en renversant ses capitales, en balayant ses villages, en ensevelissant des millions d'hommes sous leurs ruines, nous aurions répandu des larmes, nous aurions tremblé de crainte. Dans tout cela il n'y aurait eu que des malheurs à déplorer. Mais ici c'est d'avilissement qu'il s'agit en outre. A nos yeux il y a quelque chose de radicalement, de continuellement révoltant dans la pensée d'une volonté individuelle voulant s'imposer comme règle arbitraire à la race humaine; dans la pensée de multitudes, de vastes sociétés, subordonnant tout, conscience, intelligence, affections, droits, intérêts, au commandement brutal d'une simple créature comme nous. Quand nous voyons que sur un mot d'un être fragile placé sur le trône de France, des centaines de milliers de fils sont arrachés au foyer paternel, que les liens sacrés de la vie domestique sont violemment brisés, que des myriades de jeunes gens sont appelés à faire du meurtre leur métier, de la rapine leurs moyens de subsistance, et à étendre cette ruineuse domination en extorquant aux nations leurs trésors, nous sommes prêt à nous demander si nous ne faisons pas un rève! Et quand la déplorable réalité vient s'asseoir à nos côtés, nous rougissons de honte pour une race qui peut s'abaisser au point d'accерter un lot aussi abject. A la longue, il est vrai, nous voyons le tyran humilié, dépouillé du pouvoir; mais dépouillé par ceux qui au fond ne veulent que jouer le rôle de despote dans une sphère un peu plus restreinte, et courber l'esprit des nations sous la même verge de fer.. Comment donc se fait-il que la tyrannie ait triomphé ainsi? que les espérances avec lesquelles nous avions accueilli la Révolution française aient été brisées? qu'un usurpateur ait pu arracher les dernières racines de l'arbre de la liberté et établir le despotisme à sa place? La cause principale, il ne faut pas la chercher bien loin et elle ne peut trop exercer la sollicitude des amis de la liberté. La France a échoué par le défaut de cette préparation morale à la liberté, sans laquelle la réussite ne peut être assurée. Elle n'était pas mûre pour le bien qu'elle recherchait. Elle était trop corrompue pour la liberté. La France, il est vrai, avait à lutter contre une grande ignorance politique; mais si cette ignorance n'avait pas été renforcée par de profondes défectuosités morales, elle aurait pu parvenir à gagner la voie des institutions libres. Son naturel l'empêcha de se maintenir dans la liberté; et aujourd'hui il semble étrange que nous ayons jamais pu attendre d'elle qu'elle s'assurât cette faveur. Comment avons-nous pu croire, qu'une liberté, dont Voltaire, ce railleur impitoyable, avait été le principal apôtre, aurait pu triompher? La plupart des prédicateurs de la liberté en France avaient rejeté toutes les convictions qui ennoblissent l'esprit. Les liens qui unissent l'homme à Dieu, ils les avaient rompus, car ils avaient déclaré qu'il n'y avait pas de Dieu, dans lequel on put mettre sa confiance au jour de la grande lutte pour la liberté. L'immortalité de l'homme, cette vérité qui est la source de toute grandeur, ils s'en moquaient. D'après leur philosophie, l'homme était une créature de hasard, un mélange de matière, une chose éphémère, un ver, destiné à pourrir bientôt et à périr pour jamais. Quelle folie de s'imaginer que de tels hommes étaient capables de travailler à l'émancipation de la race humaine! que dans de pareilles mains les espérances et les droits les plus chers de l'humanité étaient en sûreté! La liberté avait été souillée par leur contact, polluée par leur souffle, et cependant nous espérions qu'elle sortirait vigoureuse et glorieuse de leurs embrassements. Nous comptions sur des hommes, qui déclaraient ouvertement fonder la moralité sur l'intérêt privé, pour les sacrifices, pour le dévouement, pour les vertus héroïques que la liberté exige toujours de ses défenseurs. 1 La grande cause de l'insuccès de la dernière lutte pour la liberté en Europe est aisément comprise par un Américain, qui a recours à l'histoire de sa propre révolution. Celle-ci eutuneissue heureuse, parce qu'elle fut commencée et qu'elle fut conduite sous les auspices de la vertu privée et publique. Notre liberté ne nous vint pas par accident, elle ne fut pas le présent d'un petit nombre de chefs; ses semences avaient déjà abondamment germé dans les esprits du peuple tout entier. Elle était enracinée dans la conscience et la raison de la nation. Elle étaitle produit d'une conviction réfléchie et de principes généraux répandus avec profusion. Nous n'avions pas de Paris, pas de métropole, qu'un petit nombre de meneurs pussent diriger et qui pût à son tour exercer son influence au dehors, comme un cœur puissant, sur des provinces dépendantes et subordonnées. Le pays entier était tout cœur. Le principe de vie cırculait dans tout le corps social, et chaque village apportait son contingent d'énergie à la résolution solennelle d'être libre. Et ici nous avons l'explication d'un phénomène frappant dans l'histoire de notre révolution, nous voulons parler de ce défaut ou de cette absence de grands hommes jouant les premiers rôles, comme on en rencontre dans les autres pays; de ces hommes, qui par leur intervention spéciale et individuelle, et par des actes éclatants, décident du sort d'une nation. Il y avait trop de grandeur dans le peuple américain pour permettre à la grandeur privée des chefs du mouvement de rejeter tout le reste dans l'ombre. Aussi les États-Unis n'eurentils pas de libérateur, de sauveur politique. Washington, il est vrai, nous procura de grands avantages. Mais Washington ne fut pas un héros, dans le sens vulgaire de cette dénomination. Nous n'avons jamais parlé de lui comme les Français de Bonaparte, nous n'avons jamais discouru de son regard d'aigle, de son génie irrésistible, comme si c'était de là qu'eût dépendu notre salut. Jamais nous n'avons perdule respect de nous-mêmes. Nous sentions qu'avec l'aide de Dieu, c'était par notre propre courage, par notre propre énergie, par notre propre sagesse, sous l'influence vivifiante et directrice de cette grande et bonne nature, que nous devions devenir libres. Washington nous rendit surtout service par ses nobles qualités morales. - A lui revient la magnifique distinction d'avoir été à la tête d'une révolution, sans éveiller aucun doute, aucun soupçon sur la pureté sans tache de ses desseins. A lui appartient la gloire d'avoir été la manifestation la plus éclatante de l'esprit qui régnait dans sa patrie; et c'est de cette manière qu'il est devenu une source d'énergie, un lien d'union, un centre de confiance pour un peuple éclairé. Dans une révolution comme celle de France, Washington n'aurait été rien; car cette sympathie, qui existait entre lui et ses compatriotes, et qui fut le secret de son pouvoir, cette sympathie lui aurait fait défaut. Par un instinct infaillible, nous appelons Washington, dans notre respectueuse reconnaissance, le père de son pays, mais non pas son sauveur. Un peuple qui a besoin d'un sauveur, qui ne possède pas au fond de son propre cœur un gage assuré, un zèle ardent de liberté, un pareil peuple n'est pas encore préparé à être libre. Ici se présente une grande question que nous ne pouvons qu'effleurer. Si une préparation morale est nécessaire pour la liberté, comment, se demandet-on, l'Europe pourra-t-elle jamais être libre? Comment, sous le despotisme qui écrase actuellement le |