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plus forcé d'obéir, on n'y est plus obligé. On voit donc que le mot droit n'ajoute rien à la force; il ne signifie ici rien du tout.

Obéissez aux puissances. Si cela veut dire : cédez à 5 la force, le précepte est bon, mais superflu; je réponds qu'il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue; mais toute maladie en vient aussi : estce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin ?5 Qu'un brigand me surprenne au coin d'un bois, non10 seulement il faut par force donner la bourse, mais

quand je pourrai la soustraire, suis-je en conscience obligé de la donner? Car enfin le pistolet qu'il tient est aussi une puissance.

Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on 15 n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes. Ainsi, ma question primitive revient toujours.

-Livre I, Chap. III.

DU PACTE SOCIAL

Je suppose les hommes parvenus à ce point où les ob20 stacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature l'emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s'il ne changeait de 25 manière d'être.

Or, comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n'ont plus d'autre moyen pour se con

5. The theory of "divine right" was still widely held in the eighteenth century. Rousseau here adroitly brushes it aside.

server, que de former, par agrégation, une somme de forces qui puisse l'emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile, et de les faire agir de

concert.

Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs; mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire, sans négliger les soins qu'il se doit? Cette difficulté, ramenée à mon sujet, peut s'énoncer en ces termes:

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"Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant." Tel est le problème fon- 15 damental dont le Contrat social donne la solution.

Les clauses de ce Contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énon- 20 cées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues, jusqu'à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça.

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Ces clauses, bien entendues, se réduisent toutes à une seule, savoir: l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté; car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et, la condition étant égale pour tous, 30 nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

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De plus l'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'être, et nul associé n'a plus rien à réclamer: car, s'il restait quelques droits aux paarticuliers, comme il n'y aurait aucun supérieur commun qui pût prononcer entre eux et le public, chacun, étant en quelque point son propre juge, prétendrait bientôt l'être en tout; l'état de nature subsisterait, et l'association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine.

Enfin, chacun se donnant à tous, ne se donne à personne; et, comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a.

Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivants: "Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprème direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque 20 membre comme partie indivisible du tout."

A l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif, composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même 25 acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique, qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République, ou de Corps politique, lequel est appelé par ses membres État, quand 30 il est passif; Souverain, quand il est actif; Puissance, en le comparant à ses semblables. A l'égard des asso

ciés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s'appellent en particulier citoyens, comme participants à l'autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l'État. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l'un pour l'autre; il suffit de les savoir 5 distinguer quands ils sont employés dans toute leur précision.

-Livre I, Chap. VI.

DE L'ÉTAT CIVILE

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Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en sub- 10 stituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que la voix du devoir, succédant à l'impulsion physique, et le droit à l'appetit, l'homme, qui, jusque-là, n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme tout entière 20 s'élève à tel point, que, si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un 25 homme.

6 It has frequently been objected that morality is not the result of social or political organization but its indispensible antecedent condition.

Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre; ce qu'il gagne, c'est 5 la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle, qui n'a pour borne que les forces de l'individu, de la liberté civile, qui est limitée par la volonté générale, et la possession, qui 10 n'est que l'effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété, qui ne peut être fondée que sur un titre positif.

On pourrait sur ce qui précède ajouter à l'acquit de l'état civil la liberté morale, qui seule rend l'homme 15 vraiment maître de lui, car l'impulsion du seul appétit est l'esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est la liberté. Mais je n'en ai déjà que trop dit sur cet article, et le sens philosophique du mot liberté n'est pas ici de mon sujet.

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-Livre I, Chap. VIII.

SI LA VOLONTÉ GÉNÉRALE PEUT ERRER

Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique; mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple 25 aient toujours la même rectitude. On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours; jamais on ne corrompt le peuple mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal.

Il y a souvent bien de la différence entre la volonté 30 de tous et la volonté générale: celle-ci ne regarde qu'à

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