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empire aurait dù en effet se dissoudre; mais des chefs militaires, comme les lieutenants d'Alexandre, se le seraient partagé. Le glaive seul aurait déterminé ses futures subdivisions; et après des années de désolation et de carnage, l'Europe aurait abouti, non pas au repos, mais à un moment de répit, à une trève armée, sous des hommes de guerre, dont l'unique titre à l'empire aurait été leurs propres bonnes lames, et dont les trônes, ce lourd fardeau, n'auraient eu pour soutien que la seule force militaire. Au milieu de pareilles convulsions, pendant lesquelles la presse aurait été partout chargée de chaînes, et l'esprit militaire aurait dompté et absorbé l'esprit glorieux des lettres et des arts libéraux, nous craignons beaucoup que l'intelligence humaine n'eût perdu sa force d'impulsion actuelle, sa soif du progrès, et ne fût retombée dans la barbarie. Que les amis de la liberté ne se déshonorent pas eux-mêmes et ne désertent pas leur cause, en établissant entre Napoléon et les souverains légitimes des comparaisons, qui peuvent être interprétées comme un panégyrique du premier. Nous-même, nous n'avons pas la moindre sympathie pour la tyrannie, qu'elle porte le nom d'usurpation ou de légitimité. Nous ne plaidons point la cause des Souverains alliés; à notre point de vue, ils se sont rendus coupables précisément du même méfait qu'ils avaient la prétention de combattre leurs efforts combinés. Nous pensons que conspirer contre les droits de la race humaine est un

par

crime aussi répréhensible que s'insurger contre les droits des souverains; faire la guerre aux libertés publiques, n'est pas moins un acte de haute trahison, qu'assaillir le pouvoir royal. Et cependant nous sommes contraint par la vérité d'avouer que les Souverains alliés ne doivent pas être placés sur la mème ligne que Bonaparte; car ses projets contre l'indépendance des nations et les libertés du monde, à cet âge de civilisation, de généreuses pensées et de sentiments chrétiens, constituent, selon nous, l'entreprise la plus détestable dont l'histoire fasse mention.

La série d'événements, que nous avons voulu passer en revue, offre des sujets de profonde méditation et d'un enseignement sérieux pour les moralistes et les publicistes. Nous les avons retracés avec des sentiments souvent pénibles. Ils nous montrent comment un grand peuple qui était parvenu à se procurer quelques lueurs confuses de liberté et d'une organisation politique plus relevée et plus avantageuse, a été trahi par ses chefs et, au moyen du despotisme militaire, a été de nouveau chargé de chaines plus lourdes que celles qu'il avait brisées. C'est avec indignation que nous voyons un seul homme, un homme semblable à nous, soumettre des nations entières à sa volonté absolue. C'est le tort causé à notre espèce, c'est l'insulte jetée à sa face, qui nous a principalement remué. Si par l'ordre de Dieu un ouragan avait passé sur l'Europe,

en renversant ses capitales, en balayant ses villages, en ensevelissant des millions d'hommes sous leurs ruines, nous aurions répandu des larmes, nous aurions tremblé de crainte. Dans tout cela il n'y aurait eu que des malheurs à déplorer. Mais ici c'est d'avilissement qu'il s'agit en outre. A nos yeux il y a quelque chose de radicalement, de continuellement révoltant dans la pensée d'une volonté individuelle voulant s'imposer comme règle arbitraire à la race humaine; dans la pensée de multitudes, de vastes sociétés, subordonnant tout, conscience, intelligence, affections, droits, intérêts, au commandement brutal d'une simple créature comme nous. Quand nous voyons que sur un mot d'un être fragile placé sur le trône de France, des centaines de milliers de fils sont arrachés au foyer paternel, que liens sacrés de la vie domestique sont violemment brisés, que des myriades de jeunes gens sont appelés à faire du meurtre leur métier, de la rapine leurs moyens de subsistance, et à étendre cette ruineuse domination en extorquant aux nations leurs trésors, nous sommes prêt à nous demander si nous ne faisons pas un rève! Et quand la déplorable réalité. vient s'asseoir à nos côtés, nous rougissons de honte pour une race qui peut s'abaisser au point d'accepter un lot aussi abject. A la longue, il est vrai, nous voyons le tyran humilié, dépouillé du pouvoir; mais dépouillé par ceux qui au fond ne veulent que jouer le rôle de despote dans une sphère un peu plus res

les

treinte, et courber l'esprit des nations sous la même verge de fer.

Comment donc se fait-il que la tyrannie ait triomphé ainsi? que les espérances avec lesquelles nous avions accueilli la Révolution française aient été brisées? qu'un usurpateur ait pu arracher les dernières racines de l'arbre de la liberté et établir le despotisme à sa place? La cause principale, il ne faut pas la chercher bien loin et elle ne peut trop exercer la sollicitude des amis de la liberté. La France a échoué par le défaut de cette préparation morale à la liberté, sans laquelle la réussite ne peut être assurée. Elle n'était pas mûre pour le bien qu'elle recherchait. Elle était trop corrompue pour la liberté. La France, il est vrai, avait à lutter contre une grande ignorance politique; mais si cette ignorance n'avait pas été renforcée par de profondes défectuosités morales, elle aurait pu parvenir à gagner la voie des institutions libres. Son naturel l'empêcha de se maintenir dans la liberté; et aujourd'hui il semble étrange que nous ayons jamais pu attendre d'elle qu'elle s'assurât cette faveur. Comment avons-nous pu croire, qu'une liberté, dont Voltaire, ce railleur impitoyable, avait été le principal apôtre, aurait pu triompher? La plupart des prédicateurs de la liberté en France avaient rejeté toutes les convictions qui ennoblissent l'esprit. Les liens qui unissent l'homme à Dieu, ils les avaient rompus, car ils avaient déclaré qu'il n'y avait pas de Dieu, dans lequel on put

mettre sa confiance au jour de la grande lutte pour la liberté. L'immortalité de l'homme, cette vérité qui est la source de toute grandeur, ils s'en moquaient. D'après leur philosophie, l'homme était une créature de hasard, un mélange de matière, une chose éphémère, un ver, destiné à pourrir bientôt et à périr pour jamais. Quelle folie de s'imaginer que de tels hommes étaient capables de travailler à l'émancipation de la race humaine! que dans de pareilles mains les espérances et les droits les plus chers de l'humanité étaient en sûreté! La liberté avait été souillée par leur contact, polluée par leur souffle, et cependant nous espérions qu'elle sortirait vigoureuse et glorieuse de leurs embrassements. Nous comptions sur des hommes, qui déclaraient ouvertement fonder la moralité sur l'intérêt privé, pour les sacrifices, pour le dévouement, pour les vertus héroïques que la liberté exige toujours de ses défenseurs.

La grande cause de l'insuccès de la dernière lutte pour la liberté en Europe est aisément comprise par un Américain, qui a recours à l'histoire de sa propre révolution. Celle-ci eut une issue heureuse, parce qu'elle fut commencée et qu'elle fut conduite sous les auspices de la vertu privée et publique. Notre liberté ne nous vint pas par accident, elle ne fut pas le présent d'un petit nombre de chefs; ses semences avaient déjà abondamment germé dans les esprits du peuple tout entier. Elle était enracinée dans la conscience et la raison de la nation. Elle était le produit

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