? Napoléon, en assignant l'intérêt personnel pour seul ressort à l'activité humaine, ne laissa percer qu'une intelligence vulgaire. Avec le glaive dans une main, et des présents dans l'autre, il se crut le maitre absolu de l'esprit humain. La force des sentiments de moralité, de nationalité et de famille, il lui fut impossible de la comprendre. Les éléments les plus relevés de la nature humaine, et après tout les plus puissants, entraient à peine dans sa manière de la concevoir; et comment alors aurait-il pu établir un pouvoir durable sur les hommes?

Afin de faire ressortir son manque d'originalité et d'étendue dans les conceptions, comme fondateur d'empire, nous n'avons besoin de citer que ce simple fait du choix de Talleyrand et de Fouché pour ses principaux conseillers. De pareils noms parlent d'eux-mêmes. On peut juger de la grandeur d'esprit du maître d'après les serviteurs chez lesquels il rencontra la nature la plus conforme à la sienne. Dans la guerre Bonaparte fut grand; car il était hardi, original, créateur. Hors des camps il déploya sans doute du talent, mais un talent qui ne fut pas supérieur à celui d'autres hommes éminents.

Deux circonstances ont beaucoup contribué à désarmer ou à atténuer la vigueur de la réprobation morale que Bonaparte aurait dù encourir. Nous croyons bon de les mentionner. Nous voulons faire

allusion aux vexations auxquelles on a supposé qu'il avait été soumis à Sainte-Hélène, et à la façon peu digne dont les puissances alliées ont usé de leur victoire sur lui. D'abord les injustices présumées dont il fut victime à Sainte-Hélène, ont excité en sa faveur une sympathie telle qu'elle a jeté un voile sur ses crimes. Nous ne sommes nullement porté à contester qu'on exerça à l'égard de Bonaparte une sévérité injuste, puisqu'elle n'était pas nécessaire. Nous ne regardons pas comme très-honorable pour le gouvernement anglais, d'avoir torturé un captif susceptible, en lui refusant un titre qu'il avait longtemps porté. Nous pensons que non seulement la religion et l'humanité, mais encore le respect de soi-même, nous défendent d'infliger à un ennemi vaincu un seul tourment inutile. Mais nous serions vraiment coupable de faiblesse, si les idées et les sentiments moraux, qui doivent servir à apprécier la carrière de Napoléon, faisaient place à la sympathie pour les souffrances qui la terminèrent. Quant aux scrupules qu'un assez grand nombre de personnes ont exprimés, relativement au droit de le bannir à SainteHélène, nous dirons seulement que notre conscience n'est pas encore arrivée à un point suffisant de raffinement et de délicatesse outrée, pour être le moins du monde sensible à cette particularité. Rien ne nous surpend davantage dans Bonaparte que l'effronterie avec laquelle il réclama la protection du droit des gens. Qu'un homme qui a ouvertement bravé ce

droit, vienne ensuite l'invoquer pour s'en faire un abri; que l'oppresseur du monde implore sa sympathie comme un homme opprimé, et que sa prétention puisse trouver des défenseurs; ce sont là de ces choses qu'on peut ranger au nombre des événements extraordinaires de cette époque extraordinaire. En vérité l'espèce humaine est dans une pitoyable condition. Elle peut être foulée aux pieds, spoliée, accablée comme une bête de somme, être en proie à la rapacité, à l'insolence, être frappée par le glaive; mais elle ne doit pas toucher un cheveu, ni déranger l'oreiller d'un seul de ses oppresseurs, à moins qu'elle ne puisse invoquer un chapitre et un article du code de la loi des nations, qui autorise son impolitesse à l'égard de l'offenseur privilégié. Quant à nous, nous nous réjouirions de voir tous les tyrans, usurpateurs ou princes héréditaires, attachés à quelque rocher solitaire de l'Océan. Quiconque fournit la preuve claire, incontestable, qu'il est disposé et fermement résolu à transformer la terre en abattoir, et à écraser tous ceux qui voudraient s'opposer à ses projets, doit être mis en loge comme une bête sauvage. Exiger du genre humain que l'on procède contre un pareil homme d'après les lois écrites et les règles de la procédure, tout comme s'il s'agissait d'un citoyen ordinaire traduit devant une cour de justice bien calme, est tout aussi raisonnable que d'exiger d'un homme en danger imminent d'être assassiné, qu'il attende son meurtrier et qu'il le poursuive d'après les formes lentes de la loi.

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