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plus profonde pour la race humaine tout entière. Si nos humbles pages survivent encore alors, nous avons la confiance inébranlable que l'indignation, qui ne souffre pas de transaction, avec laquelle nous plaidons la cause de notre nature opprimée et insultée, ne sera pas attribuée à une simple disposition à la vengeance ni à la dureté de cœur.

Nous avons fait observer que l'indignation morale d'un grand nombre de personnes contre Bonaparte avait été neutralisée ou avait disparu, non-seulement à cause de ses souffrances supposées, mais aussi à cause de l'abus indigne que ses vainqueurs avaient fait de leur triomphe. On a prétendu que tout mauvais que pût ètre son despotisme, celui dela Sainte Alliance a été encore pire, et que Napoléon fut un fléau moindre que la coalition des monarques du continent, imaginée pour supprimer systématiquement la liberté. Au moyen d'un tel raisonnement ses crimes ont été couverts d'un voile et sa chute est devenue un thème de lamentations. Ce n'est pas une des plus minces erreurs ni des plus petites fautes des Souverains Alliés, d'avoir travaillé par leur misérable politique à détourner le ressentiment et la réprobation morale des hommes, de l'usurpateur sur eux-mêmes. Nous n'avons rien à dire pour la défense de ces souverains. Nous ne le cédons à personne quand il s'agit de stigmatiser la Sainte Alliance, appelée ainsi par une espèce de profanation. A nos yeux ses doctrines sont aussi fausses que toutes les doctrines produites par le Jacobinisme. Les Monarques Alliés ont ajouté aux autres torts des despotes, celui d'une ingratitude manifeste; oui, d'ingratitude envers les généreuses et braves nations auxquelles ils étaient redevables de leurs trônes, dont l'esprit d'indépendance et de patriotisme, et dont la haine pour l'oppression avaient contribué plus que les armées permanentes à relever les monarchies d'Europe qui étaient tombées et à raffermir celles qui menaçaient de s'écrouler. Si jamais on l'oublie dans les annales du despotisme, c'est à l'histoire à le rappeler sur ses tablettes les plus durables, que le premier usage fait par les principaux souverains du continent de leur puissance reconquise ou confirmée, fut de conspirer contre les espérances et les droits des nations, par lesquelles ils avaient été sauvés; d'organiser la force militaire de l'Europe contre les institutions libres, contre la presse, contre l'esprit de liberté et de patriotisme qui avait surgi pendant la glorieuse lutte avec Napoléon, contre le droit des peuples d'exercer leur part d'influence sur les gouvernements au contrôle desquels leurs plus chers intérêts allaient ètre soumis. Non, jamais n'oublions que tels furent les sentiments d'honneur des souverains, que telles furent leurs récompenses pour le sang qui avait été versé spontanément en leur faveur. La liberté et l'humanité poussent un cri solennel et puissant contre eux jusqu'à ce tribunal devant lequel rois et sujets comparaîtront bientôt comme des égaux.

Quoiqu'il en soit, ce serait un étrange aveuglement de ne pas sentir que la chute de Napoléon fut un bonheur pour le monde. Qui peut, par exemple, jeter les yeux sur la France, et ne pas y apercevoir un germe de liberté (1), qui n'auraitjamais pu croitre sous le terrible froncement de sourcils de l'usurpateur? Sans doute, la vie de Napoléon, sous l'influence de quelque charme qu'elle parût ètre placée, devait à la longue avoir une fin; et on a soutenu qu'alors son empire serait tombé en pièces, et que ce fracas général, par quelque procédé inexplicable, aurait donné naissance à une liberté plus étendue et plus durable qu'on ne peut espérer aujourd'hui. Mais de telles prévisions nous semblent reposer sur un étrange et inattentif oubli de la nature et des conséquences inévitables de la puissance de Napoléon. C'était une puissance toute militaire. Il avait littéralement transformé l'Europe en un camp, et il avait concentré ses aptitudes les plus précieuses sur une seule occupation, la guerre. L'Europe reprenait donc le chemin de ces époques de calamités et de ténèbres, où le glaive était l'unique loi. La marche progressive des siècles, qui avait consisté principalement dans la substitution de l'intelligence, de l'opinion publique, et des autres influences paisibles et rationnelles, à la force brutale, était complétement bouleversée. A la mort de Bonaparte, son

(1) N'oublions pas que ceci était écrit en 1827-1828 (trad.)

empire aurait dù en effet se dissoudre; mais des chefs militaires, comme les lieutenants d'Alexandre, se le seraient partagé. Le glaive seul aurait déterminéses futures subdivisions; et après des années de désolation et de carnage, l'Europe aurait abouti, non pas au repos, mais à un moment de répit, à une trève armée, sous des hommes de guerre, dont l'unique titre à l'empire aurait été leurs propres bonnes lames, et dont les trônes, ce lourd fardeau, n'auraient eu pour soutien que la seule force militaire. Au milieu de pareilles convulsions, pendant lesquelles la presse aurait été partout chargée de chaînes, et l'esprit militaire aurait dompté et absorbé l'esprit glorieux des lettres et des arts libéraux, nous craignons beaucoup que l'intelligence humaine n'eût perdu sa force d'impulsion actuelle, sa soif du progrès, et ne fût retombée dans la barbarie. Que les amis de la liberté ne se déshonorent pas eux-mêmes et ne désertent pas leur cause, en établissant entre Napoléon et les souverains légitimes des comparaisons, qui peuvent être interprétées comme un panégyrique du premier. Nous-même, nous n'avons pas la moindre sympathie pour la tyrannie, qu'elle porte le nom d'usurpation ou de légitimité. Nous ne plaidons point la cause des Souverains alliés; à notre point de vue, ils se sont rendus coupables précisément du même méfait qu'ils avaient la prétention decombattre par leurs efforts combinés. Nous pensons que conspirer contre les droits de la race humaine est un crime aussi répréhensible que s'insurger contre les droits des souverains; faire la guerre aux libertés publiques, n'est pas moins un acte de haute trahison, qu'assaillir le pouvoir royal. Et cependant nous sommes contraint par la vérité d'avouer que les Souverains alliés ne doivent pas ètre placés sur la même ligne que Bonaparte; car ses projets contre l'indépendance des nations et les libertés du monde, à cet âge de civilisation, de généreuses pensées et de sentiments chrétiens, constituent, selon nous, l'entreprise la plus détestable dont l'histoire fasse mention.

La série d'événements, que nous avons voulu passer en revue, offre des sujets de profonde méditation et d'un enseignement sérieux pour les moralistes et les publicistes. Nous les avons retracés avec des sentiments souvent pénibles. Ils nous montrent comment un grand peuple qui était parvenu à se procurer quelques lueurs confuses de liberté et d'une organisation politique plus relevée et plus avantageuse, a été trahi par ses chefs et, au moyen du despotisme militaire, a été de nouveau chargé de chaines plus lourdes que celles qu'il avait brisées. C'est avec indignation que nous voyons un seul homme, un homme semblable à nous, soumettre des nations entières à sa volonté absolue. C'est le tort causé à notre espèce, c'est l'insulte jetée à sa face, qui nous a principalement remué. Si par l'ordre de Dieu un ouragan avait passé sur l'Europe,

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