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et sensibles, par le danger des maux éloignés et cachés. Les particuliers voient le bien qu'ils rejettent, le public veut le bien qu'il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides; il faut obliger les uns à conformer 5 leurs volontés à leur raison; il faut apprendre à l'autre à connaître ce qu'il veut. Alors, des lumières publiques résulte l'union de l'entendement et de la volonté dans le corps social; de là l'exact concours des parties, et enfin la plus grande force du tout. Voilà d'où naît la 10 nécessité d'un Législateur.

-Livre II, Chap. VI.

LES CONFESSIONS

The question of the Confessions is bound up with that of Rousseau's quarrel with Diderot, into the details of which it is impossible here to enter. The first suggestion that he write the story of his life undoubtedly came to him from his publisher, Rey, who requested him to prepare a sketch as an introduction to an edition of his works. The plan changed and grew under Rousseau's hand in the years from 1763-1770. Though known to a circle of admirers before his death, Books I-VI were not published until 1781. The remaining sections appeared in 1788.

Their purpose and spirit, as Rousseau saw it, is explained in the introduction printed below. As the autobiographical side of his work is well represented in the Lettres à M. de Malesherbes and the Cinquième Rêverie printed in complete form, we give in addition only the account of his writing of La Nouvelle Héloïse during his retirement at the Ermitage.

INTRODUCTION

Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera moi.

Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les 5 hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux

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qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.

Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement: "Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je 10 n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon; et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifferent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. 15[Je me suis montré tel que je fus: méprisable et vil quand je l'ai été; bon, généreux, sublime, quand je l'ai été: j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toimême Être éternel. Rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité; et puis qu'un seul te dise, s'il l'ose: Je fus meilleur que cet homme-là.

15 [Je

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-Partie I., Livre I.

THE GENESIS OF LA NOUVELLE HELOISE

Ce fut le 9 avril 1756 que je quittai la ville pour n'y plus habiter;1 car je ne compte pas pour habitation

1 Rousseau had already written the Confessions before his unexpected return to Paris in 1770.

quelques courts séjours que j'ai faits depuis, tant à Paris qu'à Londres et dans d'autres villes, mais toujours de passage, ou toujours malgré moi. Mme d'Épinay vint nous prendre tous trois2 dans son carrosse; son fermier vint charger mon petit bagage, et je fus in- 5 stallé dès le même jour. Je trouvai ma petite retraite arrangée et meublée simplement, mais proprement et même avec goût. La main qui avait donné ses soins à cet ameublement le rendait à mes yeux d'un prix inestimable, et je trouvais délicieux d'être l'hôte de mon 10 amie, dans une maison de mon choix, qu'elle avait bâtie exprès pour moi.2

Quoiqu'il fît froid et qu'il y eût même encore de la neige, la terre commençait à végéter; on voyait des violettes et des primevères; les bourgeons des arbres 15 commençaient à poindre, et la nuit même de mon arrivée fut marquée par le premier chant du rossignol, qui se fit entendre presque à ma fenêtre, dans un bois qui touchait la maison. Après un léger sommeil, oubliant à mon réveil ma transplantation, je me croyais 20 encore dans la rue de Grenelle, quand tout à coup ce ramage me fit tressaillir, et je m'écriai dans mon transport: "Enfin tous mes vœux sont accomplis!" Mon premier soin fut de me livrer à l'impression des objets champêtres dont j'étais entouré. Au lieu de commen- 25

2 Some time before, on a visit to Mme d'Épinay's estate, La Chevrette, near the forest of Montmorency, Rousseau had admired the site of a dilapidated cottage and exclaimed, "Voilà un asile tout fait pour moi!" Unknown to him she had it rebuilt, offered it to him as a residence, and he came to occupy it with Thérèse Le Vasseur and her mother.

3 Where he had lived in Paris at the Hôtel de Languedoc,

cer à m'arranger dans mon logement, je commençai par m'arranger pour mes promenades, et il n'y eut pas un sentier, pas un taillis, pas un bosquet, pas un réduit autour de ma demeure, que je n'eusse parcouru dès le 5 lendemain. Plus j'examinais cette charmante retraite, plus je la sentais faite pour moi. Ce lieu solitaire plutôt que sauvage me transportait en idée au bout du monde. Il avait de ces beautés touchantes qu'on ne trouve guère auprès des villes; et jamais, en s'y trou 10 vant transporté tout d'un coup, on n'eût pu se croire à quatre lieues de Paris....

Les souvenirs des divers temps de ma vie m'amenèrent à réfléchir sur le point où j'étais parvenu, et je me vis déjà sur le déclin de l'âge, en proie à des maux dou15 loureux, et croyant approcher du terme de ma carrière sans avoir goûté dans sa plénitude presque aucun des plaisirs dont mon cœur était avide, sans avoir donné l'essor aux vifs sentiments que j'y sentais en réserve, sans avoir savouré, sans avoir effleuré du moins 20 cette enivrante volupté que je sentais dans mon âme en puissance, et qui, faute d'objet, s'y trouvait toujours comprimée, sans pouvoir s'exhaler autrement que par mes soupirs.

Comment se pouvait-il qu'avec une âme naturelle25 ment expansive, pour qui vivre c'était aimer, je n'eusse pas trouvé jusqu'alors un ami tout à moi, un véritable ami, moi qui me sentais si bien fait pour l'être. Comment se pouvait-il qu'avec des sens si combustibles, avec un cœur tout pétri d'amour, je n'eusse pas du 30 moins une fois brûlé de sa flamme pour un objet dé

• Rousseau believed himself seriously ill.

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